vendredi 27 mai 2016

Les ressources énergétiques des Balkans occidentaux : un enjeu eurasiatique

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Par Alexis TROUDE

Les Balkans occidentaux, engagés dans un processus d’intégration euro-atlantique, regorgent de ressources énergétiques insoupçonnées. Convoitées par les firmes multinationales et les puissances régionales et internationales, ces ressources expliquent en partie les guerres passées et les conflits à venir.
LE KOSOVO et ses richesses en lignite, la Serbie en cuivre, le fer et charbon de Bosnie, voilà quelques exemples de ressources qui offrent aux Balkans occidentaux de réelles perspectives de développement énergétique. Le réseau électrique ainsi que tous les réseaux de distribution d’énergie, ont été construits sous la Yougoslavie titiste ; devenus obsolètes ou bien abîmés par les guerres des années 1990, leur renouvellement présente un enjeu important, à la fois pour les populations et les élites locales. Il donne lieu déjà aussi à une vraie bataille entre firmes transnationales et puissances d’Europe et d’Asie.

L’Europe du sud-est : une zone de fortes ressources du sous-sol

La Serbie est à la fois au cœur des réseaux de distribution d’hydrocarbures balkaniques et pourvoyeuse d’électricité aux pays voisins. Avec 8 centrales hydroélectriques et 9 centrales thermiques, la Serbie a une dépendance énergétique modérée (40 %). Les bombardements de l’OTAN de 1999 ont endommagé ce potentiel car de l’autosuffisance avant la guerre la Serbie est passée aujourd’hui à l’importation de 25 % de ses besoins en électricité. C’est ce qui a amené l’UE à verser des prêts importants ; la Serbie est entrée en 2005 dans l’ECSEE ce qui lui permet de bénéficier de crédits de 1 à 6 milliards d’euros. En dehors de l’augmentation des capacités de la centrale hydroélectrique de Djerdap sur le Danube, un important potentiel existe sur les rivières Ibar, Lim et Drina [1].
La Croatie est un pays de transit sur les différentes routes du gaz entre Asie et Europe et en même temps le pays des Balkans occidentaux à l’offre énergétique des plus diversifiées. Avec pas moins de 30 centrales hydroélectriques, les capacités hydrauliques sont importantes pour la production d’électricité (54%). 
La Bosnie-Herzégovine a vu son réseau fortement endommagé par quatre années de guerre ; cela explique les aides importantes de la BERD et de la BEI qui ont octroyé plus de 230 millions de dollars aux trois compagnies électriques du pays. Sans hydrocarbures, les principales ressources énergétiques de la Bosnie sont donc l’hydroélectricité et le lignite. Le Monténégro, sans hydrocarbures, est placé en outre loin des grands tubes énergétiques ; Elektroprivreda Crne gore (EPCG) gère publiquement une énergie à 76% hydraulique. 
Les ressources énergétiques des Balkans occidentaux : un enjeu eurasiatique
Kosovo. La mine de Trepca
Cliquer sur la vignette pour agrandir l’image. Source : Wikipedia
En revanche, le Kosovo est aujourd’hui l’une des régions les plus riches en minerais d’Europe. Le site de Kopiliq possède la cinquième réserve mondiale de lignite et la mine de Trepca regorge de plomb, de zinc et de cuivre aux teneurs exceptionnelles. On trouve également au Kosovo de l’argent, de l’or, du nickel, de la bauxite et du manganèse. Selon un rapport de la Banque mondiale de novembre 2007, la valeur des richesses du sous-sol kosovar est évaluée à 13 milliards de dollars. Cette concentration de richesses sur un aussi petit territoire attise donc forcément les convoitises : Trepca, jusque là exploitée par l’ « Agence pour la Privatisation », doit passer sous contrôle du gouvernement du Kosovo [2].

Des acteurs multiples en confrontation : Etat, firmes privées et pouvoirs locaux

Dans les Balkans occidentaux, la privatisation des sociétés publiques a profité ces dernières années à des acteurs nationaux ou étrangers mais liés aux pouvoirs politiques en place. Par ailleurs, les réseaux de gazoducs et d’oléoducs sont l’objet de luttes économiques intenses mettant aux prises sociétés russes, américaines et même chinoises.
En Serbie, depuis le rachat de la société nationale NIS par le russe Gazprom, d’importants investissements ont permis d’exploiter 59 champs d’exploitation. Pour le gaz, le géant russe Gazprom, depuis le rachat de 2008 a mis sous dépendance la Serbie, mais en même temps a permis de couvrir les deux tiers de ses besoins en gaz. En effet, la Serbie est le pays à la plus grande partie du tracé sur son territoire, soit plus de 400 km sur une longueur totale d’environ 900 km, pour la partie terrestre.
Or cela pose problème en Bosnie-Herzégovine, où le raffinage du pétrole importé vient principalement de Serbie et se fait dans deux raffineries rachetées par le russe Zrubezhneft : cela place Sarajevo sous dépendance directe de la Republika srpska, en plus du lien avec la Serbie. Par ailleurs, un projet de rattachement à South stream (Bjelina-Novi Grad) aurait fourni à la Republika srpska du gaz en quantité non négligeable. Mais depuis le retournement de situation de décembre 2014, cela est resté lettre morte. Milorad Dodik, Président de la Republika Srpska, constate amèrement qu’« On a perdu, sous la pression de l’UE, South stream », or « Il ne nous reste que deux centrales thermiques ». La politique changeante de l’UE pousse ainsi Dodik à se tourner vers la Russie. [3]
L’électricité croate est contrôlée totalement par HEP (Elektroprivreda Hrvatske), la grande compagnie qui, malgré un plan de privatisation de 2004, donne à l’Etat le quasi monopole sur la production et la distribution de l’électricité croate. Pour les hydrocarbures, la privatisation a remodelé le paysage énergétique. Même s’il reste sous contrôle public, le projet d’oléoduc JANAF reliant Belgrade à Zagreb puis Rijeka met en partie la Croatie sous dépendance russe. Pour le gaz, même si la Croatie contrôle 40 % des besoins, INA a été racheté par l’italien ENI. Face aux avances de Gazprom pour relier la Croatie à South stream, les gouvernements croates successifs ont préféré réaliser un gazoduc la rattachant au réseau hongrois.
Le gouvernement monténégrin aimerait se rattacher à l’oléoduc Trans-Adriatic Pipeline (TAP) Turquie-Italie chapeauté par les Etats-unis, mais cela reste encore au niveau d’un projet. Les écologistes sont furieux du projet de barrage sur la Tara, qui bouleverserait l’écosystème au Monténégro et aurait des conséquences en Bosnie et en Serbie en aval [4].

Les Balkans occidentaux au cœur des stratégies des grandes puissances

Seize ans après les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Kosovo, on parvient désormais à mieux cerner l’intérêt stratégique capital de ces hauts-plateaux du Kosovo, enclavés entre montagnes d’Albanie, du Monténégro et de Macédoine. A l’Est, dans la basse-Morava, le corridor X draine déjà entre Budapest et Salonique des flux commerciaux vitaux pour la Macédoine et la Serbie. A l’ouest, le corridor IV Trieste-Constantza aiguise les appétits des Russes. On comprend pourquoi les projets de tuyaux gaziers et pétroliers soutenus par Moscou (« South Stream ») contrecarrent au Kosovo le projet américain AMBO de faire transiter par les Balkans les sources d’approvisionnement en hydrocarbures en provenance d’Asie centrale.
L’Union européenne a investi, depuis 1997, huit milliards d’euros dans le corridor VIII (oléoduc, voie ferrée et autoroute). Pour l’instant, seuls deux tronçons d’autoroute sont achevés sur cet axe, hormis le tronçon Bulgarie- l’Albanie. Or l’UE est sur cet axe Est-Ouest en concurrence avec les Américains. L’oléoduc Trans-Balkans AMBO, se développe depuis 1997 entre Mer Noire et Mer Adriatique ; le gazoduc « Nabucco » doit relier Istanbul à Vienne par la Roumanie. Le retour des Russes dans cette course à l’énergie est saisissant. Depuis 2007, l’oléoduc Burgas (Bulgarie) /Alexandroupoli (Grèce) permet d’éviter la Turquie en passant par deux pays orthodoxes. Mais surtout le projet de gazoduc américain « Nabucco » est concurrencé par le projet russe du gazoduc « South Stream » [5].
Dans cette course aux carburants, l’indépendance du petit Monténégro a débouché sur une mainmise des capitaux russes sur l’économie du pays. Des hommes d’affaires russes investissent à tour de bras au Monténégro depuis 2006. Ainsi, le groupe Rusal d’Oleg Deripaska, qui serait proche de Vladimir Poutine, a racheté les mines de bauxite de Nikšić ainsi que le combinat d’aluminium de Podgorica KAP - première industrie du pays. En 2006, il a remporté l’appel d’offres pour la privatisation des mines de charbon et de la centrale thermique de Pljevlja. [6] Selon l’économiste Nebojsa Medojević, « la moitié de la richesse produite au Monténégro est aux mains des Russes ». Certes, c’est le groupe britannique E.F.T. qui est concessionnaire de ce site, mais le projet n’aurait pas été réactivé sans la pression d’Oleg Deripaska, qui veut agrandir le complexe d’aluminium KAP, énorme consommateur d’électricité : 1,4 milliard de kwh - soit l’équivalent du déficit énergétique du pays - pour une production passée à 120 000 tonnes d’aluminium par an [7]. Ce complexe est le plus grand pollueur du pays ; construit par Péchiney il y a un demi-siècle, il est très vétuste et est maintenant menacé de fermeture. Oleg Deripaska réclame 300 millions d’euros pour le rénover.
Passage obligé vers la Hongrie et la Roumanie, la Voïvodine est au débouché des tubes énergétiques balkaniques : les couloirs européens IV et X la traversent, ainsi que les tracés des futurs gazoducs « Stream » russe et « Nabucco » américain. C’est pourquoi les grands industriels autrichiens, hongrois et russes tentent de s’implanter en Voïvodine. L’autrichien O.M.V. s’était déjà intéressée en 2006 à l’acquisition d’une raffinerie à Novi Sad, et, au début de 2008, une alliance énergétique austro-hongroise était sur le point d’être conclue. Mais les Russes ont été plus rapides et ont acquis 51 % de Naftna Industrija Srbije (NIS), la compagnie pétrolière serbe, en décembre 2008. La Voïvodine est ainsi devenue le terrain d’une confrontation stratégique entre une Russie misant sur la Voïvodine comme couloir énergétique vers l’Europe et de contournement de l’ « ennemi » ukrainien » et des Hongrois de plus en plus présents sur leurs franges méridionales. Ce n’est pas par hasard que Gazprom a décidé d’installer le principal centre de stockage gazier russe des Balkans en Voïvodine.

Conclusion

Le retour en 2015 du « conflit est-ouest » est ici flagrant. South stream est mort par la pression exercée par l’UE sur un des pays récemment entré, la Bulgarie : celle-ci a déclaré en novembre 2014 ne plus vouloir des tubes gaziers russes.Poutine change alors son fusil d’épaule et propose le « Turkish stream » dès janvier 2015, qui passerait par la Turquie, la Grèce puis la Macédoine et la Serbie. Or l’UE exerce une pression constante sur ces pays du sud-est de l’Europe afin d’empêcher la réalisation du Turkish stream. Proposition d’un hypothétique « Anneau oriental », chantage aux crédits sur la Grèce et autres revification de projets UE-Etats-Unis des années 1990 (TAP ou TANAP) semblent pour le moment dissuader Gazprom et le gouvernement russe d’entamer des travaux d’envergure.
Le 15 janvier 2015, Vladimir Poutine annonçait tel un coup de théâtre, le changement du tracé de South stream par la Turquie : il mettait ainsi fin aux atermoiements des supposés « alliés » serbe et bulgare et, tel un joueur d’échec, répondait par un oukaze à la politique de sanctions menée durant l’année 2014 contre la Russie. Est-ce la fin annoncée du projet South stream ? Poutine teste ici les Européens, sachant que plus de 40 % de leurs livraisons de gaz proviennent d’Asie ; mais il montre aussi que l’Europe n’est plus l’avenir radieux tant espéré. La Russie se tourne de plus en plus vers l’Asie, pendant que la Chine s’installe dans les Balkans. Celle-ci a décidé de faire de la Serbie une plate-forme énergétique ; la Chine va construire deux centrales thermiques et un réseau ferré de trains rapides entre la Grèce et la Hongrie viaBelgrade. Dans cette nouvelle « Question d’Orient », les Balkans sont devenus un centre européen du Grand jeu énergétique mondial.

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