mercredi 8 janvier 2014

Syrie : les ennemis de notre ennemi ne sont plus nos amis !

Journaliste et écrivain
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais
Nous l’avons en passant, Français, échappé belle. Vous en souvient-il encore ? À la mi-septembre dernière, le plan de volde nos avions, dûment approvisionnés en bombes et en missiles, était établi, notre flotte se disposait à appareiller pour la Méditerranée orientale, dans des PC souterrains, nos généraux se penchaient sur la carte des opérations, toutes les dispositions étaient prises pour une intervention militaire. La France, arguant de l’utilisation d’armes chimiques par Bachar el-Assad, s’apprêtait à montrer à celui-ci de quel bois elle se chauffait et à donner un coup de main décisif à la révolution syrienne. Qui étaient les révolutionnaires, quelles étaient leurs motivations, quel était leur programme, quel type de régime s’installerait à Damas après la disparition du régime alaouite ? Notre grand stratège, à qui un conflit de plus ou de moins ne fait pas peur, et qui découvre avec délices l’étendue de ses pouvoirs sans s’inquiéter pour autant des complexités de la géopolitique ou de la configuration de ses champs de manœuvre, ne s’en préoccupait guère. « Après nous, le déluge », aurait déjà plaisanté l’un de ses lointains prédécesseurs.
Il ne nous manquait donc pas un bouton de guerre, comme disait à peu près, à la veille des désastres de 1870, le maréchal Le Bœuf. Juste un détail, une paille : le feu vert et l’indispensable soutien logistique et militaire des États-Unis. Au bord du gouffre, Barack Obama eut la sagesse de ne pas franchir le pas et François va-t-en-guerre fut frustré des nouveaux lauriers qu’il comptait ajouter à sa couronne.
La position de la France n’en restait pas moins claire et nous avions choisi le camp qui reste le nôtre, celui de l’Arabie saoudite, du Qatar, d’Al-Qaïda et autres combattants de la liberté. La priorité étant d’abattre le tyran, il n’est pas question d’être regardants sur le choix et la moralité de nos alliés. Après tout, lors de la Seconde Guerre mondiale, les grandes démocraties occidentales n’avaient pas rechigné, dans leur croisade contre les forces du Mal, à s’allier avec le pire tyran de l’histoire russe, passé du côté obscur au côté lumineux de la Force.
Dans le même esprit, Paris, longtemps, n’a rien trouvé à redire, ni à l’intrusion dans la guerre civile syrienne et au poids sans cesse accru sur le terrain de milices salafistes ou de katibas djihadistes, ni à l’enrôlement sous leurs drapeaux noirs d’un nombre croissant de jeunes gens venus de tous les pays d’Europe pour défendre leurs idées et instaurer un califat, comme jadis les volontaires des Brigades internationales étaient venus aider les républicains espagnols au péril de leur vie et, accessoirement, établir au-delà des Pyrénées une république des soviets.
Ce n’est que tout récemment que l’on s’est avisé, et même en haut lieu, que ces guerriers islamistes risquaient fort, de retour dans leur pays – qui est aussi le nôtre –, de mettre chez nous aussi leur savoir-faire, leur détermination, leurs pulsions meurtrières et leurs armes au service du même fanatisme obtus et sanglant que nous avons soutenu en Libye, que nous combattons au Mali et dont nous ne voulons pas sur notre sol.
C’est pourquoi nos services spéciaux ont repris discrètement et modestement contact avec les services secrets syriens dans l’espoir que ceux-ci nous informent du signalement et des faits et gestes de nos ressortissants engagés contre Bachar el-Assad. C’est ainsi qu’au lieu d’accueillir avec fanfares, drapeaux, discours et médailles les premiers vétérans qui reviennent en France, et de les féliciter d’avoir donné une suite pratique aux bonnes intentions de François Hollande, les pouvoirs publics délèguent à des juges d’instruction la mission de les mettre en examen sous l’inculpation d’« association de malfaiteurs » et d’« aide au terrorisme ». C’est maintenant que nos gouvernants, nos responsables du maintien de l’ordre – à défaut nos intellectuels, à qui il ne faut pas demander l’impossible – se rendent compte (un peu tard) que les ennemis de notre ennemi ne sont pas forcement nos amis et que, pour reprendre le mot célèbre de Churchill, il faut prendre garde à ne pas tuer le mauvais cochon.
Si vous cherchez la cohérence de tout cela, vous avez bien raison. Si vous la trouvez, faites-moi signe.

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