mardi 1 octobre 2013

Cuisine diplomatique : comment l’Iran enfume le jambon occidental

Rohani
Khamenei et les stratèges de Téhéran, voyant qu’ils ne pourraient plus échapper très longtemps à une frappe militaire occidentale contre leur régime à moins de renoncer à leur projet de bombe atomique, ont orchestré des élections présidentielles de manière à se débarrasser d’Ahmadinejad et à le remplacer par une autre marionnette en la personne d’Hassan Rohani. Je ne reviendrai pas sur l’organisation de cette consultation électorale, mais je peux vous assurer qu’elle n’avait rien de démocratique.
Le clergé chiite à la tête de la « République » Islamique avait un urgent besoin de deux éléments qui manquaient dans son jeu afin d’éviter d’avoir à subir une cuisante défaite militaire, qui risquait, dans son sillage, de le déboulonner du pouvoir : la possibilité d’affirmer de façon crédible que l’on était disposé à abandonner le programme nucléaire, et un peu plus de temps pour le mener à son terme.
Petite leçon de diversion appliquée par Stéphane Juffa pour la Ména : « Une partie d’échecs avec le Diable »
Le recours à la diversion stratégique et militaire a, de tout temps, constitué un moyen largement utilisé pour prendre l’avantage sur son ennemi. Il s’agit, en résumé, de faire croire à l’adversaire que l’on va réaliser certaines actions – que l’on n’a aucunement l’intention d’entreprendre – afin de dissimuler ce que l’on veut réellement accomplir.
Pour qu’une diversion réussisse, il faut, entre autres conditions, se mettre « dans la peau » de l’ennemi pour fabriquer un subterfuge qu’il sera enclin à prendre pour la réalité. Pour y parvenir, on doit comprendre à la fois sa mentalité, ses dogmes, ses habitudes, ses certitudes, et analyser le psychisme de ses dirigeants – identifier ce qu’ils ont envie de croire – afin de prévoir la manière dont ils réagiront à la mystification qu’on leur prépare.
Ensuite, on va construire, en se basant sur de fausses transmissions de données, des mouvements de troupes et de matériel imaginaires, des déclarations aux media, voire des communications directes avec l’ennemi, l’illusion que l’on s’apprête à faire ce que l’on désire qu’il croie que l’on va faire.
Parmi les diversions les plus réussies de l’histoire récente, on retiendra le succès des alliés à persuader les généraux d’Hitler que le Débarquement aurait lieu dans la Manche alors qu’il fut lancé en Normandie (Opération Overlord). Les Anglo-américains avaient, pour duper les Allemands, mis sur pied l’opération Fortitude, entre autre constituée par un groupe d’armée US fictif, le FUSAG (First United States Army Group), qui avait massé d’énormes moyens en face de Calais, tandis que l’on dissimulait, plus au Sud, dans les forêts, les hommes et le matériel qui allaient participer, le Jour-J, le 6 juin 44, au Débarquement.
En fait, le FUSAG ne disposait que de chars et d’avions gonflables et en carton-pâte, que les alliés alignèrent en ordre de bataille le long de la côte. Pour confondre les nazis, on nomma le général Patton à la tête de ce corps d’armée fictif, alors que les stratèges du Reich étaient convaincus qu’il n’y avait que lui qui pourrait mener à bien l’invasion du continent.
On établit de nombreux stratagèmes, comme celui consistant à libérer des prisonniers allemands en prenant soin de les véhiculer au milieu de (vrais) chars et de soldats de la FUSAG, que l’on avait prélevés sur d’autres contingents pendant quelques heures.
Fortitude fonctionna si bien, que Berlin ne transféra vers la Normandie aucun de ses 200 000 militaires qui restèrent casernés en Norvège pour rien, et que ses terribles Panzer demeurèrent stationnés loin des plages d’Utah, d’Omaha, de Juno, de Gold et de Sword. Trop loin pour monter une contre-attaque qui aurait probablement rejeté les alliés à la mer durant les premières heures de l’intervention, alors que les têtes de pont manquaient encore d’effectifs et d’armes lourdes.
Cette diversion d’anthologie fonctionna si bien – il faut dire qu’elle avait été préparée durant plus de trois ans -, que même après le Jour-J, les généraux nazis continuèrent plusieurs jours à croire que c’était Overlord qui était une diversion et que l’attaque principale n’avait pas encore débuté et qu’elle se déroulerait dans la Manche.
Autre diversion réussie, mais à mettre au crédit de l’autre camp cette fois-ci, les fausses négociations que l’ambassadeur du Japon à Washington, Kichisaburō Nomura, conduisit avec l’administration US dans le but d’ « éviter la guerre entre les deux pays ». Dans le même temps, alors que l’Empire du soleil levant avait fait en sorte de persuader Franklin Roosevelt que la conclusion d’un accord négocié était imminente, le Japon lança son attaque surprise sur la flotte étasunienne du Pacifique, le 7 décembre 1941, tuant 2 500 Américains et coulant 19 bâtiments.
Le lendemain, le 8 décembre, Roosevelt adressa son fameux discours au Congrès, prononçant, au sujet des circonstances de cette agression, la fameuse phrase : « Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera dans l’Histoire comme un jour d’infamie, les États-Unis ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l’empire du Japon ».
Je pense que ces deux exemples sont nécessaires pour comprendre ce à quoi le 1er ministre israélien, Binyamin Netanyahu, a fait allusion hier (jeudi) lorsqu’il a accusé l’Iran « de tenter une diversion contre la communauté internationale pendant qu’il avance dans son programme nucléaire ». Netanyahu d’ajouter : « Ne vous laissez pas avoir par les affirmations fallacieuses du président iranien ! ».
Il ne fait aucun doute que le 1er ministre a raison, à tout le moins au sujet de la manœuvre de la théocratie perse ; tous les analystes moyen-orientaux de la Ména sont persuadés que le « guide suprême » Ali Khamenei est en train de se livrer à l’une des plus extraordinaires tentatives de diversion jamais imaginées.
Khamenei et les stratèges de Téhéran, voyant qu’ils ne pourraient plus échapper très longtemps à une frappe militaire occidentale contre leur régime à moins de renoncer à leur projet de bombe atomique, ont orchestré des élections présidentielles de manière à se débarrasser d’Ahmadinejad et à le remplacer par une autre marionnette en la personne d’Hassan Rohani. Je ne reviendrai pas sur l’organisation de cette consultation électorale, mais je peux vous assurer qu’elle n’avait rien de démocratique.
Le clergé chiite à la tête de la « République » Islamique avait un urgent besoin de deux éléments qui manquaient dans son jeu afin d’éviter d’avoir à subir une cuisante défaite militaire, qui risquait, dans son sillage, de le déboulonner du pouvoir : la possibilité d’affirmer de façon crédible que l’on était disposé à abandonner le programme nucléaire, et un peu plus de temps pour le mener à son terme.
Or, en Occident, personne n’aurait cru Ahmadinejad, ni l’arrogant et très pointu Saëd Jalili, ex-patron du projet nucléaire et négociateur en chef avec les 5+1, pas plus que Khamenei lui-même, s’ils avaient, de but en blanc, déclaré s’être trompés durant quinze ans, parjurant tout ce qu’ils avaient affirmé en annonçant – sans raison apparente, dans l’antithèse du raisonnement qu’ils avaient soutenu – qu’ils s’apprêtaient désormais à renoncer à la Bombe.
Il fallait, pour convaincre les Occidentaux qui ne demandaient pas mieux, un homme nouveau qui n’ait pas été préalablement lié à l’aventure nucléaire : Rohani. Que Khamenei a flanqué d’un nouveau directeur de l’Organisation Iranienne pour l’Energie Atomique, en remplacement de Jalili, le très avenant Ali Akhbar Salehi.
Et Rohani de jurer sur la chaîne NBC que « son administration ne développera jamais d’armes nucléaires », pendant que Salehi, à Vienne, à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA), reprenait en écho : « Je suis venu ici livrer le message du nouveau président de notre pays pour renforcer et élargir la coopération actuelle avec l’AIEA afin de mettre un terme au dossier nucléaire iranien » ; on a presque envie d’ajouter « amen ».
Et le « nouveau président » de se diriger vers Manhattan pour s’adresser mardi à l’Assemblée Générale de l’ONU et probablement rencontrer Barack Obama. On lui prête l’intention d’annoncer aux ambassadeurs onusiens et au président, qu’en guise de geste de bonne volonté, il va fermer l’usine souterraine d’enrichissement d’uranium de Fodow, dans l’espoir (ou à la condition ?) que la communauté internationale lève les plus dure des sanctions qui frappent l’Iran.
L’Iran qui vient par ailleurs de libérer douze prisonniers politiques, dont l’avocate des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh, afin de faire montre de sa « nouvelle orientation ».
L’Iran, qui n’est plus totalement sûr que la Shoah n’a jamais eu lieu, qui a abandonné la rhétorique haineuse d’Ahmadinejad pour la remplacer par un vocabulaire « d’interaction constructive ». Dans les journaux de Téhéran, on n’hésite plus à critiquer vertement le précédent président, le qualifiant de « populiste » n’ayant pas protégé les « intérêts de l’Iran ».
Rohani souhaite de bonnes fêtes de Rosh Hashana aux Israélites, échange des courriers amicaux avec le Président Obama et ne voit aucun obstacle à une rencontre avec lui lors de sa venue aux Etats-Unis.
Téhéran réunit vraiment les conditions d’une diversion les unes après les autres – comme s’il suivait un manuel d’école militaire – destinées à construire, en se basant sur des déclarations faites aux media, des promesses et des engagements publics, voire des communications directes avec l’ennemi, l’illusion qu’il s’apprête à faire ce que l’Occident espère qu’il va faire. La « République » Islamique a même ralenti fortement son rythme d’enrichissement de l’uranium, ce qui l’éloigne de quelques mois supplémentaires – mais absolument pas critiques – du point de non-retour.
Les analystes du gouvernement hébreu complètent la démystification de la manœuvre de diversion de Khamenei en demeurant dans une logique implacable : « Le but du régime iranien consiste à passer un accord qui ne l’obligerait qu’à abandonner une part insignifiante de son programme nucléaire, mais qui lui permettrait cependant, au moment où il le déciderait, de le remettre en marche et d’atteindre rapidement l’arme atomique ».
On note aussi, dans les milieux proches de l’establishment de la Défense israélienne, que Fodow fait l’effet d’un drap rouge agité devant les yeux de la communauté internationale comme devant ceux d’un taureau. De plus, « grâce aux opérations de sabotage, aux virus informatiques, aux raids de toutes sortes – connus et ignorés du grand public -, il a été possible de compliquer significativement l’exploitation de ce site, creusé dans une montagne, d’accès difficile et vulnérable », nous a-t-on confié, « sa fermeture n’est donc pas une mauvaise affaire pour Téhéran ».
Les Iraniens s’investissent de plus en plus dans le processus de fabrication d’une bombe au plutonium. Lors, il ne suffirait pas qu’ils s’engagent à cesser le traitement de l’uranium pour « fermer le dossier du nucléaire iranien », il est aussi absolument nécessaire de les empêcher de travailler le plutonium.
Un proche conseiller de Netanyahu me fait remarquer que s’ils entendaient véritablement mettre un terme à leur programme, les Perses ne souffriraient d’aucun désagrément en acceptant les conditions édictées par le 1er ministre ; à savoir, cesser l’enrichissement de l’uranium, se séparer de l’uranium déjà enrichi, démanteler Fodow et arrêter le programme du plutonium.
« Et s’ils désirent de l’uranium pour effectuer des recherches dans le domaine médical », m’affirme la même source, « ils n’ont qu’à conserver quelques kilos d’uranium enrichi à 3% ; personne n’a jamais entendu parler d’un appareil médical qui utiliserait un enrichissement supérieur », ajoute-t-il, « ces gens doivent décider s’ils veulent soigner les malades ou les rôtir », note-t-il avec le sourire, « et ils possèdent suffisamment d’uranium à 3% pour 10 000 ans de recherche médicale », conclut mon interlocuteur sur le même ton.
Rohani va probablement prononcer un discours hyper-pacifiste à l’ONU ; pas une harangue idéologique mais quelque chose qui ressemblera à une proposition pratique et tentante.
Les conseillers des chefs d’Etat occidentaux ne sont peut-être pas au niveau de leurs homologues perses, mais ils ont également appris les principes de la diversion à l’université. Tous ne sont pas naïfs au point de croire n’importe quoi. Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, s’est ainsi fendu d’une mise au point après la publication de l’existence d’échanges épistolaires entre les deux présidents : « la fenêtre d’opportunité pour résoudre cela diplomatiquement est ouverte, mais elle ne le restera pas indéfiniment ».
D’autres diplomates nous ont dit attendre avec impatience une nouvelle réunion prévue le 27 courant à Vienne. A cette occasion, ils devraient recevoir la réponse de Salehi quant à la requête toujours rejetée par Ahmadinejad de laisser les inspecteurs de l’AIEA visiter le site de Parchin, où ils soupçonnent les Iraniens d’avoir réalisé des tests de matériels nucléaires à usage exclusivement militaire. « Nous allons vite voir s’ils bluffent ou s’il y a matière à discuter », m’a dit un vieux diplomate britannique, ami de la Ména depuis ses débuts.
Que nous soyons en présence d’une tentative de diversion de la part de Téhéran ne fait l’objet d’aucun doute sensé : si Téhéran avait continué de se livrer aux activités d’enrichissement au rythme qui était le sien en mars dernier, il se serait par trop approché du point de non-retour et Israël, au moins elle, serait déjà intervenue militairement.
Mais je veux évoquer en conclusion de cet article une hypothèse un peu plus complexe, et c’est celle à laquelle je crois. Il est déjà advenu, par le passé, que des pays aient lancé des diversions, non pas afin de réaliser un plan ou une opération militaire spécifique, mais afin d’élargir l’éventail de leurs choix. De s’extraire du coin du ring dans lequel ils étaient confinés.
L’ambassadeur japonais Nomura a toujours prétendu qu’il avait mené les négociations de paix de bonne foi et qu’il avait été surpris autant que les Américains par la nouvelle de l’attaque de Pearl Harbour. Nombre de chercheurs l’ont cru.
Il est par ailleurs fréquemment arrivé que des régimes aient utilisé leurs propres officiers ou diplomates sans les avertir dans des processus de diversions. Les gens agissant de bonne foi sont plus convaincants.
Il se pourrait, en théorie au moins, qu’Hassan Rohani, comme Nomura avant lui, fasse l’objet d’une manipulation de la part de ses chefs et de leurs stratèges ; j’ignore si c’est le cas, l’hypothèse n’est pas à exclure mais elle ne change de toute façon strictement rien à la donne.
http://www.menapress.org/

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