Ben Laden admirait le Printemps arabe Le centre antiterroriste de l’Académie militaire de West Point a publié 17 lettres issues des documents d’Abbottabad, où fut tué Oussama ben Laden le 2 mai 2011.
Stéphane Bussard, envoyé permanent à New York
Jamais dans l’histoire de la lutte contre le terrorisme menée par l’Amérique une telle masse de documents n’a pu être saisie. En conduisant leur opération à Abbottabad au Pakistan le 2 mai 2011, les Navy Seals de la Marine américaine avaient deux objectifs : mettre la main sur le leader d’Al-Qaida, Oussama ben Laden, qu’ils finiront par tuer, et prendre possession du plus grand nombre d’informations sur l’organisation terroriste. Ils sont tombés sur quelque 6000 documents stockés sur des disques durs et des clés USB.
Académie de West Point
Jeudi, le Combating Terrorism Center de l’Académie militaire de West Point a mis en ligne 17 lettres de responsables d’Al-Qaida extraites des documents d’Abbottabad, soit 175 pages couvrant la période de septembre 2006 à avril 2011. Celles-ci mettent en évidence le désarroi stratégique d’Al-Qaida. Pour le président Barack Obama, les publier est une manière de renforcer le message de sa campagne électorale, où il entend faire de la lutte contre le terrorisme l’un des points saillants de son bilan politique.
Certaines missives révèlent la grande frustration d’Oussama ben Laden qui aurait aimé exercer un contrôle beaucoup plus ferme sur tous les mouvements qui se réclamaient d’Al-Qaida. Que ce soit Al-Qaida en Irak, Al-Qaida dans la péninsule Arabique ou Tehrik-e-Taliban au Pakistan, chacun agissait sans consulter « la centrale ». Le Saoudien envisageait de les contraindre à signer un code de conduite, car ces organisations ont nui à l’image d’Al-Qaida en s’en prenant sans discernement à des musulmans. Sous l’islam, la loi de la guerre, Tatarrus, autorise, dans des circonstances très restrictives, des dommages collatéraux et la mort de civils. Mais Ben Laden estime dans les lettres que le concept a été largement bafoué. Il s’insurge contre l’idéologie et les méthodes de Tehrik-e-Taliban et contre les visées trop expansionnistes des affiliés du Yémen qui veulent d’emblée instaurer un Etat islamique.
De sa cache d’Abbottabad, Oussama ben Laden observe avec admiration le Printemps arabe, un tournant, selon lui, dans l’histoire moderne de l’oumma, la communauté des musulmans. Il est convaincu que la chute des présidents tunisien et égyptien Ben Ali et Moubarak va produire un effet domino dans tout l’espace musulman qui va s’affranchir une fois pour toutes de la mainmise américaine. « La chute des tyrans restants est inévitable », relève-t-il. Il appelle dès lors les musulmans qui ne l’ont pas encore fait à se soulever. Il prévoit aussi une vaste campagne médiatique pour accompagner le mouvement. Dans un document sonore public publié après sa mort, le leader d’Al-Qaida dit ne pas considérer les instigateurs du Printemps arabe comme des moudjahidin, mais comme des « révolutionnaires libres » qui vont permettre au monde arabe de rompre les chaînes de la servitude.
Tensions avec l’Iran
Selon les documents déclassifiés jeudi, il rejette toutefois les Frères musulmans égyptiens et autres groupes islamistes similaires, car ils sont adeptes de demi-mesures et se compromettent en s’insérant dans un processus électoral séculier. Il compte néanmoins pouvoir persuader les éléments salafistes des Frères musulmans à adopter une ligne plus extrémiste. Dans une lettre, le défunt leader d’Al-Qaida entretient une ambiguïté étonnante à propos de l’Arabie saoudite, laissant entendre que la stabilité du royaume restait un facteur important dans la région.
Et l’Iran ? S’il a été question de collaboration entre la République islamique et les talibans en Afghanistan, celle-ci entretenait visiblement une relation beaucoup plus tendue avec Al-Qaida. L’Iran a détenu de nombreux djihadistes et certains membres de la famille Ben Laden. Entre Téhéran et les dirigeants de la mouvance, les négociations étaient indirectes, tendues, mais aussi « désagréables ». Rien dans les lettres d’Abbottabad n’indique par ailleurs des liens privilégiés d’Al-Qaida avec le Pakistan. Le fait pourrait détendre quelque peu les relations américano-pakistanaises, Washington s’étant étonné qu’Islamabad ne fût pas au courant de la présence de Ben Laden sur son territoire.
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