vendredi 24 janvier 2014

Entretien avec Xavier Raufer - La mafia albanaise et ses armes de guerre ont gangrené l’Europe !

Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.
Déjà deux règlements de comptes mortels à Marseille depuis le début de l’année. Simple routine ou nouvelle guerre des gangs ?
Si nous étions dans le domaine médical, et qu’il s’agisse d’un patient, on dirait que la situation s’explique par l’incapacité des instances régionales de répression – le problème dépasse Marseille – à poser à temps un diagnostic juste, puis à trouver ensuite le traitement adéquat.
À chaque homicide, on a le pénible sentiment que nombre des magistrats et policiers concernés sont dans le flottement… S’agit-il d’un énième règlement de comptes entre voyous ? D’un mari jaloux ? Ils « n’écartent aucune hypothèse »… Peut-être ceci ou bien cela. L’impression d’instances répressives égarées, dominant mal leur sujet.
Explication : la corruption, car bien sûr, politique clanique et complicités toxiques provoquent fatalement le crime, à Naples comme à Marseille. Que se passe-t-il sur place qui, en fond de tableau, puisse expliquer l’exubérance criminelle de la cité ?
Entre dix autres scandales, des marchés de sécurité ont été attribués aux sociétés d’un truand fiché au grand banditisme. Et n’oublions pas l’infiltration criminelle de l’Olympique de Marseille, ni les combines du port autonome. Par capillarité, cette corruption atteint l’appareil policier et judiciaire régional – parfois, vers le sommet. Ainsi, les magistrats ne disent à Marseille plus rien de « chaud » et préparent à Paris les opérations contre le banditisme local.
Et la police ? La dernière fois qu’on a voulu arrêter un gros truand local, l’équipe venue de Paris a dû loger dans une lointaine caserne et prétendre traquer des « terroristes kurdes » pour détourner l’attention. Toute divulgation sur place et l’oiseau s’envolait – cela s’est d’ailleurs produit quatre fois en 2012. Tout cela affecte la lutte contre le milieu criminel corso-italien et pollue désormais celle, aussi cruciale, contre des clans maghrébins criminalisés du nord de Marseille.
L’emploi de la Kalachnikov semble se « démocratiser ». Que conclure de cet usage désormais banal d’armes de guerre ?
En 1999, de bonnes âmes ont éliminé Slobodan Milošević, président de l’ex-Yougoslavie, qui maltraitait son peuple et ses voisins. Négligeant l’alerte des criminologues, ces dirigeants naïfs permirent alors à la mafia albanaise de se répandre en Europe. Les armes de guerre aussi : dans certains coins d’Albanie, une Kalach’ coûte dix fois moins cher qu’en Europe. D’où l’afflux d’armes de guerre.
Récidive en 2012 : pour liquider le sinistre Mouammar Kadhafi (que nul ne pleure), on a bombardé vingt arsenaux. Par centaines de caisses, un armement de tout type a ensuite traîné sur le sable, à disposition de qui voulait se servir. Résultat garanti : peu après, nombre de ces armes arrivaient en Europe, pour être vendues au milieu criminel. « Gouverner, c’est prévoir », assurait, au XIXe siècle, le publiciste Émile de Girardin. Éliminer des dictateurs, soit. Mais après ? Les armes traînant dans le sable ? Rien n’a été prévu, et ces armes déferlent aujourd’hui en France.
Quand les voyous s’entre-tuent, que peut faire la police ? Intervenir ? Ou compter les morts à la fin du match ?
En tout cas, on ne pourra longtemps continuer comme maintenant. Alors que, péniblement, les États-Unis renoncent à leurs conflits métaphysiques (« guerre à la terreur », « guerre à la drogue ») pour cause d’échec complet, on s’est lancé à Marseille dans une « guerre aux Kalachnikov » qui n’a pas plus de chance de réussir.
Seul le renseignement criminel pacifiera Marseille ; seul, il donne une connaissance intime et prédictive des bandes et bandits. À son tour, ce savoir permet des embuscades ; donc, des flagrants délits : capturer les voyous avec de grosses quantités de drogue, ou les armes en main. Non à se contenter de compter par terre les cadavres criblés de balles, comme on le fait trop souvent.


Docteur en géopolitique et criminologue
Il enseigne dans les universités Panthéon-Assas (Paris II), George Mason (Washington DC) et Université de Sciences politiques et de droit (Pékin)

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