dimanche 1 avril 2012

La triple alliance contre la Syrie par James Petras

Alors que l’aile médiatique du dispositif pour la guerre en Syrie conforme sa version des événements au storytelling de l’OTAN, la réalité documentée sur le terrain est toute autre. Pour le professeur James Petras, il ne s’agit pas d’une guerre civile, mais d’une attaque coordonnée menée par une coalition internationale. Le gouvernement syrien ne réprime pas des manifestants pacifiques, mais combat les groupes armés des mercenaires d’Al-Qaïda.

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Quelques-unes des armes saisies lors de la libération du quartier de Baba Amr à Homs.
L’indignation exprimée par les politiciens occidentaux, les États du Golfe ainsi que par les médias au sujet du « massacre des citoyens syriens manifestant pacifiquement contre l’injustice » est cyniquement conçue pour couvrir les rapports établis sur la conquête violente de quartiers, de villages et de villes entières par des bandes armées, brandissant des fusils d’assaut et semant des bombes le long des routes.
L’assaut contre la Syrie est soutenu par des fonds, des armes et un encadrement étrangers. Du fait du manque de soutien à l’intérieur du pays, une intervention militaire directe provenant de l’extérieur sera de toute façon nécessaire pour assurer le succès de l’opération. C’est dans cette perspective qu’une immense campagne de diplomatie et de propagande a été mise en place afin de diaboliser le gouvernement légitime en Syrie. L’objectif est d’imposer un régime fantoche et de renforcer le contrôle impérial de l’Occident au Moyen-Orient. À court terme, cela permettra d’isoler l’Iran en prévision d’une attaque par Israël et les États-Unis et, à long terme, on élimine de nouveau un gouvernement laïque, indépendant, et proche de la Chine et de la Russie.
Afin de mobiliser l’opinion publique mondiale derrière ce coup de force des Occidentaux, d’Israël et des États du Golfe, plusieurs stratagèmes de propagande ont été utilisés, justifiant une nouvelle fois la violation flagrante de la souveraineté d’un pays, dans le prolongement des destructions réussies des gouvernements laïcs d’Irak et de Libye.

Le contexte général : agressions en série

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Bernard Henry Lévy en compagnie de Laurent Fabius et Bernard Kouchner, respectivement prédécesseur et potentiel successeur du ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, lors d’un meeting pour une Syrie « démocratique », le 4 juillet 2011. Absent, le leader centriste François Bayrou avait enregistré un message. Le lobbyiste était parvenu à cette occasion à faire prêter serment pour une « démocratisation » de la Syrie sur le modèle libyen à une assemblée comptant par ailleurs la responsable du parti écologiste Cécile Duflot.
La campagne actuelle de l’Occident contre le gouvernement indépendant d’Assad fait partie d’une série d’attaques contre les mouvements pro-démocratie et les régimes indépendants dans toute l’Afrique du Nord jusqu’au Golfe Persique. La réponse de l’Empire au mouvement démocratique égyptien qui renversa la dictature de Moubarak fut de soutenir la prise en main du pouvoir par la junte militaire, accompagnée d’une campagne meurtrière qui conduisit à l’emprisonnement, à la torture ou à l’assassinat de plus de 10 000 manifestants.
Face à des mouvements pro-démocratie similaires à ceux du monde arabe, les dictateurs autocrates du Golfe soutenus par l’Occident ont écrasé les soulèvements à Barhein, au Yemen et en Arabie Saoudite. Cette agressivité s’est prolongée jusqu’au gouvernement laïque de Libye, où les puissances de l’OTAN ont lancé un bombardement aéronaval massif pour appuyer les bandes de mercenaires, participant à l’anéantissement de l’économie et de la société libyenne. Le déchaînement de ces gangs armés a conduit au saccage des zones urbaines et à la dévastation de la campagne. Les forces de l’OTAN ont éliminé le gouvernement laïque de Kadhafi, faisant torturer et assassiner celui-ci par leurs mercenaires. L’OTAN à supervisé l’emprisonnement, la torture et l’élimination de dizaines de milliers de fonctionnaires, de civils et de partisans de Kadhafi. L’OTAN a soutenu le régime factice quand celui-ci s’est lancé dans un pogrom sanguinaire contre les Libyens d’ascendance sub-saharienne et les travailleurs immigrés du Sud-sahara, des groupes qui avaient jusque là bénéficié des programmes sociaux généreux de Kadhafi. La politique impériale du « Ruiner et Régner » est devenu le « modèle » pour la Syrie : créer les conditions d’un soulèvement de masse dirigé par les fondamentalistes musulmans, financés et entrainés par des mercenaires occidentaux et des États du Golfe.

La voie sanglante de Damas à Téhéran

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La secrétaire d’État Clinton en compagnie des ses homologues des Affaires étrangères Sheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyan des Émirats Arabes Unis, William Hague du Royaume-Uni et Ahmet Davutoglu de Turquie, appelant à une intervention « humanitaire » lors de la conférence des « amis de la Syrie » le 24 février 2012.
Selon le Département d’État, « le chemin vers Téhéran passe par Damas » : l’objectif stratégique de l’OTAN est de détruire le principal allié de l’Iran au Moyen-Orient ; pour les monarchies absolues du Golfe, le but est de remplacer une république laïque par une dictature théocratique vassale ; pour le gouvernement turc, il s’agit de favoriser un régime soumis au dictat de la version d’Ankara du capitalisme islamique ; pour Al-Qaïda et ses alliés salafistes et wahhabites un régime théocratique sunnite, débarrassé des syriens laïques, des alaouites et des chrétiens servira de tremplin dans le monde islamique ; et pour Israël, une Syrie divisée et ensanglantée permettra d’assurer son hégémonie régionale. Ce n’est pas sans une certaine clairvoyance prophétique que le sénateur ultra-sioniste états-unien Joseph Lieberman déclara quelques jours après les attaques du 11 septembre 2001 par « Al-Qaïda », avant même d’examiner les véritables auteurs des attentats : « d’abord nous devons nous attaquer à l’Iran, à l’Irak et à la Syrie ».
Les forces armées anti-syriennes représentent un large spectre de perspectives politiques contradictoires, unies seulement par leur haine commune pour ce régime laïque, nationaliste et indépendant qui a gouverné la complexe société multi-ethnique syrienne depuis des décennies. La guerre contre la Syrie est la rampe de lancement principale d’une future résurgence du militarisme occidental depuis l’Afrique du Nord jusque au Golfe « Persique », le tout soutenu par une campagne de propagande systématique proclamant la mission démocratique, humanitaire et « civilisatrice » de l’OTAN au nom du peuple syrien.

Le chemin de Damas est pavé de mensonges

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Combattants de l’Armée « syrienne » libre (ASL). Composée principalement de mercenaires et de fanatiques, financée par le Qatar, armée par la Turquie et encadrée par la France et la Grande-Bretagne, celle-ci n’est ni syrienne, ni libre.
Une analyse politique et sociale objective de la plupart des combattants armés en Syrie réfute toute tentative visant à convaincre que l’insurrection a pour but la démocratie pour la population de ce pays. Des guerriers fondamentalistes autoritaires forment l’épine dorsale de l’insurrection. Les États du Golfe finançant ces voyous sont eux même des monarchies absolues. Cet Occident qui impose un gouvernement de brutes mafieuses en Libye ne peut en aucun cas se réclamer d’une prétendue « intervention humanitaire ».
Les groupes armés infiltrent les villes et utilisent les foyers de population comme des boucliers d’où ils lancent leurs attaques contre les forces gouvernementales. ils procèdent en forçant des milliers de citoyens à quitter leurs habitations, leurs magasins et leurs bureaux, qu’ils utilisent alors comme avant-postes militaires. La destruction du quartier de Baba-Amr à Homs est un exemples typique de l’utilisation de civils comme boucliers humains par des gangs armés et comme support de propagande pour diaboliser un gouvernement.
Ces groupes armés de mercenaires n’ont aucune crédibilité nationale auprès de la masse syrienne. Une de leur principale unité de propagande est située au cœur de Londres, le soi-disant « Observatoire Syrien des Droits de l’Homme », agissant en étroite coordination avec les services secrets britanniques pour élaborer d’épouvantables histoires d’horreurs visant à attiser le sentiment en faveur d’une intervention de l’OTAN. Les rois et les émirs des États du Golfe, eux, financent les combattants. La Turquie fournit des bases militaires et assure le contrôle du flux des armements à travers la frontière, ainsi que les déplacements des dirigeants de la soi-disant « Armée Syrienne Libre ». Les États-Unis, la France et l’Angleterre fournissent les armes, l’entrainement et le dispositif diplomatique.
Les « jihadistes » fondamentalistes en provenance de l’étranger, incluant des combattants d’Al-Qaïda venant de Libye, d’Irak et d’Afghanistan, sont engagés dans le conflit. Il ne s’agit pas d’une « guerre civile » : il s’agit d’un conflit international opposant une triple alliance contre nature des impérialistes de l’OTAN, des despotes des États du Golfe et des fondamentalistes musulmans, à un régime nationaliste, indépendant et laïque.
L’origine étrangère des armes, du dispositif de propagande et des combattants mercenaires révèle la sombre nature impériale et « multinationale » du conflit. En fait, le soulèvement violent contre l’État syrien est une campagne impériale de renversement d’un allié de l’Iran, de la Russie et de la Chine, au prix de la destruction de l’économie syrienne et de sa société, fragmentant le pays et déclenchant des guerres sectaires d’extermination contre les minorités alaouite et chrétienne et les partisans de la laïcité.
Les morts et les fuites de réfugiés ne sont pas la conséquence d’une violence gratuite commise par un État assoiffé de sang. Les milices soutenues par l’Occident ont capturé des quartiers entiers par la force des armes, détruisant les oléoducs, sabotant les transports et faisant sauter des bâtiments gouvernementaux. Du fait de ces attaques, les services de bases à la population syrienne furent bloqués, dont l’éducation, l’accès aux soins médicaux, la sécurité, l’eau, l’électricité et les transports. Ce sont eux qui portent la responsabilité du « désastre humanitaire » (celui-là même que leurs alliés impériaux ainsi que les officiels des Nations-Unies imputent a l’armée et aux forces de sécurité syrienne. Les forces de l’ordre syriennes combattent pour préserver la souveraineté d’un État laïque, pendant que l’opposition armée déchaîne sa violence au nom de leurs donneurs d’ordres de l’étranger, à Washington, Riyad, Tel-Aviv, Ankara et Londres.

Conclusions

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Le projet de réforme constitutionnelle soumis à référendum par Bachar el-Assad a été approuvé à près de 90 % des suffrages exprimés. 57,4 % des électeurs se sont rendus aux urnes, soit plus de 8 millions de Syriens. C’est le taux de participation à un scrutin le plus important depuis plus de 60 ans.
Le referendum organisé par le régime Assad le mois dernier a attiré des millions d’électeurs syriens, au mépris des menaces impérialistes occidentales et des appels au boycott des terroristes. Cela indique clairement qu’une majorité de Syriens préfère un règlement pacifique et négocié, et rejette la violence des mercenaires.
Le « Conseil National Syrien », soutenu par l’Occident et l’« Armée Syrienne Libre » armée par la Turquie et les États du Golfe, rejette les appels russes et chinois au dialogue et à la négociation alors que le gouvernement d’Assad les a acceptés. L’OTAN et les dictatures du Golfe poussent leurs pions à soutenir un changement de régime violent, une politique qui a déjà entrainé la mort de milliers de Syriens. Les sanctions économiques des États-Unis et de l’Union Européenne ont pour objet de casser l’économie syrienne, avec l’espoir que les privations aiguës conduiront une population appauvrie dans les bras de leurs brutaux exécutants. Dans ce qui est une répétition du scénario libyen, l’OTAN propose de « libérer » le peuple syrien par la destruction de son économie, de sa société civile et de l’État laïque.
Une victoire militaire occidentale en Syrie ne ferait qu’alimenter davantage la frénésie militariste. Cela encouragerait l’Occident, Riyad et Israël à provoquer une nouvelle guerre civile au Liban. Après avoir démoli la Syrie, l’axe Washington-Bruxelles-Riyad-Tel-Aviv se dirigera vers une confrontation encore plus sanglante avec l’Iran.
L’horrible destruction de l’Irak, suivie par l’effondrement de l’après guerre en Libye, fournissent un tableau terrifiant de ce qui attend la population syrienne : un écroulement accéléré de son niveau de vie, l’éclatement de son pays, le nettoyage ethnique, le règne de gangs sectaires fondamentalistes, et l’insécurité totale pour les biens et les personnes.
De la même façon que « la gauche » et les « progressistes » avaient présenté le saccage de la Libye comme le « combat révolutionnaire de démocrates insurgés » puis s’en étaient allés, se lavant les mains des conséquence sanglantes de la violence ethnique contre les Libyens noirs, ils reprennent a présent les mêmes slogans pour une intervention militaire contre la Syrie. Ces mêmes libéraux, progressistes, socialistes et marxistes qui appellent l’Occident à intervenir dans la « crise humanitaire » depuis leurs cafés et leurs bureaux a Manhattan et Paris, auront perdu tout intérêt dans l’orgie sanguinaire qui succéderait à la victoires de leurs mercenaires une fois Damas, Alep et les autres villes syriennes soumises par les bombes de l’Otan.
James Petras
James Petras Professeur émérite de sociologie à l’université Binghamton de New York. Dernier ouvrage publié en français : La Face cachée de la mondialisation : L’Impérialisme au XXIe siècle, (Parangon, 2002). Dernier ouvrage publié en anglais : The Arab Revolt and the Imperialist Counter Attack, (Clarity Press, 2011).
 

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