Qui menace le plus l’indépendance et l’identité de la France ? La superclasse mondiale ou la puissance américaine ? Voici une disputatio
entre Henry de Lesquen et Yvan Blot, mise en forme par Pierre Milloz, à
partir de nombreux échanges de courriels. A nos lecteurs de forger leur
opinion.
Polémia. _____________________________________________________________________________
La disputatio oppose deux
manières d'analyser la situation de la France dans le monde
contemporain. Les deux débatteurs considèrent implicitement que
l'indépendance et l'avenir de notre pays sont menacés par des puissances
qu'ils tiennent pour ennemies.
La nouvelle lutte des classes : les peuples face à la superclasse mondiale ?
Pour Henry de Lesquen, le principal de
ces ennemis est la superclasse mondiale dont l'apparition, après la
chute de l'URSS, est l'un des événements majeurs des vingt dernières
années. Cette superclasse exerce désormais, dans un esprit cosmopolite,
une hégémonie sur le monde à travers les oligarchies qui sont ses
émanations dans chaque pays.
Dès lors la lutte des classes change de
dimension. Alors que jusqu'ici elle se déroulait dans les frontières
nationales, elle oppose désormais les peuples ou les nations à cette
superclasse. Celle-ci doit donc être tenue pour l'ennemi principal des
nations et spécialement de la nation française.
Les Etats-Unis, ennemi principal ?
Yvan Blot désigne au contraire les
Etats-Unis comme l'ennemi principal de la France. Son point de vue est
fondé sur une idée directrice de nature politique : la réalité du monde
est encore aujourd'hui faite de la lutte des nations entre elles. Il
faut se garder des façons de penser d'inspiration marxiste ou libérale.
Ce sont elles qui orientent préférentiellement l'analyse vers l'économie
et incitent à choisir la classe comme unité de base de la réflexion. Or
l'histoire a toujours montré que la réalité nationale prime
l'appartenance à la classe
La situation présente est une
illustration de ces considérations générales. Une lutte de nations s'est
terminée dans les années 1990 : l'URSS a été vaincue par sa rivale, les
Etats-Unis d'Amérique et depuis lors, ceux-ci dominent le monde. Yvan
Blot décrit les multiples facettes de cette domination :
universalisation de la langue anglaise, diffusion de certaines modes «
jeunes », influence du cinéma américain, implantation des organismes
internationaux à Washington ou à New-York, OTAN (où le commandement est
assuré par des officiers généraux américains).
Cette domination se manifeste aussi par
une multitude d'interventions que les Etats-Unis mènent sur toute la
planète pour affaiblir leurs adversaires (la Russie de Poutine surtout),
pousser au pouvoir des factions qui ont leur faveur (« printemps arabes
») ou écraser militairement un Etat qui leur résiste : tel fut le cas
de la Serbie.
Elle se manifeste même sur le plan
culturel où l'on voit les Américains diffuser des idées qui deviennent
dominantes chez les nations vassalisées : pénalisation du racisme et de
l'antisémitisme, éloge de la « diversité » et du multiculturalisme,
théorie du genre etc.
Quant à la nouvelle superclasse
mondiale, Yvan Blot n'en nie ni l'existence ni l'influence. Mais d'une
part il doute qu'elle soit véritablement mondiale. Et d'autre part il
considère ou bien qu'elle agit en faveur des intérêts américains ou bien
qu'elle ne peut, en raison de sa nature même, qu'être absente et privée
d'importance dans les opérations américaines majeures (cas sus-évoqué
de la Serbie). Il pense même qu'invoquer son rôle a pour effet fâcheux
de renvoyer sur elle, c'est à dire sur une abstraction, la
responsabilité de l'état du monde qui est proprement l'affaire d'une
nation : les Etats-Unis d'Amérique.
La superclasse mondiale : une nouveauté historique fondamentale
Henry de Lesquen insiste au contraire
d'abord sur la nouveauté fondamentale que constitue cette superclasse
(pour lui, il n'en existe pas de véritable précédent dans l'Histoire et
c'est pourquoi il faut réviser les méthodes d'analyse des faits
historiques) et ensuite sur la circonstance qu'elle n'est liée aux
intérêts d'aucune nation.
Sur ce dernier point, il admet certes
qu'elle est née d'une extension de la haute bourgeoisie de la côte est
des États-Unis. Mais, il fait valoir qu'aujourd'hui elle s'étend
pratiquement à toutes les nations.
Par ailleurs il souligne qu'il n'y a pas
coïncidence entre les objectifs fondamentaux de la superclasse et les
Etats-Unis. Alors que la première appelle de ses vœux un gouvernement
mondial et travaille à la disparition des nations, les nationalistes
américains, de leur côté, agissent certes pour établir la domination de
leur pays sur le monde et la vassalisation des autres nations mais ils
ne souhaitent ni la suppression de ces dernières ni un gouvernement
planétaire qui pourrait les gêner.
Cette divergence est illustrée par
certains épisodes politiques récents. Tel fut le cas le cas de
l'opération qui a imposé le dogme du réchauffement climatique
planétaire, a amené au protocole de Kyoto et a pour ambition évidente de
créer une gouvernance mondiale sur le sujet. Or précisément les
États-Unis ont refusé ce protocole.
Et ils récusent de même toute forme de
supranationalité. Or l'idée cosmopolite les gêne dans la mesure où elle
débouche sur la multiplication d’organismes internationaux de toutes
sortes et en tous lieux, et notamment hors des Etats-Unis. Il en est de
nature publique (ONU, FMI, Banque mondiale, Unesco, OMM, etc.), mais il
en est aussi des privés qu'il ne faut pas négliger comme instruments du
cosmopolitisme de la superclasse (tels Amnesty International ou
Greenpeace ou les fondations Soros ou Rockfeller).
Huntington : un américain contre la superclasse mondiale
De Lesquen cite Samuel Huntington qui va
plus loin et estime que l'idéologie cosmopolite de la nouvelle classe
mondiale menace même les Etats Unis, car celle-ci se caractérise par
l'affaiblissement chez ses membres du sentiment national.
D'ultimes considérations semblent offrir
une conclusion au débat.
Yvan Blot fait valoir, sans être contredit par
de Lesquen, que l'impérialisme américain est messianique et qu'il tente
de se justifier en se donnant une mission mondialiste : répandre la
liberté et la démocratie sur le monde. Cette idée rapproche le
cosmopolitisme des Etats-Unis et celui de la superclasse (proximité que
de Lesquen avait déjà notée), même si, évidemment, les motivations des
premiers et de la seconde ne sont pas les mêmes.
Textes rassemblés et mis en forme par Pierre Milloz, avril 2012.
PS. Note du présentateur :
La question essentielle du débat ressort clairement : la superclasse
mondiale mène-t-elle une politique autonome par rapport au pouvoir
américain ou n'en est-elle qu'un instrument ? Ou plus précisément, ses
initiatives prouvent-elles son indépendance ou ne sont-elles que les
applications anodines, tolérées par le pouvoir américain, d'une
idéologie cosmopolite qui le sert et dont il se sert ?
Selon la réponse, on jugera que l'ennemi principal de la France est la superclasse mondiale ou les Etats-Unis.
Le précédent historique de la Rome antique
Une
telle réponse est plus facile à propos d'une sorte de précédent
historique de superclasse mondiale : celle qui paraît avoir été créée
par la politique de l'empire romain. Celui-ci en effet, fort avaricieux
(jusqu'au début du IIIe siècle) de la citoyenneté romaine, l'accordait
aux élites des pays conquis, en lesquelles il trouvait des relais de sa
domination. Aelius Aristide pouvait écrire en 143 en son Éloge de Rome
: « Vous avez partout donné la citoyenneté à tous ceux qui représentent
les élites du talent, du courage et de l'influence… Il n'est nul besoin
de garnisons qui tiennent les acropoles. Les habitants les plus
importants et les plus puissants de chaque endroit gardent pour vous
leur propre patrie. »
Il est probable que se constitua une superclasse couvrant tout l'empire, romanisée parfois jusqu'au patronyme, parlant latin, accédant au saint des saints, c'est à dire au Sénat, et admirant Rome, centre de la civilisation (comme il y a aujourd'hui en France des élites convaincues que le soleil se lève à l'Ouest).
Mais ce cas n'est pas transposable à la situation contemporaine, tant il est incontestable que cette superclasse était un instrument de Rome. Il serait intéressant d'étudier spécialement ce que fut son comportement à partir du jour où commença la lente décomposition de l'empire.
Il est probable que se constitua une superclasse couvrant tout l'empire, romanisée parfois jusqu'au patronyme, parlant latin, accédant au saint des saints, c'est à dire au Sénat, et admirant Rome, centre de la civilisation (comme il y a aujourd'hui en France des élites convaincues que le soleil se lève à l'Ouest).
Mais ce cas n'est pas transposable à la situation contemporaine, tant il est incontestable que cette superclasse était un instrument de Rome. Il serait intéressant d'étudier spécialement ce que fut son comportement à partir du jour où commença la lente décomposition de l'empire.
Pierre Milloz
Voir aussi :
Correspondance Polémia – 27/2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire