Voici une analyse précise et
méthodique des résultats de Marine Le Pen : un FN en forte baisse dans
les grandes villes et victime du « grand remplacement » dans les
banlieues ; un FN qui se heurte à un plafond de verre dans ses bastions
ouvriers et les villes du sud ; mais qui est en position de force dans
le périurbain et les zones rurales : un FN qui doit se rechercher un
ancrage territorial s’il veut éviter les lendemains qui déchantent. Une
étude solide d’Etienne Lahyre, élève à l’ENA et correspondant de
Polémia.
Polémia
Lors du premier tour de l'élection
présidentielle, près de 6.500.000 de nos compatriotes ont apporté leurs
suffrages à Marine Le Pen : près d'un million de voix de plus que le
total réuni par son père le 5 mai 2002. Avant Marine Le Pen, le bloc
national n'avait jamais compté autant de partisans. En dépit d'erreurs
stratégiques (telles que la priorité initialement donnée à la sortie de
l'euro, qui a effrayé l'électorat âgé et l'a poussé dans les bras du
Sarkozysme qu'il était pourtant prêt à massivement abandonner) et
d'approximations tactiques (dédiabolisation et course à la crédibilité
maladroites et peu mobilisatrices, refus de débattre avec Mélenchon, sur
le plateau de France 2), la campagne de Marine Le Pen a été cohérente
et pugnace.
Et son score élevé fait naître de
nombreux espoirs que la nouvelle géographie électorale du vote frontiste
doit pourtant sérieusement tempérer.
En effet, le tableau suivant fait
apparaître des évolutions contrastées depuis 1995. Y sont indiqués le
score du Front national (auquel est ajouté le résultat de Bruno Mégret
en 2002) lors des quatre dernières élections présidentielles, ainsi que
le rapport entre le score obtenu sur le territoire et le score national
afin de mieux cerner les dynamiques électorales.
Six types de territoire sont représentés :
- – Paris, et quatre capitales régionales ;
- – des villes bourgeoises de banlieue parisienne ;
- – des villes populaires, qui constituaient des bastions du Front national au milieu des années 1980 au début des années 1990 ;
- – des villes du sud de la France fortement ancrées à droite, et offrant au Front ses meilleurs scores depuis 1984 ;
- – des villes à tradition industrielle et ouvrière ;
- – des départements comptant parmi les plus ruraux de France, et qui ont longtemps constitué des terres de mission pour le Front national.
1. Le FN en forte baisse dans les grandes villes
C'est dans les grandes villes que
l'évolution électorale apparaît la plus défavorable : disposant d'une
base essentiellement urbaine à l'origine, le FN décline dans l'ensemble
des grandes agglomérations. Son score brut de 2012 est systématiquement
inférieur à celui obtenu en 1995.
Les causes de cette désaffection sont
connues : concentration de l'emploi qualifié dans les métropoles,
désindustrialisation des villes et départs massifs des ouvriers et des
employés ne pouvant plus faire face aux coûts de logement,
gentrification des anciens quartiers ouvriers (tels le quartier de la
Bastille à Paris) et proportion de plus en plus importante de Français
issus de l'immigration dans le corps électoral.
L'évolution sociologique des
centres-villes pénalise aussi la droite parlementaire : les cantons de
centres-villes qui constituaient ses fiefs sont devenus des zones de
force des socialistes et des Verts depuis le début des années 2000. Ce
sont aussi les territoires qui ont le plus voté en faveur de la
Constitution européenne en 2005, à contre-courant du reste du pays.
Dans les villes bourgeoises
traditionnelles, le FN se maintient globalement à un niveau faible, bien
inférieur à celui observé au milieu des années 1980 que permettait un
discours plus libéral auquel les catégories aisées étaient sensibles.
2. Dans les villes de banlieue, le FN victime du « grand remplacement » (Renaud Camus)
Le Tonnerre de Dreux, en 1983, marque le
début de l'émergence du Front national. Six ans plus tard, Marie-France
Stirbois est triomphalement élue député lors d'une législative
partielle : elle perd de très peu son siège en 1993 mais fait son entrée
au Conseil général en 1994. Après des défaites plus nettes aux
municipales de 1995 et aux législatives de 1997, Marie-France Stirbois
prend conscience du caractère quasiment inexorable du déclin du FN à
Dreux. Ce phénomène se retrouve aujourd'hui dans la totalité des villes
de banlieue : il est particulièrement spectaculaire à Clichy-sous-Bois
ou Saint-Priest, villes que le Front national était à deux doigts de
conquérir lors des municipales de 1995. Sur ces communes, Marine Le Pen
perd respectivement 40 et 20% des voix obtenues par Jean-Marie Le Pen en
1995. Les Français de souche quittent en effet massivement les
banlieues, où ils se sentent étrangers dans leur propre pays, au profit
des espaces périurbains et ruraux.
3. Bastions et plafonds de verre
Dans les communes du sud de la France
souvent marquées par l’histoire douloureuse des rapatriés et des harkis,
ainsi que dans ses bastions ouvriers, le FN maintient ses scores
élevés, mais semble avoir atteint les limites de son potentiel
électoral.Dans aucune des villes considérées Marine Le Pen ne retrouve
les résultats historiques de 2002 ; et si ses scores sont supérieurs à
ceux enregistrés au milieu des années 1990, la dynamique électorale
s’essouffle, faute de travail de terrain et d’implantation durable de
cadres crédibles comparable à celles menées à Dreux ou à Vitrolles dans
les années 1980 et 1990.
4. Le FN désormais en position de force dans le périurbain et les zones rurales
A l’origine, le vote FN était fort dans
les grandes agglomérations situées à l’est d’une ligne Le
Havre/Perpignan. En 2002, le résultat historique de Jean-Marie Le Pen
est dû à un « vote de sous-préfecture » : le FN commence déjà à
plafonner, voire à décroître dans les grandes agglomérations, mais
connaît une forte progression dans les villes moyennes. Cinq ans plus
tard, le reflux national du vote FN est bien moindre dans les zones
rurales, ainsi qu’en Picardie et Nord-Pas-de-Calais. Enfin, le 22 avril
dernier, Marine Le Pen arrive en tête dans de nombreuses petites
communes et réalise une véritable percée dans la France de l’uuest,
jusqu’alors terre de mission pour le Front national.
Dans son Atlas des nouvelles fractures sociales
en France (Ed. Autrement), Christophe Guilluy indique que ce sont ces
territoires, situés à l’ouest de la ligne Le Havre/Perpignan qui ont vu
la part d’ouvriers–employés dans la population active de leurs communes
fortement augmenter entre les années 1980 et les années 2000. Et par
conséquent, c’est à l’ouest de cette diagonale que l’on trouve désormais
un nombre croissant de familles à revenu modeste.
En Picardie, qui est désormais la
première région frontiste de France, et en Nord-Pas-de-Calais, le
chômage des jeunes est au plus haut : c’est cette jeunesse, précarisée,
déclassée, victime directe des discours encourageant la discrimination
positive au profit des seules jeunes d’origine étrangère, qui a rejoint
massivement Marine Le Pen, après avoir contribué à rejeter fortement la
Constitution européenne en 2005.
Le vote des campagnes devient aussi un
vote de prévention face à la montée de l’insécurité et à une présence
étrangère jugée excessive : cet effet de halo, qui caractérisait
notamment le vote FN en Alsace dans les années 1990 (plus fort dans les
campagnes que dans les villes à l’exception de Mulhouse) s’étend
désormais aux territoires ruraux de l’ouest. La judicieuse campagne de
Marine Le Pen en direction de la France des « invisibles » a
parfaitement saisi la double dimension du vote FN (préservation d’un
mode de vie et refus du déclassement) dans ses territoires.
Des lendemains qui déchantent ?
Le FN aborde les élections législatives
de juin prochain avec optimisme du fait de son score inédit du 1er tour
de l'élection présidentielle et de la large défaite, très probablement à
venir, du président sortant au deuxième tour. Certains sites Internet
évoquent déjà 353 triangulaires possibles ; Le Figaro du 26 avril 2002 en prédisait 237 : il y en eu… 9, toutes largement perdues par le Front national.
Le rôle des élections législatives, dans la vie politique française, a été profondément bouleversé par trois éléments :
- – la dissolution de 1997 qui a avancé d'un an le renouvellement de l'Assemblée nationale prévu initialement en mars 1998 ;
- – l'adoption du quinquennat en 2000, suite à laquelle les élections législatives ont lieu la même année que l'élection présidentielle ;
- – l'inversion du calendrier électoral décidée par Jospin : persuadé de battre Chirac à la présidentielle de 2002, le premier ministre de l'époque décida que les élections législatives se tiendraient après l'élection présidentielle (raisonnement qui correspond d'ailleurs à la logique de nos institutions).
Les élections législatives n'ont plus de
rôle structurant : elles ne sont que des élections de seconde zone,
confirmatives du choix des Français au deuxième tour de l'élection
présidentielle.
Le tableau suivant en atteste :
Présidentielle Législatives Législatives Présidentielle
Législatives Présidentielle Législatives
1988 1988 1997 2002 2002 2007 2007
1988 1988 1997 2002 2002 2007 2007
Participation 81,35 65,74
67,92 71,6 64,42 83,77
60,42
Score
FN 14,38 9,66
14,94 16,89 11,1 10,44
4,29
Nombre de 8 79
9
Aucune
triangulaires
triangulaires
Nombre de députés FN 1 1
0
0
Deux phénomènes apparaissent
systématiquement : la diminution de la participation aux élections
législatives et la baisse de 5 à 6 points enregistrée par le Front
national entre son score à l’élection présidentielle et celui obtenu aux
législatives.
Les législatives de juin prochain ne
devraient pas échapper à la règle, et le FN n'a que très peu de chances
d'obtenir ne serait-ce qu'un seul élu.
Présent au deuxième tour dans près de
500 cantons lors des élections cantonales de 2011, le Front national n'a
réussi à obtenir que 2 sièges, alors même que les résultats du premier
tour (19,2% de moyenne sur les cantons où le Front disposait d'un
candidat) laissaient espérer une dizaine d'élus.
A moyen terme, la nouvelle géographie du
vote FN rend quasi impossible la conquête de grandes villes telles
Toulon en 1995, voire de villes de taille moyenne. En outre, la
faiblesse de l'appareil local du Front et le peu de crédibilité de la
plupart de ses candidats obèrent également ses chances. Or, ce sont les
élections municipales qui permettent de creuser les sillons les plus
durables en faisant ses preuves à la tête d'un exécutif, en fidélisant
un électorat et en élargissant son socle : le PCF dispose encore
aujourd'hui de près de 100 municipalités de villes de plus de 10.000
habitants ; pourtant moribond après l’élection présidentielle de 2007
(1,9% pour Marie-Georges Buffet), il est parvenu à sauver son groupe
parlementaire aux élections législatives qui ont suivi.
Il appartient au Front national de
dépasser la logique histrionique de l'élection présidentielle et de se
réinscrire prioritairement dans une vraie perspective d'ancrage
territorial.
Etienne Lahyre
27/04/2012
27/04/2012
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