Des années, que dis-je, des décennies durant, la Turquie a humblement et désespérément gratté à la porte de l’Europe. La Turquie « nouvelle », telle que l’avait refondée Atatürk, laïque, républicaine, progressiste, membre de l’OTAN, meilleur et plus sûr allié des États-Unis à l’époque de la guerre froide, seul pays majoritairement musulman à entretenir des liens amicaux avec Israël, sentinelle avancée de l’Occident et de la modernité dans une région instable et hostile. À la candidature turque, l’Union européenne n’a répondu que par des sarcasmes, des faux-fuyants, des moratoires, bref des fins de non-recevoir plus ou moins déguisées. Je suis de ceux qui pensent qu’il y a eu là une grande occasion manquée.
Outre l’usure d’un pouvoir à la fois cassant et faible, indigne épigone des « Jeunes Turcs », prisonnier de la caste militaire et discrédité par la corruption, l’humiliation ressentie par un peuple ombrageux et fier, las de voir ses avances dédaigneusement repoussées, n’a pas été pour rien dans la prise de pouvoir, il y a dix ans, par l’AKP, faux-nez présentable de l’islamisme. Longtemps, en vrai disciple de Tartuffe, Recep Tayyip Erdoğan a affecté de respecter les principes, les valeurs et les alliances sur lesquels reposait l’équilibre de l’État et de la société turcs. Au fur et à mesure que s’affermissait son pouvoir et que la Turquie prenait rang parmi les puissances émergentes, le Premier ministre a progressivement tombé le masque et dévoilé son vrai visage : celui d’un nationaliste autoritaire et rétrograde, bien décidé à renouer autant qu’il lui sera possible avec les grandeurs passées de l’Empire ottoman et à faire rentrer par la fenêtre de l’adhésion populaire l’Islam flanqué par Atatürk à la porte de la sphère publique.
La spectaculaire mise au pas de l’armée, la sournoise réintroduction du voile et du Coran dans l’enseignement primaire et secondaire, la répression policière et judiciaire des voix discordantes, les récentes restrictions apportées à la vente d’alcool, la condamnation dernièrement prononcée contre un journaliste pour blasphème et plus que tout, le soutien accordé par le gouvernement turc, allié inattendu des monarchies du Golfe et d’Al-Qaida, à l’insurrection syrienne, sont autant de signes et de preuves d’une politique délibérément et progressivement régressive.
Dans ce contexte, l’origine des émeutes qui viennent de secouer Istanbul, la place Taksim y faisant un écho presque homonyme au soulèvement de la place Tahrir, n’avait pour prétexte que la défense d’un espace vert condamné par un projet gouvernemental et sans doute n’auraient-elles pas pris une telle ampleur si la police n’avait pas déchaîné contre des manifestants pacifiques une violence disproportionnée. Mais elles sonnent le réveil d’un peuple enfin conscient de la menace sur ses libertés et sur sa façon de vivre que représente l’arrogant Erdoğan. Pour la première fois depuis son arrivée à la tête de la Turquie, Erdoğan a dû reculer. Pour la première fois depuis bien longtemps, les étudiants, les ouvriers, les laïques, tous ceux qui refusent le retour en arrière, ont montré et fait triompher leur force. Les bonnes nouvelles en provenance du Proche-Orient sont trop rares pour qu’on ne salue pas celle-ci. Longue vie au printemps turc !
http://www.bvoltaire.fr/dominiquejamet/emeutes-distanbul-vive-le-printemps-turc,25368?utm_source=La+Gazette+de+Boulevard+Voltaire&utm_campaign=a94f86f870-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email&utm_term=0_71d6b02183-a94f86f870-25447997
Outre l’usure d’un pouvoir à la fois cassant et faible, indigne épigone des « Jeunes Turcs », prisonnier de la caste militaire et discrédité par la corruption, l’humiliation ressentie par un peuple ombrageux et fier, las de voir ses avances dédaigneusement repoussées, n’a pas été pour rien dans la prise de pouvoir, il y a dix ans, par l’AKP, faux-nez présentable de l’islamisme. Longtemps, en vrai disciple de Tartuffe, Recep Tayyip Erdoğan a affecté de respecter les principes, les valeurs et les alliances sur lesquels reposait l’équilibre de l’État et de la société turcs. Au fur et à mesure que s’affermissait son pouvoir et que la Turquie prenait rang parmi les puissances émergentes, le Premier ministre a progressivement tombé le masque et dévoilé son vrai visage : celui d’un nationaliste autoritaire et rétrograde, bien décidé à renouer autant qu’il lui sera possible avec les grandeurs passées de l’Empire ottoman et à faire rentrer par la fenêtre de l’adhésion populaire l’Islam flanqué par Atatürk à la porte de la sphère publique.
La spectaculaire mise au pas de l’armée, la sournoise réintroduction du voile et du Coran dans l’enseignement primaire et secondaire, la répression policière et judiciaire des voix discordantes, les récentes restrictions apportées à la vente d’alcool, la condamnation dernièrement prononcée contre un journaliste pour blasphème et plus que tout, le soutien accordé par le gouvernement turc, allié inattendu des monarchies du Golfe et d’Al-Qaida, à l’insurrection syrienne, sont autant de signes et de preuves d’une politique délibérément et progressivement régressive.
Dans ce contexte, l’origine des émeutes qui viennent de secouer Istanbul, la place Taksim y faisant un écho presque homonyme au soulèvement de la place Tahrir, n’avait pour prétexte que la défense d’un espace vert condamné par un projet gouvernemental et sans doute n’auraient-elles pas pris une telle ampleur si la police n’avait pas déchaîné contre des manifestants pacifiques une violence disproportionnée. Mais elles sonnent le réveil d’un peuple enfin conscient de la menace sur ses libertés et sur sa façon de vivre que représente l’arrogant Erdoğan. Pour la première fois depuis son arrivée à la tête de la Turquie, Erdoğan a dû reculer. Pour la première fois depuis bien longtemps, les étudiants, les ouvriers, les laïques, tous ceux qui refusent le retour en arrière, ont montré et fait triompher leur force. Les bonnes nouvelles en provenance du Proche-Orient sont trop rares pour qu’on ne salue pas celle-ci. Longue vie au printemps turc !
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