Selon les dires de l’opposition syrienne, le Régime de Bachar al-Assad mettra encore, au moins, deux mois avant de s’effondrer, malgré le soutien actif des Gardiens de la Révolution et du Hezbollah.
Vendredi, l’Armée Libre Syrienne diffusait une vidéo (lCl) des confessions de 7 Pasdaran, implorant le Guide Suprême de la République Islamique de tout faire pour assurer leur libération. La condition posée par l’ASL, qui traite directement avec le Grand Ayatollah, est le retrait unilatéral de toutes les forces iraniennes et de la milice libanaise s’ingérant dans les affaires intérieures de la Syrie. Il ne s’agit pas seulement de « kidnapping » au coup par coup, mené par des cellules isolées se défendant dos au mur. L’armée rebelle s’est rendue maîtresse de la plupart des banlieues de Damas, la capitale devenant, peu à peu, la nouvelle ligne de front : dans Douma, Harasta, Hamowriya, Su’ban, Madayia et Ghouta, ces troupes qui ont fait défection opèrent ouvertement et librement. De là, ils s’affrontent régulièrement à toutes les unités d’élite et aux services spéciaux encore fidèles au régime. Il existe même, désormais, une brigade féminine de l’Armée libre. La ville de Zabadani, ancienne zone de casernement iranienne, hier défendue par le Hezbollah libanais, à 32 kms de Damas, est, désormais considérée comme la nouvelle « Benghazi » de Syrie, où s’organisent ses quartiers généraux. Jérémy Bowen, journaliste à laBBC, a pu s’entretenir avec les militaires rebelles de Douma, contrôlant le centre de cette ville, jeudi matin. Michaël Weiss, duDaily Telegraph, recueille des témoignages qui décrivent le régime si faible que ses nervis en sont réduits à piller les banques pour alimenter les fonds de la répression.
Manifestation des Kurdes de Syrie au Kurdistan irakien
Bien entendu, on est fondé à craindre une nouvelle domination de la coordination nationale syrienne par les Frères Musulmans, comme on l’a observé en Libye et lors des élections égyptiennes et tunisiennes. Mais la question des minorités transfrontalières est particulièrement intéressante pour les faire apparaître comme un contre-pouvoir de poids, dans l’arène politique post-Assad. D’abord, le Liban proche est multiconfessionnel et ce type d’approche reste, en grande partie, valable, dans l’analyse des rapports de forces et d’influence en Syrie. Par comparaison, les Chrétiens coptes, parmi les premières victimes du « réveil islamiste » en Egypte, sont totalement isolés au milieu de plus de 80% de Musulmans, sans issue aucune. Ce n’est pas le cas des Druzes du Liban et de Syrie, autour du plateau du Golan, encore moins des Kurdes, qui se révèlent un acteur de plus en plus opérationnel, à cheval sur les quatre frontières : de Syrie, de Turquie, d’Iran et d’Irak. L’instauration du Kurdistan irakien, prospère, résilient à toutes les attaques de ses voisins, influent dans les affaires de Bagdad, offre une colonne vertébrale aux différents partis kurdes. Traditionnellement divisés, ils n’ont d’ailleurs pas les faveurs des jeunes kurdes syriens. Assad a tenté d’exploiter ces divisions, en s’aliénant un parti syrien proche du PKK turc, mais cette diversion a largement échoué. Un Conseil National Kurde s’est forgé pour faire valoir ses droits auprès du Conseil National Syrien, représentant de l’ensemble de l’opposition. Massoud Barzani, Président de l’entité autonome kurde d’Irak, après avoir décliné toute invitation d’Assad, a choisi de jouer un rôle important sur la scène syrienne. Il a accueilli à Irbil, le chef du CNS, Burhan Ghalyoun, qui a besoin du CN Kurde pour poursuivre la lutte contre Assad et apprécie donc cette médiation de leurs frères irakiens. A l’heure qu’il est, les négociations se poursuivent afin de parvenir à un programme politique commun, faisant place à l’autonomie auxquels les Kurdes aspirent, sans pour autant mettre en péril le noyau dur de l’identité nationale syrienne.
Massoud Barzani, le Kurde, et Nouri al-Maliki, le Chi'ite en Irak.
Le Kurdistan irakien joue un rôle nouveau de « pacificateur » régional au Levant et de facteur de stabilité. Par la médiation entreprise entre Sunnites et Kurdes syriens, il fait contrepoids à la mainmise que la Turquie entend exercer sur l’avenir de la Syrie. D’autre part, si Turcs et Kurdes s’opposent traditionnellement, voire s’entretuent, ils pourraient bien avoir, au moins temporairement, un intérêt commun à ce que l’Irak ne tombe pas entièrement sous la coupe de Téhéran, servant « d’autoroute » à ses troupes pour venir semer le chaos dans une Syrie réunifiée d’après le soulèvement.
C’est pourtant bien le joker que constitue actuellement l’Iran pour suppléer à la perte de son allié traditionnel de Damas. En embauchant Bagdad dans la « chaîne d’or » de la « résistance contre Israël et les Etats-Unis », les Gardiens de la Révolution ont, d’ores et déjà, annoncé la couleur de la poursuite de leurs exactions au Moyen-Orient : empêcher toute stabilisation, tant de l’actuel Irak que de la future Syrie, au détriment d’Ankara, de Riyad ou Amman. Il s’agit de dessiner les lignes de confrontation avec chacun de ses pouvoirs considérés comme porteurs d’un « Islam occidentalisé ». La Turquie, bien que fortement opposée à Israël, se trouve, de plus en plus souvent, la cible des attaques des différents porte-parole des instances et de la presse iraniennes. Celles-ci accusent Israël, la Turquie, la Jordanie et les Pays du Golfe, de « complot » visant à affaiblir la « résistance » et responsables de la punition infligée au régime Assad, pour l’avoir incarnée, avec le Hezbollah et le Hamas, jusqu’à ce jour. Ce dernier mouvement islamiste est d’ailleurs, progressivement, rejeté dans le camp des « traitres » et réduit à chercher sa place dans d’autres capitales arabes que Damas.
D’autre part, le Kurdistan commence à exercer une certaine fascination sur plusieurs dirigeants de l’opposition libanaise au Hezbollah, discrédité pour son appui au régime alaouite. Le moyen de repousser l’influence grandissante de la milice chi’ite, pour cette opposition écartée du pouvoir à Beyrouth, passe par l’effondrement des Assad. Coupé de sa base, le Hezbollah ne pourra plus s’approvisionner en temps réel en matériel iranien par l’aéroport damascène. Devenu plus vulnérable, lui restera à investir en Irak, contre la Jordanie et le Conseil des pays du Golfe, à travers les minorités chi’ites d’Irak, du Bahrein et ailleurs, afin de survivre à sa perte de prestige au Liban. Sa force résiderait alors dans la perpétuation de « l’axe chi’ite », dont l’épicentre serait Bagdad, avec l’appui des hommes de Moqtada Sadr, qui ont combattu les Américains. La minorité alaouite d’Assad ne pèse donc plus très lourd et à, d’ores et déjà, perdu la bataille de Damas, même si on ne le reconnaît pas plus à Téhéran qu’à Daniyeh, dans la banlieue chi’ite de Beyrouth. Par effet de vases communicants, les Sunnites, majoritaires en Syrie, mais aussi les Kurdes, les Druzes, Maronites, Syriaques sont appelés à trouver de nouveaux équilibres dans les sources de pouvoir, en s’appuyant sur leurs parrains respectifs : Ankara et Irbil.
Sous la vague verte du « courant islamiste », qui a gagné la première manche en Egypte, Tunisie, Libye, une seconde définition de l’unité nationale, par fédération des minorités, pourrait se faire jour au Levant, doté de plus solides contre-pouvoirs, capables de compter lors des prochaines remises en jeu. Le « pragmatisme » qui n'a pas été le fort d’Erdogan, ces dernières années, à l’encontre d’Israël, pourrait s’imposer à Ankara, du fait même de l’hostilité plus menaçante de l’Iran à son encontre : les chefs de l’Armée iranienne ne promettent-ils pas de détruire le bouclier anti-missiles de l’OTAN en Turquie, comme la preuve de « l’Occidentalisation » turque et de son inimitié « purement symbolique » envers Israël ?
Il n’y aura, sans doute pas de « réconciliation » en vue entre Jérusalem et Ankara, d’ici longtemps. Mais, la Turquie devra s’accommoder de l’émergence de l’identité kurde, et de son rayonnement à partir de sa zone d’autonomie irakienne. Elle s'appuiera moins sur l'Iran pour en venir à bout. Allié d’Israël et des Etats-Unis, le Kurdistan offre un contre-modèle de développement à l’ensemble des minorités d’Orient. Le bras de fer entre Chi’ites et Sunnites devient central, à travers les deux entités non-arabes de l’Islam, ottomane et perse. Le conflit pour le contrôle des voies d’acheminement pétrolier ne bat pas encore son plein dans le Détroit d’Hormuz, entre Téhéran et Riyad, autre ennemi viscéral des Mollahs. Seul l’accès rapide à la bombe atomique semble leur offrir l’épée de Damoclès susceptible de faire trembler leurs adversaires du Levant et du Golfe. Si l’Arabité et l’Islam ont servi de référence unificatrice contre tous les autres, progressivement, une autre « révolution », encore balbutiante, parce que minoritaire, peut entrer en scène au Moyen-Orient, dans la diversification des sources de pouvoir… Israël a un rôle déterminant à jouer, en tant que premier Etat-Nation d'une minorité ethnique, autrefois opprimée, dans cette région tourmentée.
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