mardi 23 juillet 2013

Comment les Anglo-Saxons espionnent les Allemands

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Sur cette carte, fournie au « Guardian » par Edward Snowden, les États les moins surveillés par la NSA sont en jaune, les plus surveillés sont en rouge.
Les révélations d’Edward Snowden n’en sont pas : les programmes de surveillance des Etats-Unis et de leurs alliés anglo-saxons étaient connus depuis longtemps. La nouveauté, c’est leur ampleur. Personne n’y échappe. Pour les Allemands, c’est une dure découverte : selon la carte des interceptions de la NSA, ils sont la cible principale à surveiller en Europe. Leur meilleur allié, auquel ils se sont toujours montrés fidèles, n’a pas confiance en eux et les espionne.
Rien de surprenant. Pendant plus de quarante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la République fédérale d’Allemagne était à l’avant-garde de la Guerre froide contre l’URSS et ses alliés du bloc de l’Est. En outre, le « grand-frère » devait surveiller les Allemands eux-mêmes. Il y a toujours eu des raisons avancées pour justifier ces activités : premièrement la dénazification et ensuite les relations commerciales avec l’Union soviétique —toutes excuses douteuses du point de vue idéologique—.
L’espionnage n’était pas très onéreux : il y avait des sites secrets en Allemagne de l’Ouest qui étaient utilisés pour la planification et la conduite des activités de collecte de renseignement de l’autre côté du « rideau de fer ». Les mêmes installations étaient aussi utilisées pour contrôler le territoire ouest-allemand. Par exemple, à la fin des années 1980, les services spéciaux états-uniens ouvrirent un scandale provoquant la liquidation de l’entreprise chimique Imhausen–Chemie, fondée en 1912. Des journalistes allemands osèrent poser la délicate question de la manière dont des informations commerciales classifiées étaient arrivées aux oreilles des services. Des enquêtes ont été menées sur le bien-fondé des chefs d’accusation portés contre ladite entreprise qui avait conclu un accord avec la Libye pour y construire une entreprise chimique. L’opération El-Dorado Canyon [1] avait été menée quelque temps auparavant. Les sanctions économiques contre la Libye étaient déjà planifiées. La découverte d’ « informations secrètes » sur la construction de l’usine chimique vint juste à temps pour être ajoutée à la liste des accusations contre Muammar el-Kadhafi
Bien sûr, l’Allemagne a été et est toujours un membre européen clé de l’OTAN. Berlin a toujours fait de la solidarité transatlantique un pilier de sa politique étrangère, un principe auquel il a adhéré. Avant sa réunification, l’Allemagne avait la réputation d’être un géant économique, mais un nain politique. C’est comme cela que ça fonctionnait. Pendant plusieurs années, les Allemands ont appris à travailler et à produire, mais en suivant les pas des autres et en évitant des initiatives de politique étrangère. Willy Brandt n’aurait jamais reçu son Prix Nobel sans coordonner chaque étape avec Washington.
Maintenant le temps a passé. L’Allemagne réunifiée est en quête d’une indépendance politique. Elle exaspère ses partenaires d’outre–Atlantique. La politique étrangère contemporaine des États–Unis procède de l’hypothèse selon laquelle toutes les grandes batailles internationales futures auront lieu en Asie-Pacifique. Mais cela ne veut pas dire que les États–Unis doivent quitter l’Europe. Bien au contraire, ils devraient garantir la stabilité à l’arrière des lignes de front.
Les programmes PRISM et TEMPORA ont mis à nu la corrélation des forces au sein de l’Otan. Les médias occidentaux évitent de mentionner les États qui ont signé une alliance opérationnelle en matière de Renseignement avec les États-Unis. Elle est connue comme les « Cinq yeux » : le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Tous ces États appartiennent au bloc anglophone dit « anglo–saxon ». C’est une surprise désagréable pour les Allemands de découvrir qu’ils étaient surveillés …par leurs alliés. Et ils étaient surveillés de très près, plus qu’aucun autre en Europe ! On pouvait attendre logiquement ce type de jeu de la part des Chinois et des Russes mal intentionnés : d’une année à l’autre, l’Office fédéral allemand de protection de la Constitution attire l’attention sur les menace d’espionnage industriel. Des cas signalés ici et là rendent la population vigilante. Mais, les États-uniens espionnant leurs amis Allemands ? Les Anglais ? Misère ! Le « cercle restreint » des Anglo-Saxons aime l’amitié, mais ne trouve pas répugnant d’espionner ses amis.
La montée des sentiments anti-américains en Allemagne est une réaction naturelle à cette découverte… Comme le forum du Frankfurter Allgemeine Zeitung le souligne : « L’Amérique est très sale, elle pue assez pour qu’on la sente en Europe. Les scandales, les guerres injustes, les crimes de guerre, l’arrogance montrée lors des discussions sur le commerce, autant de signes d’une dictature mondiale… et nous sommes entraînés dans le tourbillon du mal ». « Les États-uniens se comportent encore comme des cowboys ». Des voix s’élèvent pour geler les négociations déjà commencées en vue de créer une « OTAN économique » —c’est-à-dire une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis—.
Ce qui est plus choquant, c’est que les Allemands, peuple respectable, qui ont prouvé leur loyauté, fassent l’objet d’une surveillance plus rapprochée que leurs voisins. Michael Hartmann, porte-parole de l’opposition sociale- démocrate (SPD) sur les questions intérieures, a déclaré qu’il n’y a aucune justification pour la surveillance massive des Allemands. Réellement ? Du point de vue de ceux qui prônent l’hégémonie US, il y a assez de raisons de contrecarrer l’Allemagne. Où étaient les Allemands en janvier 2003 lorsque huit chefs d’État publièrent une déclaration commune soutenant les États-Unis ? La lettre des 8 appuyant leur intervention en Irak était signée par les leaders de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, du Danemark, de la Pologne, de la République Tchèque et de la Hongrie. Qui a osé s’abstenir au Conseil de sécurité des Nations-unies lorsqu’il fallut voter pour une zone de non-survol en Lybie ? L’Allemagne fut le seul pays occidental à le faire. Même après cela, Guido Westerwelle, qui prit la responsabilité de cette décision risquée (un « déshonneur national », selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer), conserva sa position dans le cabinet. Tout au plus abandonna t-il son titre de chancelier-adjoint. Contrairement à la tradition, son poste fut confié au ministre de l’Économie. Il convient de noter ici, combien les doubles standards sont enracinés profondément dans l’esprit des Européens. Par exemple, si l’espionnage a lieu en Chine (l’Universtité de Tsinghua située à Beijing, l’Université chinoise de Hong Kong), c’est normal ; si c’est en Europe, ça devient une grave violation des droits de l’Homme.
Dans le cas de l’Allemagne, c’est le volume des interceptions qui choque : 600 millions de connexions téléphoniques quotidiennes, des messages électroniques, le contenu des pages personnelles de Facebook gardé pendant 30 jours à l’insu des utilisateurs. « Même si vous ne faites rien de mal, vous êtes surveillé et enregistré », a déclaré Edward Snowden au Guardian. Vingt années se sont écoulées, mais les Allemands conservent le souvenir du ministère de la Sécurité de l’État, la « Stasi », la police politique de la République démocratique allemande. Ils l’associent encore fortement à la dictature. Alors, ils écrivent : « Ici, la Stasi pour vous accueillir ». « Engagez les anciens agents de la Stasi ». « Les États-Unis accusent Snowden. Qu’ils s’accusent eux-mêmes de violation des droits fondamentaux protégeant la vie privée et la liberté. La Stasi a ouvert des lettres privées en violation des normes sur la vie privée. La NSA agit de même avec les messages électroniques privés. Pas de différence. La République démocratique allemande était une dictature. Que dire des États-Unis ? » Les messages sur les réseaux sociaux allemands vont plus loin qu’une simple analogie avec la Stasi. Ils comparent les services spéciaux des États-Unis et de la Grande-Bretagne avec le Gestapo. « S’il ça continue comme ça, ils feront ressembler la Gestapo à un chœur d’enfants. Que sont devenus les “vrais Allemands”, les vrais aryens qui croyaient pendant plusieurs années que rien n’allait leur arriver. Où leurs espérances infantiles les ont-elles menées ? Qu’en est-il des vrais aryens ? »
En effet, contrairement au passé, les technologies modernes permettent d’exercer un contrôle total sur la population, y compris sur les bourgeois dignes de confiance. La chaîne de télévision allemande NDR TV et le quotidien Süddeutsche Zeitung ont expliqué que le ТАТ-14 est un câble de fibre optique sous–marine de communications transatlantique reliant les États-Unis et l’Allemagne. Il passe par les îles britanniques. Installé par le Royaume-Uni, il y a une année et demie, le système TEMPORA est utilisé pour en lire les données. Une grande idée. Laissant l’éthique de côté. Il y a un problème cependant, le volume des données excède 192 fois celui des informations conservées dans la Bibliothèque nationale britannique.
Le programme utilise des mots-clés pour filtrer toute les données. L’expérience des services spéciaux allemands montre que la méthode est inefficace. En 2011, environ 3 000 000 de SMS interceptés avaient été suspectés d’être liés à des trafic d’armes ou d’êtres humains. Après une laborieuse vérification, seulement 290 SMS intéressaient les Renseignements.
Selon les officiels de la République fédérale d’Allemagne, la lutte contre le terrorisme ne peut pas justifier une surveillance totale. Les commentaires des réseaux sociaux corroborent cette vue. Pourtant, il existe des gens qui pensent que l’avantage d’un contrôle total l’emporte sur le respect de la vie privée. Les services spéciaux allemands semblent guidés par ce principe dans le futur. Selon des fuites dans des médias, les services fédéraux de renseignement ont créé un nouveau département pour la surveillance d’Internet. Pour prévenir les menaces terroristes, l’agence allemande de renseignement à l’étranger, le BND, envisage d’investir 100 millions d’euros afin de renforcer sa capacité de surveillance de l’Internet. L’hebdomadaire Der Spiegel rapporte que le BND envisage d’étendre son programme de surveillance pour couvrir 20 % de toutes les communications entre l’Allemagne et les pays étrangers.
L’Agence envisage d’engager 100 nouveaux agents de « reconnaissance technique ». Certains politiciens ont imaginé des propositions de loi d’extension de la surveillance. Le ministre de l’Intérieur et des Sports de Saxe-Anhalt, Holger Stahlknecht, a rédigé une loi introduisant de nouvelles règles de surveillance des télécommunications. Elle oblige les entreprises à fournir au Bureau de protection de la Constitution les données des internautes, incluant adresses IP, codes pin et mots de passe. « Sachant que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont été pris, nous devons légaliser la surveillance qui en réalité a commencé il y a fort longtemps », dit un lecteur du Mitteldeutsche Zeitung « Bienvenue en 1984 ! », conclue ironiquement un lecteur d’un journal est-allemand .
[1] El-Dorado Canyon : nom de code du bombardement de la Libye par les USA, le 15 avril 1986. L’attaque avait été conduite par l’Armée de l’Air, la Marine et l’Infanterie de marine en rétorsion à un attentat à la bombe contre une discothèque de Berlin fréquentée par des soldats US. Il s’avéra ultérieurement que l’attentat était une manipulation israélienne.

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