lundi 30 avril 2012

L'étrange victoire de Marine Le Pen

Voici une analyse précise et méthodique des résultats de Marine Le Pen : un FN en forte baisse dans les grandes villes et victime du « grand remplacement » dans les banlieues ; un FN qui se heurte à un plafond de verre dans ses bastions ouvriers et les villes du sud ; mais qui est en position de force dans le périurbain et les zones rurales : un FN qui doit se rechercher un ancrage territorial s’il veut éviter les lendemains qui déchantent. Une étude solide d’Etienne Lahyre, élève à l’ENA et correspondant de Polémia.
Polémia

Lors du premier tour de l'élection présidentielle, près de 6.500.000 de nos compatriotes ont apporté leurs suffrages à Marine Le Pen : près d'un million de voix de plus que le total réuni par son père le 5 mai 2002. Avant Marine Le Pen, le bloc national n'avait jamais compté autant de partisans. En dépit d'erreurs stratégiques (telles que la priorité initialement donnée à la sortie de l'euro, qui a effrayé l'électorat âgé et l'a poussé dans les bras du Sarkozysme qu'il était pourtant prêt à massivement abandonner) et d'approximations tactiques (dédiabolisation et course à la crédibilité maladroites et peu mobilisatrices, refus de débattre avec Mélenchon, sur le plateau de France 2), la campagne de Marine Le Pen a été cohérente et pugnace.
Et son score élevé fait naître de nombreux espoirs que la nouvelle géographie électorale du vote frontiste doit pourtant sérieusement tempérer.
En effet, le tableau suivant fait apparaître des évolutions contrastées depuis 1995. Y sont indiqués le score du Front national (auquel est ajouté le résultat de Bruno Mégret en 2002) lors des quatre dernières élections présidentielles, ainsi que le rapport entre le score obtenu sur le territoire et le score national afin de mieux cerner les dynamiques électorales.
Six types de territoire sont représentés :
  • – Paris, et quatre capitales régionales ;
  • – des villes bourgeoises de banlieue parisienne ;
  • – des villes populaires, qui constituaient des bastions du Front national au milieu des années 1980 au début des années 1990 ;
  • – des villes du sud de la France fortement ancrées à droite, et offrant au Front ses meilleurs scores depuis 1984 ;
  • – des villes à tradition industrielle et ouvrière ;
  • – des départements comptant parmi les plus ruraux de France, et qui ont longtemps constitué des terres de mission pour le Front national.
1. Le FN en forte baisse dans les grandes villes
C'est dans les grandes villes que l'évolution électorale apparaît la plus défavorable : disposant d'une base essentiellement urbaine à l'origine, le FN décline dans l'ensemble des grandes agglomérations. Son score brut de 2012 est systématiquement inférieur à celui obtenu en 1995.
Les causes de cette désaffection sont connues : concentration de l'emploi qualifié dans les métropoles, désindustrialisation des villes et départs massifs des ouvriers et des employés ne pouvant plus faire face aux coûts de logement, gentrification des anciens quartiers ouvriers (tels le quartier de la Bastille à Paris) et proportion de plus en plus importante de Français issus de l'immigration dans le corps électoral.
L'évolution sociologique des centres-villes pénalise aussi la droite parlementaire : les cantons de centres-villes qui constituaient ses fiefs sont devenus des zones de force des socialistes et des Verts depuis le début des années 2000. Ce sont aussi les territoires qui ont le plus voté en faveur de la Constitution européenne en 2005, à contre-courant du reste du pays.
Dans les villes bourgeoises traditionnelles, le FN se maintient globalement à un niveau faible, bien inférieur à celui observé au milieu des années 1980 que permettait un discours plus libéral auquel les catégories aisées étaient sensibles.
2. Dans les villes de banlieue, le FN victime du « grand remplacement » (Renaud Camus)
Le Tonnerre de Dreux, en 1983, marque le début de l'émergence du Front national. Six ans plus tard, Marie-France Stirbois est triomphalement élue député lors d'une législative partielle : elle perd de très peu son siège en 1993 mais fait son entrée au Conseil général en 1994. Après des défaites plus nettes aux municipales de 1995 et aux législatives de 1997, Marie-France Stirbois prend conscience du caractère quasiment inexorable du déclin du FN à Dreux. Ce phénomène se retrouve aujourd'hui dans la totalité des villes de banlieue : il est particulièrement spectaculaire à Clichy-sous-Bois ou Saint-Priest, villes que le Front national était à deux doigts de conquérir lors des municipales de 1995. Sur ces communes, Marine Le Pen perd respectivement 40 et 20% des voix obtenues par Jean-Marie Le Pen en 1995. Les Français de souche quittent en effet massivement les banlieues, où ils se sentent étrangers dans leur propre pays, au profit des espaces périurbains et ruraux.
3. Bastions et plafonds de verre
Dans les communes du sud de la France souvent marquées par l’histoire douloureuse des rapatriés et des harkis, ainsi que dans ses bastions ouvriers, le FN maintient ses scores élevés, mais semble avoir atteint les limites de son potentiel électoral.Dans aucune des villes considérées Marine Le Pen ne retrouve les résultats historiques de 2002 ; et si ses scores sont supérieurs à ceux enregistrés au milieu des années 1990, la dynamique électorale s’essouffle, faute de travail de terrain et d’implantation durable de cadres crédibles comparable à celles menées à Dreux ou à Vitrolles dans les années 1980 et 1990.
4. Le FN désormais en position de force dans le périurbain et les zones rurales
A l’origine, le vote FN était fort dans les grandes agglomérations situées à l’est d’une ligne Le Havre/Perpignan. En 2002, le résultat historique de Jean-Marie Le Pen est dû à un « vote de sous-préfecture » : le FN commence déjà à plafonner, voire à décroître dans les grandes agglomérations, mais connaît une forte progression dans les villes moyennes. Cinq ans plus tard, le reflux national du vote FN est bien moindre dans les zones rurales, ainsi qu’en Picardie et Nord-Pas-de-Calais. Enfin, le 22 avril dernier, Marine Le Pen arrive en tête dans de nombreuses petites communes et réalise une véritable percée dans la France de l’uuest, jusqu’alors terre de mission pour le Front national.
Dans son Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Ed. Autrement), Christophe Guilluy indique que ce sont ces territoires, situés à l’ouest de la ligne Le Havre/Perpignan qui ont vu la part d’ouvriers–employés dans la population active de leurs communes fortement augmenter entre les années 1980 et les années 2000. Et par conséquent, c’est à l’ouest de cette diagonale que l’on trouve désormais un nombre croissant de familles à revenu modeste.
En Picardie, qui est désormais la première région frontiste de France, et en Nord-Pas-de-Calais, le chômage des jeunes est au plus haut : c’est cette jeunesse, précarisée, déclassée, victime directe des discours encourageant la discrimination positive au profit des seules jeunes d’origine étrangère, qui a rejoint massivement Marine Le Pen, après avoir contribué à rejeter fortement la Constitution européenne en 2005.
Le vote des campagnes devient aussi un vote de prévention face à la montée de l’insécurité et à une présence étrangère jugée excessive : cet effet de halo, qui caractérisait notamment le vote FN en Alsace dans les années 1990 (plus fort dans les campagnes que dans les villes à l’exception de Mulhouse) s’étend désormais aux territoires ruraux de l’ouest. La judicieuse campagne de Marine Le Pen en direction de la France des « invisibles » a parfaitement saisi la double dimension du vote FN (préservation d’un mode de vie et refus du déclassement) dans ses territoires.
Des lendemains qui déchantent ?
Le FN aborde les élections législatives de juin prochain avec optimisme du fait de son score inédit du 1er tour de l'élection présidentielle et de la large défaite, très probablement à venir, du président sortant au deuxième tour. Certains sites Internet évoquent déjà 353 triangulaires possibles ; Le Figaro du 26 avril 2002 en prédisait 237 : il y en eu… 9, toutes largement perdues par le Front national.
Le rôle des élections législatives, dans la vie politique française, a été profondément bouleversé par trois éléments :
  • – la dissolution de 1997 qui a avancé d'un an le renouvellement de l'Assemblée nationale prévu initialement en mars 1998 ;
  • – l'adoption du quinquennat en 2000, suite à laquelle les élections législatives ont lieu la même année que l'élection présidentielle ;
  • – l'inversion du calendrier électoral décidée par Jospin : persuadé de battre Chirac à la présidentielle de 2002, le premier ministre de l'époque décida que les élections législatives se tiendraient après l'élection présidentielle (raisonnement qui correspond d'ailleurs à la logique de nos institutions).
Les élections législatives n'ont plus de rôle structurant : elles ne sont que des élections de seconde zone, confirmatives du choix des Français au deuxième tour de l'élection présidentielle.
Le tableau suivant en atteste :
                             Présidentielle  Législatives  Législatives  Présidentielle  Législatives  Présidentielle  Législatives 
                              1988              1988              1997               2002            2002              2007               2007
Participation              81,35             65,74             67,92              71,6               64,42             83,77              60,42
Score FN                    14,38               9,66             14,94              16,89             11,1                10,44                4,29
Nombre de                                         8                 79                                           9                                      Aucune
triangulaires                                                                                                                                                           
Nombre de députés FN                       1                  1                                            0                                              0
Deux phénomènes apparaissent systématiquement : la diminution de la participation aux élections législatives et la baisse de 5 à 6 points enregistrée par le Front national entre son score à l’élection présidentielle et celui obtenu aux législatives.
Les législatives de juin prochain ne devraient pas échapper à la règle, et le FN n'a que très peu de chances d'obtenir ne serait-ce qu'un seul élu.
Présent au deuxième tour dans près de 500 cantons lors des élections cantonales de 2011, le Front national n'a réussi à obtenir que 2 sièges, alors même que les résultats du premier tour (19,2% de moyenne sur les cantons où le Front disposait d'un candidat) laissaient espérer une dizaine d'élus.
A moyen terme, la nouvelle géographie du vote FN rend quasi impossible la conquête de grandes villes telles Toulon en 1995, voire de villes de taille moyenne. En outre, la faiblesse de l'appareil local du Front et le peu de crédibilité de la plupart de ses candidats obèrent également ses chances. Or, ce sont les élections municipales qui permettent de creuser les sillons les plus durables en faisant ses preuves à la tête d'un exécutif, en fidélisant un électorat et en élargissant son socle : le PCF dispose encore aujourd'hui de près de 100 municipalités de villes de plus de 10.000 habitants ; pourtant moribond après l’élection présidentielle de 2007 (1,9% pour Marie-Georges Buffet), il est parvenu à sauver son groupe parlementaire aux élections législatives qui ont suivi.
Il appartient au Front national de dépasser la logique histrionique de l'élection présidentielle et de se réinscrire prioritairement dans une vraie perspective d'ancrage territorial.
Etienne Lahyre
27/04/2012

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