vendredi 9 mars 2012

Pourquoi ma mère souhaite ma mort

Sabatina James, d'origine pakistanaise, vit maintenant en Allemagne. Elle a fui un mariage forcé, s'est convertie au christianisme et a été condamnée à mort par sa famille pour les avoir «déshonorés». Elle raconte son histoire dans un livre intitulé Condamnée sans avoir commis de crime, et dirige la Fondation Sabatina qui vient en aide aux jeunes musulmanes aspirant à mener une vie libre et indépendante
Sabatina-james
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À 18 ans, mes parents ont menacé de me tuer. Et ils étaient sérieux. S’il n’en tenait qu’à eux, je serais probablement morte aujourd'hui.
Les ennuis ont commencé quand j'avais 15 ans. À l'époque, ma famille vivait dans la ville de Linz en Autriche, un monde très éloigné de notre Pakistan natal où j'avais grandi dans un village rural à l'ombre des montagnes du Cachemire. J'adorais la liberté de ma nouvelle vie en Europe, les T-shirts et les jeans, le rouge à lèvres et le eye-liner. Mes parents conservateurs, non. Nous nous sommes querellés autour des leçons de natation et des cours de théâtre, mon père disant que c’était pour les prostituées. Les tampons étaient aussi un sujet de querelles car ma mère croyait qu’ils allaient abîmer ma virginité.
Lorsqu’un jour ma mère a trouvé mon journal intime et appris que j'avais embrassé un garçon dans le parc après l'école, elle m'a giflée, elle m’a écrasée contre le mur et donné des coups de pieds dans les jambes en me traitant de putain. À mon âge, elle s’installait dans un mariage arrangé. Elle croyait que le temps était venu pour moi de faire la même chose. Je n’étais pas d’accord. Et c’est ainsi qu’a commencé un violent conflit avec ma mère, qui a duré trois ans.
Dans les familles issues de traditions tribales comme la mienne, une fille est destinée au mariage. Et les pères ne sont pas toujours ceux qui l’imposent, parfois ce sont les mères. C'est bien pire, à mon avis. Lorsqu'on devient une jeune femme mûre et que notre mère nous bat, c'est désastreux. On n'a plus d’ancrage.
Ma mère a commencé à surveiller le moindre de mes faits et gestes. Un jour, après avoir trouvé un T-shirt qu’elle trouvait trop osé, elle m’a brutalement frappée au visage avec une chaussure, fendant ma lèvre. Encore là, j’ai refusé de me soumettre. Je n'avais pas envie de disparaître dans un mariage forcé. Je voulais ma liberté.
Mes parents avaient profondément honte de mon attitude rebelle. Ils se sentaient gênés devant la communauté pakistanaise d’Autriche. Ils sont devenus plus déterminés que jamais à me donner en mariage et à restaurer « l’honneur » de la famille.
Sabatina-james-livreQuand j'avais 16 ans, ma famille s'est rendue au Pakistan. Je me souviens de mon habillement, que je trouvais parfaitement modeste : des pantalons amples et un chemisier. D'autres me voyaient différemment. Une foule d'hommes s’est rassemblée, ils m’ont huée et sifflée. Ce jour-là ma mère m’a battue à nouveau, dans une pièce remplie de membres de la famille.
Et puis elle s’est frappée. Je savais que les Pakistanais pouvaient se flageller quand ils souffrent, mais je ne m'attendais pas à voir ma propre mère faire cela. Je la regardais pendant qu’elle se frappait la poitrine avec une baguette, en disant :  « J’ai enfanté une pute ».
Mes parents m'ont envoyée dans une école islamique, ou madrassa, à Lahore, pour me « remettre dans le droit chemin », comme disait ma mère. Je partageais avec une trentaine de filles une chambre dépourvue de chaises, de lits et de ventilation. Dans cette pièce, toute la journée, on ne faisait rien d’autre qu’étudier le coran, prier et écouter des cours sur le prophète par un mollah caché derrière un rideau. Si une fille parlait avant son tour, elle était publiquement bastonnée dans la cour. Les mouches et la vermine grouillaient dans les salles de toilettes. Il n'y avait pas de serviettes hygiéniques, juste des serviettes de bain tachées de sang. La toilette était un trou dans le sol.
Après trois mois, j'ai arrêté de manger et on m’a expulsée. J’ai finalement accepté d’épouser l'homme choisi par ma famille, pour pouvoir retourner en Autriche durant la période des fiançailles. Plus tard, quand mes parents ont réalisé que je n'avais pas l'intention d’épouser cet homme, mon père m'a dit: «L'honneur de cette famille est plus important que ma vie ou la tienne ».
C'était une menace de mort directe. Cela peut sembler extrême, mais ça se produit. Selon les Nations unies, 5000 femmes et filles sont assassinées dans le monde chaque année pour avoir « déshonoré » leur famille en se conduisant de manière jugée rebelle ou impudique.
Je me suis enfuie et j’ai survécu en dormant dans des refuges et en travaillant dans un café local à Linz. Mes parents m'ont harcelée aux deux endroits, ils se pointaient et m’ordonnaient de me marier. Ils sont venus chaque jour, comme s’ils étaient possédés par des démons, jusqu’à ce que je perde mon emploi. J’avais 18 ans.
Je me suis enfuie à Vienne avec l'aide d’amis. Là, j'ai commencé une nouvelle vie, j’ai changé mon nom et je me suis convertie au catholicisme. J'ai écrit un livre sur mon expérience, et mes parents m’ont poursuivie pour diffamation. Le tribunal a statué en ma faveur.
Aujourd'hui, je tente de briser la tradition du « mariage ou la mort ». Je dirige une fondation appelée Sabatina, en Allemagne, où je vis. Mon groupe agit comme un chemin de fer clandestin, nous aidons des femmes à échapper à leurs familles en leur trouvant un refuge et un emploi.
Je sors rarement seule. Je me demande souvent si quelqu'un m’épie. J'ai toujours aimé ma liberté, mais j'ai l’ai payée au prix fort.
Tel que raconté à Abigail Pesta
Source : Why My Mother Wants Me Dead, par Sabatina James, The Daily Beast, 5 mars 2012. Traduction par Poste de veille

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