mercredi 4 avril 2012

En Irak, des gays et des punks « sataniques » sont exécutés

Des douzaines de cadavres ont été retrouvés ces dernières semaines à Bagdad. Des corps laissés à l’abandon de jeunes homosexuels ou adeptes du style « emo » tués par balles ou lapidés. Une chasse aux « déviants » qui se pratique en toute impunité.
« Ils lui ont écrasé la tête à coups de blocs de béton. Son nom était Saïf Asmar, un de mes meilleurs amis. Demain, ça pourrait être mon tour. »
La photo de Saïf dans les mains, à peine reconnaissable après son assassinat brutal, Ruby – les prénoms ont été modifiés – tente difficilement de gérer sa colère et sa peur.

Deux portraits de Saïf Asmar, avant et après sa mort, tenus par un ami homosexuel militant, à Bagdad, le 12 mars 2012 (Saad Shalash/Reuters)
Depuis le début de l’année, des escadrons de la mort ciblent les gays et les jeunes adeptes du look « emo » – de l’anglais « emotional » – ou punk.
Le jeune homme n’hésite d’ailleurs pas à parler d’une flambée d’attaques depuis le 6 février qui, selon des sources officieuses, aurait fait plus de 80 victimes.
« Ce jour-là, ils ont tué Ahmad Arusa à Sadr City et quatre autres personnes à Geyara – deux faubourgs chiites à l’est de Bagdad. »
La plupart de ces jeunes massacrés avaient vu leur nom affiché en pleine rue. Dans le quartier de Sadr City, un pamphlet donnant la liste de 33 jeunes menacés de mort a été retrouvé. On pouvait y lire :
« Si vous n’abandonnez pas votre attitude licencieuse dans les quatre jours, le châtiment de Dieu tombera sur vous par la main des saints moudjahidine, les combattants islamistes. »
Une menace entourée de deux images de fusils. Pour Ruby, cette chasse est menée par la milice chiite radicale de l’Armée du Mahdi – un ancien groupe d’insurgés dirigé par l’imam Moqtada al-Sadr.

Un « phénomène menaçant »

En plein Sadr City, dans le bureau de la milice, le politicien local et chef religieux Brahim Jawary nie toute implication dans cette série de meurtres et « appelle à une enquête approfondie sur tous les crimes, y compris ceux commis contre la morale et les lois de Dieu ».
Face à cette vague de violences, le ministre de l’Intérieur, Jawad al-Bolani, a mis en garde dans un communiqué « certains groupes extrémistes tentés de s’ériger en protecteurs des lois morales et religieuses et de s’en prendre à des gens sur la base de leur style ou de leur coiffure ».
Mais dans un autre communiqué datant du 13 février, il n’a pas hésité à assimiler le mouvement « emo » au « satanisme ». En évoquant un « phénomène menaçant », il a précisé qu’il avait « une autorisation officielle pour les éliminer dès que possible ».

Des lesbiennes tuées par leurs frères

Ce n’est pas une lettre ou un pamphlet qui a fait fuir Madi loin de sa famille, mais un e-mail.
« Ils ont menacé de révéler à ma famille que j’étais lesbienne si je ne quittais pas le pays immédiatement », se souvient cette femme de 26 ans, rencontrée dans un lieu secret à Bagdad.
Des craintes loin d’être dénuées de fondement :
« Beaucoup de lesbiennes sont mortes en Irak des mains de leurs frères aînés. Des crimes d’honneur ou des affaires domestique sur lesquels le gouvernement ne mènera jamais d’enquête. »

Démembrés ou brûlés vifs

Selon l’Organisation de défense des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) irakiens basée à Londres, plus de 720 homosexuels auraient été tués dans le pays par des milices extrémistes durant les six dernières années.
Madi avoue qu’elle a perdu beaucoup d’amis proches.
« Les milices de Moqtada al-Sadr et les forces de sécurité irakiennes sont les plus agressives, surtout depuis qu’une fatwa [avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique, ndlr] publiée il y a quatre ans déclare que les homosexuels doivent être exécutés de la manière la plus sévère. »
Selon la jeune femme, nombreux sont ceux qui ont été démembrés ou brûlés vifs. Elle affirme que les médecins connaissent la nature de ces crimes en voyant l’état dans lequel les corps arrivent. Certains médecins qui souhaitent garder l’anonymat confirment ces allégations.

« Il y a la Constitution irakienne et la charia »

La colère est également tangible à l’intérieur du parlement irakien. « Nous avons reculé depuis 2003 sur les questions des droits humains », estime Ashwaq Jaf, un député de l’Alliance kurde.
« Le cœur du problème, c’est que nous avons deux codes pénaux : il y a la Constitution irakienne, mais aussi la charia. Les contradictions entre les deux conduisent souvent à des vides juridiques ambigus et dangereux. »
Pour Ruby, le jeune homme en fuite, le seul espoir passe par la pression des gouvernements occidentaux sur Bagdad. Sinon, ces crimes resteront impunis, car actuellement le « gouvernement est dirigé par les milices ».
Publié initialement sur
Tribune des droits humains

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