Début avril encore, le quartier de Cheikh Maqsoud, au nord d'Alep, jouissait du même calme que les villages kurdes du nord-est, seule région du nord de la Syrie où aucun tir ni explosion ne résonne, où aucun immeuble n'a été éventré par un bombardement aérien. Mais depuis une quinzaine de jours et au terme d’âpres combats, la rébellion a réussi à y prendre pied. La réaction du régime de Bachar al-Assad ne s’est pas fait attendre : depuis le 8 avril, un déluge de bombe s’abat sur Cheikh Maqsoud que la quasi-totalité de ses habitants a déserté.
"Depuis le début, le but des Kurdes est de préserver leurs zones des violences", explique Fabrice Balanche, chercheur spécialiste de la Syrie, directeur du Groupe de recherches pour la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO). "Certains ont négocié avec le régime en promettant leur soutien contre la garantie que ce dernier ne bombarderait pas leurs quartiers", poursuit-il.
"Jeu trouble"
Dans certains endroits d’Alep, les Kurdes n’avaient ainsi pas hésité à prêter main forte aux forces de Bachar al-Assad pour contrer l’avancée des rebelles. C’était le cas à Cheikh Maqsoud. Essentiellement habité par des Kurdes, le quartier qui surplombe Alep jouit d’une position stratégique. À l'été 2012, l'armée régulière s'en était même retirée, laissant aux milices kurdes du Parti de l'union démocratique (PYD) le soin d’y assurer la sécurité. Le PYD est considéré comme la branche syrienne du PKK turc. Mais la prise du quartier par les rebelles début avril semble attester d’un retournement de situation. Car selon des sources rebelles et kurdes, les milices du PYD auraient combattu aux côtés de la rébellion cette fois.
"Il y a en effet un jeu trouble de la part des Kurdes en ce moment en Syrie", observe Fabrice Balanche. "En ce moment, il semble que les Kurdes opèrent un retournement car ils croient que l’opposition va peut-être l’emporter. Ils tentent donc de lui donner des gages de bonne volonté", analyse le chercheur qui insiste sur le fait que "les Kurdes ont toujours eu leur propre agenda". Il explique que la majorité d’entre eux, qui vit dans le nord à la frontière avec la Turquie, souhaite en effet constituer un réduit kurde.
Fabrice Balanche met toutefois en garde contre le risque de tirer des conclusions hâtives. "Les Kurdes de Syrie ne parlent pas tous d’une même voix selon leur situation géographique et sont de surcroît très divisés", explique-t-il. Ainsi, si dans le nord la majorité veut l’indépendance, certains ont néanmoins rejoint la rébellion et contestent la mainmise du PYD sur leurs zones. "Ces tensions internes peuvent expliquer le tournant que constitue la prise de Cheikh Maqsoud", ajoute Fabrice Balanche. Quant à ceux qui vivent à Damas depuis plusieurs générations, ils se revendiquent d’une double identité arabo-kurde, et nombre d’entre eux ont rejoint l’opposition.
Au vu de la fragmentation de la communauté kurde, on ne peut exclure enfin les problèmes localisés. "Il y a parfois des histoires de clans, raconte encore le cherceur. Un jour, l’armée syrienne a bombardée un immeuble où vivait des Kurdes. Et on m’a raconté que cette famille en question était en conflit avec des shabihas [milices du régime, NDLR], le régime a fait cela pour soutenir ses hommes de main".
Rupture entre le régime et la minorité kurde ?
Majoritaire dans le nord-est du pays, la minorité kurde est également présente dans les grandes villes et représente environ 15% de la population du pays. À Alep, ils sont 20%. Depuis le début de la révolte il y a deux ans, ils ont tenté de garder leurs régions à l'abri des violences, interdisant aux rebelles d’y pénétrer pour éviter les bombardements de l’armée. Ainsi, à Ras el-Aïn, à l’extrémité nord-est du pays, de violents combats avaient opposé fin 2012, trois mois durant, rebelles et Kurdes quand des insurgés islamistes avaient voulu s’emparer de la ville. Une trêve avait finalement été signée en février 2013 grâce à la médiation de l’opposant Michel Kilo.
Et depuis le début du confit, le régime a de son côté cherché à s’assurer du soutien des minorités dont les Kurdes, donnant à ces derniers certains gages. Mais l’entente semble désormais révolue, du moins par endroits. "Nous sommes pour la révolution, contre le régime baasiste qui a spolié nos droits, mais nous avons adopté une tactique défensive, jamais offensive, nous ne faisons que riposter. Ce fut le cas à Cheikh Maqsoud", explique à l’AFP un cadre du PYD à Afrine, ville à majorité kurde située au nord d'Alep.
Un autre évènement récent semble en effet confirmer cela : dimanche 14 avril, un raid aérien meurtrier a été mené sur la localité kurde de Haddad, dans le nord-est du pays. Quinze personnes ont été tuées, en majorité des femmes et des enfants. Le régime syrien a mené la semaine dernière une série d'opérations militaires contre des zones rurales des environs de Kamichli, où les combats entre insurgés et soldats sont intensifiés, mais l’attaque contre Haddad est la plus meurtrière menée par l'armée syrienne contre des Kurdes depuis le début du soulèvement en mars 2011.
Selon des sources kurdes citées par Reuters, il semblerait qu'un groupe d'insurgés spécialisés dans l'attaque de puits de pétrole s'était déployé sur une colline des environs du village. Cela pourrait expliquer le bombardement, mais il semble que l’entente tacite entre régime et Kurdes soit enterrée. Le Conseil national kurde a en effet qualifié l’attaque de "grave escalade de la part du régime".
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