mercredi 12 décembre 2012

La Jordanie serait-elle la prochaine cible du "printemps islamique"?

Mi-novembre, pendant plusieurs jours, les rues d'Amman ont été secouées par des cris scandant "A bas la Monarchie!" chantés à l'unisson par plusieurs milliers d'opposants.
C'est une nouveauté; pour ainsi dire, du jamais vu, depuis la guerre civile de 1970 ayant opposé feu le roi Hussein à la déjà majorité palestinienne de son pays. Ces récentes émeutes ayant entraîné un mort et des dizaines de blessés lors d'affrontements avec les forces de l'ordre avaient pour cause immédiate une hausse des prix de l'énergie.
Janvier 2013: des élections parlementaires qui inquiètent
Ce pays, forgé par les Anglais en 1921 pour servir de terre d'accueil au chef de la famille Hachémite est le plus fragile des monarchies arabes. C'est donc dans ce climat que le pouvoir regarde avec inquiétude l'organisation prochaine d'élections parlementaires au mois de janvier 2013.
Même s'il ne faut pas attendre un bouleversement des donnes lors de ces prochaines élections, principalement du fait du découpage insidieux de la carte électorale et le boycott de ces dernières par la seule force organisée d'opposition du pays, les frères musulmans; le taux de participation sera néanmoins un indice que le roi Abdallah regardera avec intérêt. Ne serait-ce que pour mesurer le pourcentage de la population qui croit encore au changement par l'exercice du droit de vote.
Une population bédouine mécontente
Alors que l'immense majorité de la population jordanienne est palestinienne, ces derniers n'ont jamais pu obtenir un reflet de leur poids démographique au parlement. Ainsi, la capitale qui compte la moitié des 7 millions d'habitants du pays et qui est dans sa très grande majorité palestinienne, ne représente que 20% des 150 sièges du parlement.
Cependant, ce ne sont pas les revendications de la population d'origine palestinienne qui posent aujourd'hui le plus de problèmes mais le mécontentement grandissant des tribus bédouines, l'assise traditionnelle et historique du pouvoir.
En effet, ces derniers, qui jusqu'alors pouvaient compter sur les largesses du pouvoir pour assurer leur train de vie, sont confrontés depuis un an à des fins de non-recevoir en réponse à leurs demandes.
Le système qui maintient le pouvoir du roi est un système de patronage et de clientélisme où la population bédouine, en échange d'un délicat marchandage consistant en l'octroi de postes dans les armées, la police et la fonction publique apporte son soutien au régime.
C'est ainsi que l'on a pu découvrir dans l'une des fameuses dépêches diplomatiques de Wikileaks que 85% du budget de l'Etat était consacré au coût des salaires versés aux fonctionnaires et aux forces militaires en 2010, dernière année dont les chiffres sont connus.
Or, ce système est en panne aujourd'hui et la Jordanie est dans une situation de quasi faillite contraignant le pays a changé cinq fois de gouvernements en deux ans.
L'insolvabilité: l'épée de Damoclès du pays
Le Fonds Monétaire International, appelé à la rescousse, a pour sa part conditionné l'octroi d'un prêt de 2 milliards de dollars à l'arrêt des subventions versées par l'Etat, notamment dans le domaine énergétique. C'est ainsi que quasi concomitamment aux élections parlementaires de janvier 2013, une très forte hausse du prix de l'électricité est à craindre, ce qui n'est pas de nature à ramener le calme.
La Jordanie, à moins d'une injection financière majeure venant de l'Arabie Saoudite et des autres pétromonarchie du golfe persique, risque de se retrouver dans une situation financière très précaire. Elle a pu éviter l'insolvabilité en 2011 de justesse que grâce à une aide de 1,4 milliards de de dollars versés par ces même pays. Depuis, Amman ne voit pas venir le fruit de la manne pétrolière saoudienne car entre temps le conflit syrien a changé quelque peu les choses.
En effet, la Jordanie, qui a accueilli sur son territoire plus de 250.000 réfugiés syriens refuse de devenir le flanc sud par où passe les rebelles à l'instar de la Turquie au nord. Les Saoudiens et les Qataris qui sont les principaux bailleurs de fonds de l'opposition islamiste au régime syrien voient donc, cette inertie jordanienne d'un très mauvais œil, d'où le blocage de l'aide financière.
Il s'agit là d'un changement majeur de leur attitude à l'égard de la Jordanie car jusque-là la solidarité entre Emirs et roi faisait qu'ils se sentaient un devoir moral de maintenir le Roi de Jordanie sous perfusion; allant jusqu'à consentir à son admission dans le club très select du Conseil de Coopération du Golfe en mai 2011 après presque deux décennies d'attente.
Un Roi tiraillé
Or, le choix des alliances n'est pas chose aisée pour le Roi Abdallah. Même si son cœur penche naturellement vers ses amis régnants du golfe persique, son pays est dans une situation de double dépendance tant à l'égard du pétrole chiite irakien que du sort qui pourrait être réservé au pouvoir de Damas.
La Jordanie ne peut prendre le risque de prendre un pari sur l'issue du conflit syrien. Quoi qu'il advienne à Damas, le Roi risquerait d'être perdant. Si Assad arrive à survivre à la guerre civile syrienne, en cas de prise de position hostile de la Jordanie aujourd'hui, Assad risquerait fort de tourner son courroux contre Amman. S'il perd, la Jordanie se retrouverait voisin d'une Syrie devenue islamiste dirigée par des Frères Musulmans, les condisciples de ceux-là même qui dirigent le Hamas; sorti enhardi de son dernier conflit avec Israël.
Incontestablement, de par sa population à majorité palestinienne et la très forte présence des Frères Musulmans sur son échiquier politique, le maintien du statu quo à Damas arrangerait le Roi. D'où le maintien de son ambassade dans la capitale syrienne en dépit de nombre de demandes de retrait formulées par les Saoudiens.
Difficile choix donc pour Amman. Et pendant ce temps d'indécision, les Frères islamistes aiguisent leur couteaux et les Palestiniens rêvent de la grande Palestine incorporant tant la Cisjordanie que la Jordanie.

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