vendredi 27 mai 2016

Une intervention en Libye se prépare.. Mais laquelle ?

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(B2) Régulièrement, les médias en Italie, en France, au Royaume-Uni font état de plans imminents pour intervenir en Libye. A écouter certains (comme le Daily express par exemple), on a l’impression que les moteurs des avions vrombissent déjà, les pales des hélicoptères sont sorties, les navires se rassemblent au large telle une gigantesque armada prête à intervenir. La réalité semble légèrement différente…
Des actions ponctuelles ne signifient pas une opération
Je sais, je vais décevoir quelques confrères, boy scouts de l’intervention militaire, parachute sur le dos et lance roquette en bandoulière qui flamboient dès qu’ils entendent parler « boum boum ». Certes il y a quelques survols, plus ou moins discrets, d’avions. Ce n’est pas vraiment nouveau, c’est simplement plus systématique (1). Il y a des forces spéciales disséminées, ci et là, pour prêter leurs concours aux forces locales, préparer la suite des opérations, repérer (et éliminer) de potentiels suspects. C’est le boulot des forces spéciales. Il y a un ou deux raids de drones armés, en nombre limité, pour procéder à une ou deux frappes « d’élimination ». Ce n’est pas vraiment différent de ce qui se passe en Somalie, au Yemen… C’est la méthode trouvée par les Américains pour tenter de décapiter les structures de Al Qaida (ou Daech maintenant) sans intervenir de façon trop visible. Quant aux états majors — à Rome, à Paris, à Londres — ils planifient divers scénarios. C’est leur rôle. Mais l’essentiel n’est pas là…
Le souvenir de la catastrophe de 2011
Il ne semble pas question (pour l’instant) d’une intervention militaire occidentale, avec navires de l’OTAN au large, contrôle aérien et forces spéciales au sol pour guider les avions, au sens de celle qu’on a vécu en 2011. L’intervention actuelle semble plus diffuse, plus discrète, et plus multiple. Tout simplement car ce ne peut être la même chose. Le problème n’est pas d’avoir en Libye un Etat « ennemi » ou un gouvernement « ennemi », c’est l’anarchie qui est l’ennemi aujourd’hui. Et contre çà, tous les bombardiers du monde n’y peuvent rien. Personne n’a aussi vraiment envie de rééditer le scénario de 2011. Car l’intervention occidentale de 2011 — justifiable de façon ponctuelle —, reste, dans tous les esprits, comme une vraie défaite, politique et militaire au sens stratégique (2). Enfin, faut-il le rappeler, il y a d’autres terrains d’engagement. Et personne n’a vraiment les moyens d’une campagne d’envergure et sur une longue durée. Il faut être réaliste…
Qu’en est-il en réalité ?
De fait, il semble y avoir confusion entre plusieurs opérations ou projets d’opération qui se déroulent ou se préparent de façon simultanée, et d’une certaine façon sont complémentaires.
Trois acteurs multinationaux : l’ONU, une coalition, l’UE
Il y a actuellement trois acteurs et trois vecteurs d’action possible, multinationaux : 1° l’ONU et sa mission UNSMIL, 2° la LIAM, coalition militaire formée sous direction italienne et sous ombrelle de l’ONU, rassemblant plusieurs pays (dont les Britanniques, les Jordaniens et d’autres) ; 3° l’Union européenne et ses missions PSDC (EUNAVFOR MED en mer et une future mission à terre). Ces vecteurs ne sont pas alternatifs l’un de l’autre. Ils s’inscrivent en complément.
Et l’OTAN ?
Même si l’OTAN reste dans tous les esprits, le rôle de l’Alliance Atlantique n’est pour l’instant ni défini ni souhaité par les Libyens eux-même (souvenir de 2011) ni par certains Européens, même du côté maritime ou de contrôle des migrations. Angela Merkel l’a rappelé précisément à Hanovre au président américain. « Il y a maintenant une mission européenne – EU NAVFOR Med aussi appelée « Sophia » – qui fonctionne très bien ». De nombreux articles de presse mentionnent une opération en préparation sur les migrations. Il semble que cela soit loin d’être acquis … (pour être poli !) « On est davantage dans une idée défendue par un ministre (la ministre italienne de la Défense) que dans une décision approuvée » m’ont confirmé plusieurs sources. La confusion règne, savamment entretenue avec d’autres projets en cours (Lire :L’opération Active Endeavour en passe d’être transformée. Une coordination UE-OTAN en Méditerranée à l’étude)
Des rôles complémentaires
Le principal d’entre eux est la LIAM, qui a pour objectif sous commandement italien, la sécurisation de Tripoli, et la restructuration et formation de l’armée libyenne (dans un format assez proche des missions EUTM de l’Union européenne). Pour les garde-côtes et la surveillance maritime, ce sera davantage le rôle de l’opération européenne EUNAVFOR MED / alias Sophia (lire : Les Etats envisagent plusieurs options diverses). Pour remettre sur pied une police, judiciaire essentiellement, ainsi que les poursuites, ce serait le rôle d’une autre mission européenne qui est à l’étude actuellement.
Trois conditions
Mais tout cela est placé à trois conditions : 1° Un gouvernement libyen reconnu comme légitime (non seulement par la communauté internationale mais aussi par les Libyens = le Parlement de Tobrouk), 2° Le gouvernement doit avoir demandé une intervention ou, au moins, ne s’y oppose pas, 3° Avoir un certain consensus international, à défaut d’une résolution formelle des Nations unies. Cela signifie notamment l’absence de veto formel de la Russie. On peut certes se passer de cet accord pour faire une ou deux frappes, de façon inopinée, discrète, et solitaire. Mais répéter cet acte de façon régulière serait (très) délicat à tenir sur le plan des relations internationales serait quasiment un cas decasus belli.
Une intervention militaire : désastreuse
Pour les spécialistes de la Libye, il faut agir avec tact et prudence. La pire des choses serait d’avoir une intervention militaire sans aval des autorités libyennes un peu légitimes. « En l’état des choses, une opération militaire serait désastreuse et inefficace. Cela reviendrait à plomber le processus de recomposition nationale. Nous ne sommes plus dans le contexte de la Libye 2011 » avait confié, il y a quelques temps, à B2 un diplomate expérimenté, bon connaisseur de la Libye. Certes il reconnait que l’idée d’une intervention « est bien dans la tête de quelques uns. Dans tous les pays, il y existe une tentation permanente d’intervention. C’est le rôle des militaires d’ailleurs de planifier toutes les situations. » 
Une offensive libyenne en cours
Les Libyens du général Haftar à l’oeuvre, bien aidés
A ceux-là, il faut ajouter l’action des forces libyennes, recomposées, du général Haftar, avec l’aide « technique » de plusieurs acteurs opérationnels : l’Egypte et les Emirats arabes unis de façon à peine cachée, et de quelques acteurs européens. Le soutien occidental (Français notamment mais aussi Britannique) est plus discret. Mais il semble bien présent (comme en 2011 d’ailleurs), sous la forme de fourniture d’équipement, d’éléments d’entraînement voire directement sur le terrain (avec quelques unités de forces spéciales). Ces forces sont repassées à l’offensive depuis quelques jours reprenant Benghazi et Derna, selon les dernières informations.
L’espoir d’une tenaille
C’est sur ces forces essentiellement, qu’une partie de la communauté internationale compte pour effectuer l’offensive contre Daech, davantage que sur une intervention militaire extérieure qui apparait davantage comme une situation d’extrême limite. Ces forces pourraient être aidées au besoin par quelques milices, à l’ouest, notamment à Misrata, qu’il reste à convaincre de repartir à l’assaut. Ce qui permettrait de prendre en tenailles les hommes de Daech, de les contraindre à la défensive et les empêcher d’atteindre les champs de pétrole notamment. Des experts (Américains notamment mais aussi Italiens semble-t-il) sont, ainsi, sur le terrain depuis pour « nouer des contacts », avait indiqué Peter Cook, porte-parole du Pentagone il y a quelques temps.
Des divergences d’intérêt
Derrière une certaine unanimité européenne se cache mal, même entre Européens, des intérêts divergents. La Libye excite. Et celui qui sera dans le camp du vainqueur aura un atout dans la manche. D’où une certaine course de vitesse entre Paris, Londres, Berlin et Rome pour pousser « sa » solution, avec Washington en rôle d’arbitre (c’était en sous-main l’enjeu de la réunion au sommet de Hanovre). L’Italie veut garder la mainmise sur un pays, tout proche, qu’elle considère un peu comme son arrière-cour (les puits de pétrole exploités par ENI, le pétrolier italien, notamment à Mellitah, sont toujours en fonctionnement). La France soutient, sans ambages, l’Egypte qui soutient le général Haftar, qui refuse de reconnaître la légitimité du gouvernement d’Al-Sarraj (lire notre interview à paraitre de l’eurodéputée Ana Gomes). Mais, dans le même temps, elle est « prête » à aider le nouveau gouvernement d’union nationale pour assurer « sa sécurité maritime » comme l’a confirmé, mardi (26 avril) sur Europe 1, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian… « si le Premier ministre (sollicite) la communauté internationale » (3). Quant aux Britanniques, ils mènent aussi un jeu complexe dont l’objectif, à la faveur du changement de pouvoir, est de damer le pion aux Italiens.
(Nicolas Gros-Verheyde avec Leonor Hubaut)
(1) Cela se produit déjà depuis des années. Si mes souvenirs sont bons, les avions français qui font régulièrement des exercices dans le nord du Tchad n’ont pas pour seul objectif d’inspecter si les dunes du Tibesti ont changé de place … Et, actuellement, il y a très peu de chances de se faire pincer par des radars ou une chasse libyenne anéantie. Il ne faut pas oublier non plus que l’opération EUNAVFOR MED avait pour premier objectif le recueil de renseignements et d’informations. Informations traitées d’abord au niveau national puis transmises au niveau européen (pour ce qui concerne la lutte contre les trafiquants.
(2) Avoir détruit un pôle de stabilité (même dictatorial) pour en faire un pôle d’instabilité et une menace à court terme peut, difficilement, être dénommée autrement, même si d’un point tactique, sur le champ de bataille, la victoire militaire est indéniable et restera, là aussi, dans les annales. Gagner une bataille n’est pas gagner la guerre comme aurait dit le Général…
(3) La seconde partie de la phrase du ministre français est souvent oubliée, ne retenant que la disponibilité française. Elle vient d’une certaine façon « compléter » la phrase de François Hollande qui indiquait lors du dernier sommet européen ne pas vouloir s’engager trop avant.

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