Alexandre Del Valle
Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir, il enseigne les relations internationales à l'Université de Metz et est chercheur associé à l'Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.
Deux ans après le début des "révolutions arabes" et des milliers de morts plus tard, les Occidentaux, qui ont pris fait et cause pour l’opposition islamiste et appelé à la chute du régime de Bachar al-Assad, commencent à se rendre compte que l’option russe, qui prônait au contraire une solution politique, n’est peut-être pas la pire. Il y quelques mois encore, les capitales occidentales misaient encore sur une chute rapide de Bachar et accusaient Moscou de le soutenir. Mais entre-temps, les Etats-Unis, qui ne peuvent pas fournir des armes à des islamistes syriens liés à al-Qaïda en Irak que les JI’s combattent, ont compris qu’aucune solution ne peut exclure la Russie, seule capable de pousser Damas à accepter un accord et une porte de sortie. Défendu à la fois par l’Iran, la Russie, la Chine, l’Irak, le Liban (Hezbollah), le Venezuela, la Corée du Nord, Cuba, etc, le régime syrien conserve une capacité de nuisance : conflit israélo-palestinien ; attentats en Turquie commis par des groupes pro-syriens ; activisme du Hezbollah, etc.
La Russie est donc à nouveau prise au sérieux par les grandes chancelleries. D’où les visites à Moscou du secrétaire d’Etat américain John Kerry, du premier ministre britannique David Cameron, et même du Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui a demandé à M. Poutine de ne pas honorer la livraison de missiles russes antiaériens S-300 à Damas. D’où aussi l’accord conjoint entre Vladimir Poutine et Barak Obama concernant la conférence internationale sur la Syrie ("Genève 2") envisageant un gouvernement de transition. Ignorant pour une fois la position des puissances sunnites (Turquie, Arabie Saoudite et Qatar), Washington a renoncé à faire du départ de Bachar un préalable et a semblé accepter l’idée russe d’un futur gouvernement acceptable par toutes les parties formé après 2014 en échange de sa promesse d’Assad de renoncer à se représenter.
Quant à la France de François Hollande, marginalisée, elle continue de soutenir la réunion du "groupe des Amis de la Syrie" formée par les pays hostiles à Assad qui se tient à Amman cette semaine... C’est dans ce contexte que Bachar, décidé à influencer la conférence, a confirmé le 18 mai, dans une interview accordée à des journalistes argentins, qu’il poursuivrait son mandat jusqu’en 2014, fait évident dès lors que l’Occident n’est pas intervenu militairement en faveur des rebelles incapables de vaincre seuls. Bachar al-Assad a par ailleurs totalement nié l’utilisation par son régime d’armes chimiques – selon lui prétexte à une périlleuse intervention occidentale – qui auraient été en revanche utilisées par les rebelles.Tout en saluant l’initiative russo-américaine, il a enfin averti qu’il sera impossible de faire respecter un cessez-le-feu par une rébellion divisée composée de centaines de groupes sunnites unis par la seule volonté de détruire Bachar et l’axe-chiite Iran-Syrie-Hezbollah.
Il est vrai que le conflit syrien tourne de plus en plus en guerre de religion, ceci dans le cadre de révolutions arabes soutenues par les pétromonarchies sunnites qui aident partout les islamistes à renverser les régimes laïques et l’axe chiite syro-libano-irakien soutenu par l’Iran. Dans ce contexte, la stratégie de Téhéran consiste à renforcer le Hezbollah libanais chiite, dont 8 000 miliciens sont déployés en Syrie pour aider Assad à sécuriser les zones qu’il contrôle. D’où les raids israéliens en Syrie sur des armements destinés au Hezbollah : ces raids ne visaient pas à appuyer les rebelles mais à empêcher le renforcement du Hezbollah, qui pourrait déclencher une offensive sur le Nord d’Israël en cas de raid israélien ou américain sur l’Iran (qui cherche à se doter de l’arme nucléaire).
Moins médiatisée que la guerre sunnites-chiites, celle menée par les sunnites contre les chrétiens, accusés de soutenir Assad, est une autre composante de la guerre civile syrienne. Il est vrai que, bien qu’un chrétien, Georges Sabra, ait été élu président du Conseil National Syrien en novembre 2012, la plupart des chrétiens soutiennent le régime de Damas. Rappelons que l’un des créateurs du parti au pouvoir à Damas, le Baas, était un chrétien (Michel Aflaq) et que des chrétiens ont occupé des postes importants sous Bachar, comme le ministre de la Défense, Daoud Rajha, nommé en 2011 et tué dans un attentat à Damas en juillet 2012. Coincés entre le régime - qui les somme de prendre position pour lui - et l’opposition sunnite, qui leur demande de prendre les armes à ses côtés, les chrétiens ont peur : ainsi, 80 000 chrétiens de Homs ont fui vers Damas ou Beyrouth et 1/3 des chrétiens ont déjà fui la Syrie. D’après la Commission d'enquête internationale indépendante sur la Syrie, l’opposition armée multiplie les attaques contre les minorités.
Comme en Irak, les Chrétiens, souvent aisés, sont les cibles d’attaques et d'enlèvements. On peut citer par exemple les chrétiens de Maaloula pris en otage en décembre 2012 ; ceux de Qusayr enlevés en juillet 2012 ; les assyro-chaldéens de Hassaké enlevés puis obligés à envoyer leurs enfants rejoindre l'opposition armée ; l’assassinat en août 2012 de 12 chrétiens à Jaramana ; l’explosion d’une bombe en pleine messe le 21 octobre dans le quartier chrétien historique de Damas, Bab Touma (15 chrétiens tués) ; l’assassinat de 8 autres chrétiens et de 12 druzes le 28 novembre à Jaramana dans des attentats visant les "communautés anti-rébellion" ; le cas atroce du prêtre grec-orthodoxe, Fadi Jamil Haddad, curé de Saint Elie à Qatana, qui fut scalpé et à qui on arracha les yeux pour avoir tenté de libérer un paroissien pris en otage ; et l’enlèvement, le 22 avril dernier, près d’Alep, des évêques Yohanna Ibrahim et Paul Yazigi, durant une mission humanitaire, etc…
Autant de faits qui inquiètent le Vatican - le Pape François a dénoncé les persécutions de chrétiens - et qui sont dénoncés par les médias et le pouvoir russes, qui se présente comme le protecteur des chrétiens d’Orient face aux islamistes "soutenus par l’Occident". Il est vrai que les pays occidentaux semblent plus préoccupés par les intérêts de leurs "alliés" sunnites du Golfe que par ceux de leurs coreligionnaires chrétiens de Syrie... Si l’Iran chiite défend les “frères” chiites d’Irak, de Syrie et du Liban face aux Sunnites ; si les monarchies du Golfe et la Turquie soutiennent les "frères” sunnites de Syrie face aux chiites-alaouïtes, l’Occident post-chrétien n’a quant à lui jamais défendu les chrétiens d’Egypte, du Pakistan, du Nigeria ou du Soudan persécutés par les sunnites… Les puissances de l’OTAN, qui voient toujours dans la Russie l’ennemi soviétique de la guerre froide, ont en revanche souvent envoyé, depuis 1990, leurs troupes contre des régimes pro-russes (Serbie de Milosevic, Irak de Saddam Hussein, Libye de Kadhafi, etc), notamment par "solidarité" avec leurs "alliés" pétroliers du Golfe et l’Organisation de la Conférence islamique qui exigeaient de défendre la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Koweït, les rebelles islamistes libyens et maintenant syriens.
http://www.atlantico.fr/decryptage/syrie-face-solution-russe-ou-retour-case-depart-alexandre-del-valle-731987.html#dWsAeQRg5au08Zhc.99
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