Le Nil coule devant moi dans sa paisible majesté. Attablé sur une terrasse, je ne me lasse pas de contempler ces eaux mythiques, tout en tentant d’avaler une « White Bull 1 », la bière locale, la disputant aux dizaines de mouches qui nous assaillent, la bière et moi.
La proximité de ce large cours d’eau fait remonter en moi de vieux souvenirs. Il y a 24 années, je passais trois semaines en le remontant de Kosti à Malakal, à bord de barges chargées de nourriture. Pour le PAM 2, je devais surveiller l’acheminement et la distribution de cette aide alimentaire aux populations déplacées et affamées. Ces gens étaient les victimes d’une guerre cruelle qui allait encore se poursuivre pendant seize autres longues années, faisant plus de 2 millions de morts. Morts de faim, morts d’épidémies, morts lors des combats que livrait la SPLA 3 à l’armée et aux milices de Khartoum. Cette guerre fit rarement la une des grands médias. En ce qui me concerne, elle fait intimement partie de ma vie depuis 1989, année de cette étrange « croisière » sur le Nil. Après cette première expérience au Soudan du Sud, je devais retourner à de nombreuses reprises dans ce qui n’était pas encore un pays indépendant. Je fus chaque fois témoin des horreurs de cette guerre.
Je suis de retour dans ce pays, indépendant depuis juillet 2011. Lors du retour de la paix, le plus haut des immeubles de Juba comptait trois étages seulement. Peu de voitures circulaient dans les rues défoncées. Aujourd’hui, de nombreux bâtiments de plus de dix étages s’élèvent un peu partout. Aux heures de pointe, on se retrouve bloqué dans les embouteillages. La superficie de la ville a été multipliée par quatre. Les avenues de la capitale, fraîchement goudronnées, sont encombrées par des centaines de gros 4×4. Les ordures s’accumulent le long des rues. Bouteilles en plastique, cannettes vides et immondices sont jetés dans le Nil. Les bords du fleuve en sont jonchés, alors que d’autres sont emportés par le courant, vers le Soudan, l’Égypte et la Méditerranée…
L’argent du pétrole, ressource qui fournit 98 % des revenus du pays, semble avoir attiré beaucoup de monde. On se bouscule pour signer des contrats. Les pétrodollars et l’aide internationale coulent à flots. Mais la vaste majorité de la population, largement analphabète, n’a toujours pas accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins médicaux et à l’éducation. Pire, des combats meurtriers se poursuivent dans plusieurs régions du pays, entre ethnies rivales, entre l’armée et des « rebelles ».
Le développement d’un pays ne se fait pas avec des véhicules 4×4 luxueux ou des contrats douteux. La République du Soudan du Sud a grand besoin de paix et de stabilité, de dirigeants vertueux qui ne se laisseront pas séduire par les promesses d’« investisseurs » avides. Des actions d’urgence doivent être menées dans les domaines de l’éducation, de la santé et des infrastructures de base, afin d’éviter que les frustrations engendrées par l’enrichissement trop visible de quelques-uns, locaux et étrangers, ne conduisent à un nouveau conflit. Le Sud-Soudan a connu 40 années de guerre entre 1955 et 2005. Il lui faut à présent bénéficier d’une paix durable et de l’établissement d’un État de droit pour enfin devenir un« pays en voie de développement » !
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