mercredi 4 avril 2012

El-Shater, l’islamiste millionnaire qui brigue la présidence de l’Egypte

Portrait

Ce sexagénaire millionnaire avait juré de ne jamais, jamais, se présenter aux élections présidentielles. Khairat el-Shater a pourtant été désigné samedi dernier par la Choura, chambre haute de l’assemblée égyptienne, à 58 voix contre 52, pour briguer le poste de premier président d’Egypte.
Considéré comme le stratège et le financier des Frères musulmans, l’ancien étudiant en ingénierie d’Alexandrie est devenu un homme d’affaires influent qui a fait fortune dans les meubles et le tissu. Membre de la confrérie, alors clandestine, depuis les années 80, il a connu l’exil en Angleterre et la prison sous Moubarak. Libéré depuis mars 2011 seulement, Shater a bénéficié d’une amnistie au même titre que quelques 200 autres prisonniers politiques et repris alors ses fonctions à la tête du courant politique le plus puissant d’Egypte.
Guide suprême adjoint des Frères musulmans, l’homme passait, il y a quelques jours encore, pour un Premier ministrable convaincant. L’organisation ayant initialement interdit à ses membres de concourir à la présidentielle, pour rassurer sur ses velléités hégémoniques supposées, Shater a dû, dès l’annonce du vote, quitter ses fonctions au sein du groupe. Majeur parti d’opposition sous Moubarak, les Frères musulmans ont depuis la révolution gagné une grande crédibilité au sein de l’opinion publique, bien qu’ils aient été proportionnellement moins impliqués dans le mouvement de contestation que d’autres partis.

Popularité des autres candidats islamistes

Les élections législatives de janvier dernier ont confirmé cette tendance, le groupe raflant 40% des sièges au Parlement. La prépondérance du parti a pris de l’ampleur ces quinze derniers jours avec la domination des députés du Parti Liberté Justice (PLJ), affilié à la confrérie, au sein de l’assemblée constituante nouvellement élue.
Majoritaires au Parlement, à l’assemblée constituante... les Frères Musulmans font désormais officiellement partie de la course à la présidentielle, qui doit avoir lieu les 23 et 24 mai prochains. Une candidature surprise qui s’explique par la popularité des autres candidats islamistes en lice, susceptibles de déborder la confrérie à gauche comme à droite.
A gauche, d’abord, Abdel Moneim Aboul Foutouh, modéré bien aimé des milieux activistes pro-révolutionnaires, représente une concurrence réelle. « Depuis deux mois, Aboul Foutouh est devenu un grand sujet d’inquiétude pour les Frères Musulmans, analyse Abdel Rahman Ayyash, ancien membre du parti et ancien conseiller en communication de Shater. Il bénéficie d’un grand soutien dans l’opinion ».
Parce qu’il avait bravé l’interdit alors en règle au sein des Frères Musulmans – celui de ne pas se présenter à la présidentielle –, Aboul Foutouh fut limogé de la confrérie en juin 2011, et tous les membres du groupe affichant publiquement leur soutien à celui-ci subirent la même sanction.

« Les Frères musulmans prennent leurs électeurs pour acquis »

A droite, c’est le salafiste ultra-conservateur Hazem Salah Abou Ismaïl qui pourrait rassembler, et en coulisse, les Frères musulmans négocient pour obtenir sinon le retrait du candidat, du moins le soutien officiel de son parti. Abel Rahman Ayyash affirme :
« Je suis sûr que la nomination de Shater fait suite à un deal avec les salafistes. Même si Ismaïl persistait à vouloir se présenter, le parti salafiste Hezb el Nour et leurs sheikhs seraient amené à soutenir Shater. »
A force d’accumuler les volte-faces sur des questions essentielles du processus démocratique, les Frères musulmans ne redoutent-ils pas de perdre en crédibilité, et donc, des votes ? Abdel Rahman Ayyash analyse :
« Les Frères musulmans prennent leurs électeurs pour acquis. La hiérarchie estime qu’ils ne peuvent pas changer d’avis sur les Frères Musulmans, et c’est partiellement vrai. »
« Il suffit aux Frères musulmans de dire : si vous ne votez pas pour nous, vous votez contre Dieu ou vous irez en enfer, pour obtenir l’adhésion d’un grand nombre de personnes », affirme Noha Tarek, membre active du parti el Tayyar el Masri, né en juin 2011 à l’initiative de la jeune frange dissidente des Frères Musulmans.  L'éducation!!!! seule l'éducation pourra faire reculer les obscurantistes!!

Un deal entre les Frères musulmans et les militaires ?

Reste en suspens la question la plus opaque de cette période pré-électorale : celle de la nature réelle des relations entre Frères musulmans et Conseil Supérieur des Forces Armées (CSFA). Abdel Rahman Ayyash développe :
« C’est la question que tous les activistes d’Egypte se posent aujourd’hui : on ne parvient pas à comprendre s’il y a un deal entre les Frères musulmans et les militaires ou pas. Même si certains éléments pointent dans cette direction, on n’en a à ce jour aucune preuve. »
Perçue par certains comme un nouveau pied de nez des Frères musulmans au CSFA, la candidature de Shater apparaît à d’autres comme la confirmation d’une entente secrète entre les deux entités politiques les plus puissantes du pays, qui garantirait aux généraux une immunité absolue après les élections. Noha Tarek conclue :
« Il ne suffit pas de faire des élections pour faire une démocratie. La démocratie est fondée sur la culture politique de son peuple, et pour l’instant, en Egypte, nous sommes loin du compte. »
http://www.rue89.com/2012/04/04/el-shater-lislamiste-millionnaire-qui-brigue-la-presidence-de-legypte-230798

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