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La désintégration de la Syrie et de l’Irak est une nouvelle étape vers un profond changement dans notre région. La vraie question se pose de savoir si les extrémistes de la nébuleuse Al-Qaïda auront la mainmise complète sur le Proche-Orient et domineront la situation ou si les modérés garderont toujours un rôle d’influence ?
La majorité des observateurs s’accorde pour dire qu’une partie des frontières du Moyen-Orient moderne, tracées suite aux Accords Sykes-Picot de 1916, est à la veille d’une modification fondamentale qui pourrait les voir s’effacer complètement.
La fin des Accords Sykes-Picot est actuellement sur toutes les lèvres. David Ignatius du Washington Postavait mis en garde les Russes en prédisant que la dissolution des frontières actuelles au Moyen-Orient les touchera principalement. Elliot Abrams, vice-Conseiller à la Sécurité nationale au sein de l’administration Bush, avait aussi écrit sur l’effritement de ces accords. Et Antoine Basbous, orfèvre en la matière et directeur de l’Observatoire des pays arabes à Paris a prédit dans le Figaro du 12 avril dernier que « le tsunami arabe et ses répliques ont donné un coup de grâce aux frontières artificielles tracées dans le cadre des Accords Sykes-Picot. »
Pour mieux comprendre l’importance de ce changement, il convient d’analyser les bases de ces accords qui ont défini les frontières de cinq pays de la région. Au cours de la Première Guerre mondiale, en octobre 1916, Sir Mark Sykes, représentant la Grande-Bretagne, et Georges Picot, représentant la France, sont parvenus à signer un accord secret sur le partage des territoires asiatiques de l’Empire ottoman en les plaçant dans des sphères d’influence sous la souveraineté des deux pays.
Ainsi, dès que la Société des Nations a établi les mandats sur les anciens territoires ottomans, le mandat sur la Syrie et le Liban a été confié à la France ; celui de l’Irak aux Britanniques. Au fil des années ces régimes mandataires ont conduit à un renforcement de la minorité alaouite sur la majorité sunnite en Syrie, et à une domination de la minorité sunnite sur la majorité chiite en Irak.
Les Accords Sykes-Picot ont également attribué à la Grande-Bretagne un mandat sur la Palestine, qui était en fait un territoire connu par les résidents arabes de l’époque comme « Surya al-Janubiyya » (la Syrie du Sud) ; le nord de la Syrie étant sous mandat français.
A l’heure actuelle, la plupart des observateurs évoquent surtout les frontières de 600 kms séparant la Syrie de l’Irak. Selon le New York Times la Syrie se désintègre en trois parties :
- La région loyale à Assad ;
- La région fidèle à l’opposition et aux rebelles ;
- La région kurde ayant des relations avec l’Irak du nord et certains groupes kurdes en Turquie.
L’effacement du tracé des frontières selon les Accords Sykes-Picot est surtout notable côté irakien. Les multiples incidents intervenus l’année dernière font poindre en effet une dissolution éventuelle de l’Irak. En septembre prochain un nouveau pipeline acheminera directement du pétrole via la Turquie, ce qui reliera les Kurdes irakiens au marché turc et s’inscrira sans doute comme une première étape vers l’indépendance du Kurdistan. En effet, les Kurdes effectuent des affaires commerciales séparées avec des compagnies de pétrole internationales et contournent le gouvernement central irakien de Bagdad.
Toutefois, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de l’administration américaine a déclaré publiquement que les Etats-Unis s’opposaient à l’exportation du pétrole de toutes les régions de l’Irak « sans approbation appropriée du gouvernement fédéral irakien ». Washington s’oppose aussi aux initiatives économiques kurdes pouvant conduire à la dissolution de l’Irak en trois mini-Etats : kurde, chiite et sunnite. En réalité, l’Iran dominera les zones chiites d’Irak mais le flou demeure sur les zones sunnites telles que la province d’Al-Anbar.
Cette dernière année, des forces djihadistes des tribus arabes sunnites en Irak se sont jointes aux rebelles dans la lutte contre le régime d’Assad et offrent un nouvel espoir aux Arabes sunnites d’Irak.
L’ancien ambassadeur des Etats Unis en Irak, Ryan Crocker, a écrit récemment dans le Washington Postqu’al-Qaïda s’est à nouveau installée dans les régions où elle a été vaincue par les forces américaines et irakiennes. Il n’est pas surprenant que Crocker définisse la force djihadiste Jabhat al-Nousra de filiale d’al-Qaïda en Syrie.
Au mois de mars dernier, lors des exécutions de 11 soldats syriens sur la place publique de la ville Raqqa au nord du pays, on a aperçu un drapeau d’al-Qaïda d’Irak flotter aux quatre-vents. Un commentateur irakien avait souligné que depuis 2011 des voix religieuses appelaient aussi à effacer l’ancienne frontière irako-syrienne et unir ainsi les régions sunnites des deux côtés.
Avec la désintégration de la Syrie et la balkanisation de l’Irak, il est probable que les Arabes sunnites aspireront à obtenir des alliances avec leurs voisins. Cependant, une domination politique de la filiale d’al-Qaïda aboutirait à l’émergence d’un nouvel Afghanistan au cœur du monde arabe.
Toutefois, si des forces plus modérées émergeaient au sein des sunnites d’Irak, alors il serait probable qu’ils envisageraient des liens fédéraux avec leur voisine sunnite située à l’ouest, à savoir la Jordanie qui leur permettra d’avoir un accès direct à la mer Rouge.
En conclusion, toutes les hypothèses sur l’évolution des systèmes politiques en Syrie et en Irak aboutiront, tôt ou tard, à une nouvelle carte du Moyen-Orient, bien différente de celle tracée par la Grande-Bretagne et la France il y a déjà presque un siècle.
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