Tombouctou est tombé. Entre les mains des rebelles touaregs du MNLA ou des islamistes du mouvement Ansar Dine, la confusion règne encore dans la ville sainte du désert du nord du Mali, dont le prestige remonte très loin dans l’Histoire.
Depuis des siècles, Tombouctou fait rêver. Au XVe et XVIe siècles, la ville fondée quelques centaines d’années plus tôt, comptait jusqu’à 25 000 étudiants venus de tout le monde musulman, attirés par la renommée de la cité aux plus de 300 saints, de son université de Sankoré, de ses nombreuses écoles et bibliothèques, et ses cent mille manuscrits de textes sacrés.
Ses trois grandes mosquées de Djingareyber, Sankoré et Sidi Yahia témoignent encore aujourd’hui de son prestige passé, ainsi que le statut de patrimoine mondial décerné par l’Unesco.
En 1828, la déception de René Caillié
Au début du XIXe siècle, ce sont les explorateurs européens qui tentent de percer le mystère de Tombouctou, ville interdite aux étrangers. Le Français René Caillié est le premier, en 1828, non pas à entrer à Tombouctou mais à en revenir vivant, déguisé en commerçant arabe ! Et ainsi empocher la prime sonnante et trébuchante de la Société des explorateurs.
Mais il exprime sa déception face à une ville assoupie, accablée par la chaleur, sans trace d’or ou même de spiritualité comme il s’y attendait, loin du mythe entourant Tombouctou en Europe.
Tombouctou se mérite, pourtant. Non pas en y arrivant comme le Paris-Dakar en son temps, avec sa caravane de 4x4, mais plutôt comme la caravane du sel, qui, deux fois par an, amène au marché de Tombouctou les plaques de sel venues de Taoudeni, à quelque 1000 km plus au Nord.
Taoudeni, l’enfer sur terre. La mine de sel gemme, par 45°C à l’ombre, à 650 km du premier lieu habité dans quelque direction que ce soit... Sous la dictature de Moussa Traoré, on y envoyait les prisonniers politiques crever à petit feu. On y envoyait aussi des quasi esclaves, tailler des plaques de sel de plus de 100 kilos.
Deux fois par an, encore aujourd’hui, ces plaques sont accrochées aux flancs de dromadaires qui partent, dans une longue caravane, vers Tombouctou où elles sont vendues avant de repartir dans toute la zone sahélienne. Un rite immuable, car aucune technologie n’a réussi à battre l’animal du désert et ses tout aussi redoutables maîtres.
Tombouctou fut un temps au bord du fleuve Niger. Un port ensablé en atteste, alors qu’il faut aujourd’hui parcourir plusieurs kilomètres pour rejoindre la boucle d’un des grands fleuve d’Afrique, pour partir en pirogue vers des contrées plus hospitalières.
Fin du monde
De passage à Tombouctou au début des années 80, j’ai vécu un des moments les plus angoissants et magiques de ma vie de journaliste en Afrique !
Au loin, un tourbillon orange menaçant fait son apparition. Les habitants se pressent de rentrer chez eux ou de s’abriter. En un instant, la ville change de couleur. D’abord orange, puis grise, et enfin noire, au point que de la maison où je résidais, on ne voyait plus celle d’en face.
Dans toute la ville, montaient des cris de femmes, incantations religieuses, référence à une éventuelle fin du monde... Les chiens eux aussi font entendre des hurlements de mort.
La tornade de sable disparaît comme elle est venue. Suivie, aussitôt, d’un déluge d’eau qui s’abat sur cette ville assoiffée. Mais ce déluge que l’on pourrait croire salutaire provoque d’immenses dégâts : maisons en terre cuite effondrées, pistes crevassées, etc.
Lorsque le ciel redevient serein, que les habitants peuvent sortir des abris, chacun s’estime heureux d’être en vie. La fin du monde, ce n’est pas encore pour aujourd’hui.
La révolte légitime des Touaregs
Tombouctou est avant tout un grand centre de ralliement de Touaregs. Les tribus qui continuent à nomadiser dans l’immensité désertique font de Tombouctou un point de passage obligé, lieu de commerce, de rumeurs, de soins.
Depuis un demi-siècle, les Touaregs ont eu le sentiment d’être les oubliés de l’Histoire, tandis que les sédentaires du Sud accrochés à leur pouvoir hérité de la colonisation leur imposaient leur loi, leur administration, leurs coutumes.
Le rêve d’une autonomie ou d’une indépendance du tiers nord du Mali, l’Azawad, cette « sixième région » si éloignée, si différente, si contraire aux mœurs et aux préoccupations de Bamako, la capitale bruyante et frivole du pays, agite depuis longtemps les hommes bleus du désert.
Mais aujourd’hui, leur mouvement de révolte, si légitime au regard de ce qu’ils ont enduré, devient un enjeu géopolitique trouble, avec l’irruption des islamistes, ceux d’Ansar Dine dont on sait peu de choses, ou ceux d’Aqmi, les « franchisés » d’Al Qaeda, plus inquiétants encore.
Tombouctou risque de redevenir le centre d’un monde saharien jamais normalisé. Mais ce ne sont plus les universités ou les manuscrits anciens qui risquent d’assurer son pouvoir d’attraction.
Si Tombouctou devait devenir le règne des kalachnikovs et de la charia que les nouveaux maîtres semblent vouloir assurer, la ville sainte du désert n’aura pas gagné au change. Et le rêve touareg d’être maître chez soi ne sera pas plus proche.
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