mardi 27 juin 2017

Ajustements au Moyen-Orient

La crise diplomatique autour du Qatar a gelé divers conflits régionaux et a masqué des tentatives de règlements de quelques autres. Il devrait faire apparaître une région profondément transformée.

Après 7 mois de rencontres secrètes,(et suite aux rencontres USA/Iran) un accord a été conclu entre le Gardien des deux mosquées et l’État juif [1]. Celui-ci se concrétisa à travers la participation de Tsahal à la guerre du Yémen [2] et le transfert de bombes atomiques tactiques [3].

Cet accord prévoyait également de faire évoluer l’Arabie saoudite, de sorte que sa société reste salafiste et que ses institutions deviennent laïques. Il prévoyait aussi l’indépendance du Kurdistan irakien (qui tiendra un référendum en septembre) et l’exploitation à la fois des champs gaziers du « quart vide » (qui sont à cheval sur l’Arabie et le Yémen, d’où la guerre actuelle) et de ceux de l’Ogaden (d’où le retrait cette semaine des troupes qataries de la frontière djiboutienne).

L’Égypte a décidé de céder les îles de Tiran et de Sanafir à l’Arabie saoudite, comme elle s’y était engagée il y a un an. Ce faisant, Riyad a reconnu de facto les accords de Camp David. Pourquoi ? 
En raison de la crise du Golfe, les Séoud ont officialisé leur rupture avec les Frères musulmans qui couvait depuis la transmission par le président al-Sissi de documents attestant d’un projet de coup d’État de certains membres de la Confrérie contre eux. Désormais Riyad entend combattre toute la Confrérie ce qui le conduit à revoir sa position à propos de la Syrie.

Téhéran a accueilli la direction politique du Hamas (laquelle est principalement composée de Frères musulmans) à la fois au nom de la solidarité avec la cause palestinienne et parce qu’il partage la même conception de l’islam politique.

La prochaine étape sera l’établissement de relations commerciales publiques entre Riyad et Tel-Aviv ainsi que l’expose The Times du 17 juin (des sociétés israéliennes seraient autorisées en Arabie et la compagnie d’aviation El-Al pourrait utiliser l’espace aérien saoudien) [4], puis la reconnaissance de l’initiative de paix du prince Abdallah (Ligue arabe, 2002) et l’établissement de relations diplomatiques (le prince Walid ben Talal deviendrait ambassadeur) [5].

Ce projet pourrait amener à la paix en Palestine (reconnaissance d’un État palestinien et indemnisation des réfugiés), au Liban (retrait des fermes de Shebaa) et en Syrie (arrêt du soutien aux jihadistes et retrait du Golan).

La question du Golan sera particulièrement difficile car l’administration Netanyahu a affirmé —non sans provocation— son annexion tandis que les États-Unis et la Russie ont violemment réagi à l’expulsion de la Force des Nations unies chargée d’observer le dégagement (FNUOD) et à sa substitution par al-Qaïda [6]. Il n’est cependant pas impossible qu’au cours de la guerre de Syrie, Washington ou Moscou ait pris l’engagement auprès de Tel-Aviv de ne pas modifier le statu quo du Golan.
Ce projet de règlement général reflète la méthode des hommes d’affaire Donald Trump et Jared Kushner : créer une situation économique qui impose un changement politique. Il se heurtera nécessairement à l’opposition des Frères musulmans (Hamas), et du triangle de l’islam politique : l’Iran, le Qatar et la Turquie.
La totalité des acteurs de la région s’accordent à considérer qu’aujourd’hui l’Irak et la Syrie forment un unique champ de bataille. depuis le début de la crise autour du Qatar, la guerre se limite en Irak et en Syrie à (1) la lutte contre Daesh (Mossoul et Rakka) et à (2) celle contre la Turquie (Baachiqa et Al-Bab) [8].
Depuis l’accession au pouvoir à Pékin du président Xi Jinping porteur du projet des deux routes de la soie, Washington a poussé à la création d’un « Sunnistan » à cheval sur l’Irak et la Syrie. Pour ce faire, il a financé, armé et encadré Daesh afin de couper l’axe de communication Beyrouth-Damas-Bagdad-Téhéran-Pékin.
Les armées irakienne et syrienne ont subitement avancé depuis le début de la crise autour du Qatar. Elles ont libéré de Daesh leurs territoires frontaliers et sont aujourd’hui sur le point d’établir leur jonction (c’est-à-dire de rétablir la route de la soie). Les deux armées ne sont plus séparées que par deux cent mètres de terrain contrôlés illégalement par l’armée US [10].
Un cessez-le-feu a été proclamé unilatéralement par Damas à Deraa. En réalité, Moscou et Washington ont donné l’assurance à Tel-Aviv que la Syrie ne laisserait se déployer à sa frontière que des troupes russes et non pas iraniennes, pas plus que celles du Hezbollah libanais.
Si le Pentagone suit les ordres de la Maison-Blanche, le conflit devrait largement cesser. Il ne resterait que l’occupation turque de l’Irak et de la Syrie, sur le modèle de l’occupation turque de Chypre dont l’Union européenne s’est lâchement accommodée.
Les Yéménites pourraient faire les frais de l’évolution actuelle. S’il est clair que l’Arabie saoudite est entrée en guerre pour installer un gouvernement favorable à l’exploitation jointe des champs pétroliers du « Quart vide » et pour la gloire personnelle du prince Mohamed Ben Salman, il semble que l’aide apportée par l’Iran aux Houthis et à l’ancien président Saleh détourne les yeux des pays arabes et de la « communauté internationale » des crimes qui s’y commettent. Il faut en effet choisir son camp et presque tous ont opté pour l’Arabie saoudite contre le Qatar et ses alliés turc et iranien. Ce qui était positif en Palestine, en Irak et en Syrie, s’avère négatif au Yémen.
Depuis le 5 juin et la rupture des relations diplomatiques entre Riyad et Doha, les chancelleries se préparent toutes à une possible guerre, même si seule l’Allemagne l’a évoquée publiquement. Cette situation est d’autant plus surprenante que c’est le Qatar et non l’Arabie saoudite qui est observateur à l’Otan [11].
Quoi qu’il en soit, malgré ses revendications historiques justifiées, il semble impossible que l’Arabie saoudite annexe le Qatar alors qu’elle s’était opposée à l’annexion du Koweït par l’Irak pour les mêmes raisons. Une règle s’est imposée dans le monde depuis la décolonisation britannique : nul n’a le droit de toucher à des frontières conçues par Londres, dans le seul et unique but de maintenir des problèmes insolubles pour les nouveaux États indépendants. De cette manière Londres maintient de facto leur dépendance perpétuelle à son égard. Au demeurant l’arrivée prochaine de 43 000 soldats pakistanais et turcs venus défendre le Qatar devrait renforcer sa position.

[1] « Exclusif : Les projets secrets d’Israël et de l’Arabie saoudite », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 22 juin 2015.
[2] « La Force « arabe » de Défense commune », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 20 avril 2015.
[3] « Le Proche-Orient nucléarisé ! », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 7 mars 2016.
[4] “Saudi trade talks with Israel are historic first”, Michael Binyon & Gregg Carlstrom, The Times, June 17th, 2017.
[5] « Exclusif : L’Arabie saoudite construit une ambassade en Israël », Réseau Voltaire, 29 mai 2016.
[6] « Le Conseil de sécurité s’apprête à enjoindre à Israël de rompre avec al-Qaïda », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 2 juillet 2016.
[7Sous nos Yeux. Du 11-Septembre à Donald Trump, éditions Demi-Lune, 2017.
[8] « Invasion militaire turque de l’Irak », par Ibrahim Al-Jaafari, Réseau Voltaire, 19 octobre 2016.
[9] « Trump : le business contre la guerre », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 14 février 2017.
[10] « Les USA empêcheront-ils la réouverture de la route de la soie ? », Réseau Voltaire, 17 juin 2017.
[11] « Israël et des émirs dans l’Otan », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto (Italie) , Réseau Voltaire, 13 mai 2016.

Extrait article réseau Voltaire


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