Dwight Einsenhower, qui fut le commandant en chef des forces alliées en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, puis président des Etats-Unis de janvier 1953 à janvier 1961, définissait la puissance d’un pays comme le produit de trois facteurs : la puissance économique, la puissance militaire et la puissance morale. Il ajoutait que si l’un des trois facteurs était égal à zéro, le produit l’était aussi. On est tenté d’appliquer la « loi d’Eisenhower » au monde présent, et plus particulièrement à trois acteurs majeurs : l’Amérique, l’Europe et la Chine.
LES ETATS-UNIS. Ils ont été la puissance dominante du XXe siècle. Ils restent le cœur de l’économie mondiale, avec un PNB de 15 000 milliards de dollars, soit près du quart d’un revenu mondial brut de 63 000 milliards ; le dollar, en dépit de son affaiblissement, reste la seule devise universelle ; et si l’Amérique s’est en partie « désindustrialisée », en transférant des activités dites de « manufacture » (de simple production) vers des pays émergents, à commencer par la Chine, elle a su miser sur les technologies et les industries les plus innovantes - l’information et la communication – et prendre leur contrôle. L’Amérique reste également la principale puissance militaire : elle consacrait près de 700 milliards de dollars par an à sa défense nationale à la fin des années 2000, soit six fois plus que son principal rival, la Chine (120 milliards) et plus que les six pays suivants combinés (Chine, France, Royaume-Uni, Russie, Japon, Allemagne) qui ne parvenaient qu’à 400 milliards au total. Cet effort lui permettait de se projeter – avec des succès divers – sur plusieurs fronts et théâtres à la fois : Proche et Moyen Orient, mais aussi Europe, où elle continue à assurer la sécurité régionale face à la Russie, et Extrême-Orient, où elle garantit presque toutes les indépendances locales face à la Chine, du Japon au Vietnam, de la Corée du Sud à l’Indonésie, de Singapour à l’Australie. Moralement, enfin, l’Amérique reste un pays relativement sain, attaché aux valeurs patriotiques, religieuses et familiales, mais aussi à une éthique du travail et de l’effort.
L’EUROPE. Elle a du sa renaissance, après la Seconde Guerre mondiale, au protectorat américain ; elle ne parvient pas, au début du XXIe siècle, à devenir un ensemble géopolitique fonctionnel. Sa monnaie dite « unique », l’euro, n’existe qu’à travers une gestion déflationniste qui ralentit puis bloque la croissance, et qui, en outre, entre en contradiction avec une protection sociale généralisée, d’inspiration social-démocrate ou chrétienne-démocrate. Militairement, c’est un nain : elle ne consacre en moyenne qu’un peu plus de 1 % de son PNB à la défense contre 5 % aux Etats-Unis ; ceux des pays-membres qui conservent un instrument guerrier d’une certaine ampleur – France, Grande-Bretagne – ne peuvent l’utiliser qu’avec le support logistique américain, comme on l’a vu récemment en Libye. Moralement, elle est mourante : déclin général des valeurs religieuses, des valeurs morales, et de l’éthique du travail ; déclin de la démographie autochtone. Ce qui fait le jeu de la culture islamique, véhiculée par une immigration massive.
LA CHINE. Sa croissance économique exponentielle – 9 à 10 % par an en moyenne – aura été le fait majeur de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Mais elle n’est pas capable pour autant de se substituer à l’Amérique ou à l’ensemble de l’Occident en tant que « moteur » économique mondial. Sa croissance consiste pour moitié en « manufacture », soit sous-traitance pour le compte des Américains et des Européens, soit imitation ; et pour une autre moitié, en équipement, c’est à dire en mise en place d’infrastructures et de biens de consommation dont le reste du monde développé a déjà bénéficié. Le jour où la manufacture ne sera plus profitable en termes économiques internationaux, et où l’équipement de base sera assuré, la croissance chinoise ralentira. Le Pays du Milieu devra alors faire preuve de créativité – et sera handicapé, sur ce plan, par un régime politique à la fois autoritaire et corrompu. Militairement, la Chine est devenue la deuxième puissance mondiale : mais elle reste loin derrière les Etats-Unis ; et ne peut utiliser ce potentiel sans mettre en danger, en Asie et ailleurs, ses virtualités de développement économique. Moralement, la Chine postcommuniste souffre d’une grave absence de valeurs : au point que le gouvernement – officiellement marxiste et athée – encourage le retour des religions traditionnelles, y compris le christianisme, à condition qu’elles ne se mêlent pas de politique.
© Michel Gurfinkiel, 2011
L'article original peut être consulté sur le blog de Michel Gurfinkiel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire