lundi 23 février 2015

La société islamiste du spectacle : Daech est constitué de professionnels, pas « que » de cinglés hystériques

Il y a le ciel, le soleil et la mer — et une longue, très longue file d’hommes habillés en orange (rappel probable de la tenue imposée à Guantanamo et plus généralement dans les prisons US) escortés par des militants de l’Etat islamique vêtus de noir — agréable contraste pour l’œil. Ciel fuligineux, soigneusement dramatique — colère céleste. Plan d’ensemble, puis montage rapide et serré, style actualités américaines. Gros plans sur les visages terrorisés des prisonniers. L’un des tueurs s’adresse à la caméra — à nous à travers la caméra — en anglais, avec un très léger accent arabe.
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Histoire de dire deux ou trois choses essentielles. Puis on pousse les prisonniers la face sur le sable, et on les décapite tous, avant de poser les têtes coupées sur les torses des victimes. La mer se teinte de rouge — écho, précise le commentateur, des vagues dans lesquelles vous avez jeté le corps d’Oussama Ben Laden. Tit for tat.
Très beau, très esthétique, remarque en grinçant Hussein Ibish, qui travaille sur la « Palestine » pour les Américains et qui raconte la scène pour le New York Times. Société du spectacle au paroxysme de son pouvoir : Les terroristes ont parfaitement assimilé les codes de la représentation occidentale, avec un arrière-plan oriental de théâtre de la cruauté qui n’aurait pas déplu à Antonin Artaud.
D’où le goût de ces jeunes gens pour les supplices spectaculaires — un pilote jordanien brûlé vif il y a quinze jours, et hier, 43 personnes, à Al-Baghdadi, en Irak, exécutées en groupe de la même façon.
Le sadisme est d’abord mise en scène.
Sur des gosses nourris de jeux vidéo et en perte de réel, ça fait son petit grand effet.
Sur les tueurs en série qui hésitent ici à passer à l’acte, c’est irrésistible.
Et les spécialistes de nous expliquer que derrière ces vidéos distillées avec un doigté remarquable — les fous de (leur) dieu alimentent l’hydre insatiable des médias mondiaux —, il y a une stratégie très clairement pensée, la volonté de faire croire aux musulmans du monde entier que le leader de « l’Etat islamique », Abou Bakr al-Baghdadi, est le « Mahdi ». L’envoyé qui remettra le Califat à l’ordre du jour.
En attendant mieux — la chute de la seconde Rome et l’extermination des Roumis.
Curieusement, l’Elysée a « oublié », en condamnant (!) cette exécution de masse, que les Egyptiens décapités étaient chrétiens. Bourde, comme veut le croire TF1, ou volonté imbécile de ne pas jeter d’huile sur le feu…
Ce gouvernement se soucie prioritairement de communication, il devrait prendre des cours auprès de Daech.
Toutes les vidéos expédiées par l’Etat islamique sont réalisées avec le même soin.
Il est temps de se dire qu’il s’agit de professionnels, pas de cinglés hystériques. De gens qui maîtrisent parfaitement leur propos et leur action, les codes de couleurs et les symboles. 
Qui ont un plan précis : Le bord de mer signifie que l’on va passer de l’autre côté, et le commentateur dit clairement que l’exécution de ces 21 chrétiens coptes témoigne de l’ambition de « conquérir Rome » : Dois-je rappeler que les « barbares » qui ont dévasté la capitale de l’Empire, au Vème siècle, n’étaient pas du tout des excités, mais des peuples organisés qui, simplement, ne parlaient pas latin — encore que nombre d’entre eux le baragouinaient assez bien, vu que les échanges entre l’Empire pourrissant et ses futurs vainqueurs étaient fréquents, et que nombre de guerriers hirsutes avaient servi dans les armées romaines. Une civilisation en chassait une autre, et il fallait tout le détachement de Saint Augustin pour considérer que l’écroulement des empires est un épiphénomène face à la permanence de Dieu.
Tous les raids que lancent les aviations occidentales — ou les missiles, ou les drones — contre ces combattants ne font que renforcer leur certitude : L’Occident ne sait pas se battre.
Technologie contre ressources humaines : Ça ne marche pas plus à la guerre — remember Viet Nam — qu’à l’Ecole, où certains s’imaginent que des écrans peuvent remplacer les profs. C’est sur le terrain que ça doit se passer. On a bien été capable, pour faire plaisir à Bernard-Henri Lévy (curieusement silencieux ces temps-ci) de virer Kadhafi.
Face à ce qui est en train de devenir le plus grand rassemblement de volontaires depuis la guerre d’Espagne, il faut évidemment aller sur le terrain, et régler la question comme Lord Kitchener régla jadis celle de l’Etat islamique installé au Soudan par un autre Mahdi, à la fin du XIXème siècle.
Ou comme les Romains, à l’époque de leur expansion, ont réglé la question carthaginoise. Obama vient de demander au Congrès (qui ne lui est pas favorable) la permission d’engager les troupes au sol.
Les Français se cantonnent dans des opérations marginales au Mali — alors qu’il s’agit de toute évidence d’un plan mondial, concerté, qui du Nigéria aux frontières turques pousse ses pions en même temps.
Y aller présente pas mal de risques — entre autres celui que la cinquième colonne (à laquelle les attentats de janvier donnent une réalité qui devrait convaincre les plus optimistes — ce ne sont pas des « loups solitaires », mais des gens organisés envoyés en mission) passe ici à l’action.
Mais enfin, de toute façon, on y est. Des attentats, il y en aura bien d’autres, tout le monde le sait, particulièrement les forces de l’ordre, qui en sont toujours à se disputer entre services de renseignement rivaux.
Dans six mois, l’Etat islamique sera devenu une force irrésistible, qui emportera le Moyen-Orient — ils ne sont pas fous, ils évitent soigneusement Israël — et l’Afrique du Nord. Demain, la Tunisie. Après-demain…
Les télés occidentales vont adorer — jusqu’à ce qu’un voile noir portant le nom d’Allah occupe leurs lucarnes. Il ne sera même plus temps de faire notre soumission, comme le raconte Houellebecq avec une ironie cynique. Nous serons tous morts.
Ce n’est pas la maîtrise de la kalachnikov qui me fait croire cela, c’est la maîtrise de la caméra.
À qui contrôle les médias il n’est rien d’impossible.
*Photo : Karl-Ludwig Poggemann.
Source : Causeur, par Jean-Paul Brighelli

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