mardi 26 juin 2012

Diffamation sur commande

Quand un pays veut entrer en guerre, il lui faut acquérir l’adhésion de sa population et le meilleur moyen d’y parvenir est le mensonge. Les exemples sont innombrables et on n’en dressera pas la liste ici. Rappelons simplement l’affaire des couveuses du Koweit qui avait permis aux Américains et à leurs alliés d’envahir l’Irak. Ce mensonge, découvert après les événements, avait été forgé par l’une des grandes agences américaines de Public relations et de traitement de l'information : Hill & Knowlton de New York. On nous signale un article, retrouvé en réalité par l’historien Paul-Eric Blanrue et mis en ligne sur son site « Le Clan des Vénitiens » – article publié par la revue zurichoise « Horizons & Débats » dans sa livraison du 10 mars 2007 – qui démontre que c’est encore un mensonge forgé par une influente agence de communication qui avait permis aux troupes de l’OTAN de s’engager contre la Serbie dans la Guerre dite de Bosnie. On reste pantois devant le coup de poker joué par cette agence… Polémia
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2–5 août 1992: coup de poker extraordinaire
Comment est-il possible que la responsabilité de la guerre en Croatie ait été attribuée à ceux qui ne l’ont pas commencée? Et pourquoi les médias ont-ils diffusé des mensonges éhontés et des demi-vérités, déformé la réalité et caché des faits importants? On trouve la réponse à ces questions dans le livre Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire de Jacques Merlino, rédacteur en chef de France 2. Dans cet ouvrage, il reproduit une interview de James Harff, directeur de la grande et très influente agence de communication américaine Ruder Finn Global Public Affairs qui fournit, entre autres, des informations à la Maison-Blanche.
James Harff reconnaît sans détours que son agence a été payée pour répandre de fausses informations des Croates, des musulmans bosniaques et plus tard des Albanais du Kosovo. Il avait déjà été en contact avec ces groupes ethniques avant la guerre. Jacques Merlino s’étonne de la franchise de James Harff, mais il semble qu’un homme comme lui ne soit pas un danger pour cette entreprise géante renommée.

Voici un extrait de l’interview.
Merlino : Monsieur Harff, ce qui m’intéresse en premier lieu est d’essayer de comprendre votre méthode de travail.
Harff : C’est très simple. Un fichier, un ordinateur et un fax, voilà l’essentiel de nos outils de travail. Le fichier comprend quelques centaines de noms, journalistes, hommes politiques, représentants d’associations humanitaires, universitaires. L’ordinateur trie ce fichier selon une série de thèmes croisés afin de présenter des cibles très efficaces. Et cet ordinateur est relié à un fax. Ainsi, nous pouvons en quelques minutes diffuser une information précise à tous ceux dont nous pouvons penser qu’ils réagiront. Notre métier est de disséminer l’information, de la faire circuler le plus vite possible pour que les thèses favorables à notre cause soient les premières à être exprimées. La vitesse est un élément essentiel. Dès qu’une information est bonne pour nous, nous nous devons de l’ancrer tout de suite dans l’opinion publique. Car nous savons parfaitement que c’est la première affirmation qui compte. Les démentis n’ont aucune efficacité.

Merlino : A quel rythme intervenez-vous?
Harff : Ce n’est pas la quantité qui est importante. C’est la capacité d’intervenir au bon moment et auprès de la personne adéquate. Je peux vous donner quelques chiffres si vous le souhaitez. Ainsi, de juin à septembre, nous avons organisé trente entretiens avec les principaux groupes de presse et nous avons diffusé treize informations exclusives, trente-sept fax de dernière minute, dix-sept lettres officielles et huit rapports officiels. Nous avons également organisé des rencontres entre des officiels bosniaques et le candidat à la vice-présidence Al Gore, le très actif secrétaire d’Etat Lawrence Eagleburger et dix sénateurs influents dont George Mitchell et Robert Dole. Nous avons donné 48 coups de téléphone à des membres de la Maison-Blanche, 20 à des sénateurs et près de 100 à des journalistes, éditorialistes, présentateurs de journaux télévisés et autres personnages influents dans les médias.

Merlino : Quelle précision! Mais dans tout ce travail, de quoi êtes-vous le plus fier?

Harff : D’avoir réussi à mettre de notre côté l’opinion juive. La partie était très délicate et le dossier comportait un très grand danger de ce côté-là. Car le président Tudjman a été très imprudent dans son livre Déroute de la vérité historique. A lire ses écrits, on peut l’accuser d’antisémitisme. Du côté bosniaque, cela ne se présentait pas mieux car le président Izetbegovic avait, dans sa Déclaration islamique publiée en 1970, pris trop fortement position en faveur d’un Etat islamique et fondamentaliste. En outre, le passé de la Croatie et de la Bosnie avait été marqué par un antisémitisme réel et cruel. Plusieurs dizaines de milliers de juifs ont été supprimés dans les camps croates. Il y avait donc toutes les raisons pour que les intellectuels et les organisations juives soient hostiles aux Croates et aux Bosniaques. Notre challenge était de renverser cet état de choses. Et nous l’avons réussi d’une manière magistrale. Entre le 2 et le 5 août 1992, lorsque le New York Newsday a sorti l’affaire des camps. Nous avons alors saisi l’affaire au bond et immédiatement, nous avons circonvenu trois grandes organisations juives: la B’nai B’rith Anti-Defamation League, l’American Jewish Committee et l’American Jewish Congress. Nous leur avons suggéré de publier un encart dans le New York Times et d’organiser une manifestation de protestation devant les Nations unies. Cela a formidablement marché ; l’entrée en jeu des organisations juives au côté des Bosniaques fut un extraordinaire coup de poker. Aussitôt, nous avons pu, dans l’opinion publique, faire coïncider Serbes et nazis.
Le dossier était complexe, personne ne comprenait ce qui se passait en Yougoslavie, et pour être franc, je vous dirai que la grande majorité des Américains se demandaient dans quel pays d’Afrique se trouvait la Bosnie, mais d’un seul coup nous pouvions présenter une affaire simple, une histoire avec des bons et des méchants. Nous savions que l’affaire se jouerait là. Et nous avons gagné en visant la bonne cible, la cible juive.
Aussitôt, il y eut un très net changement de langage dans la presse avec l’emploi de termes à très forte valeur affective, tels que purification ethnique, camps de concentration, etc., le tout évoquant l’Allemagne nazie, les chambres à gaz et Auschwitz. La charge émotionnelle était si forte que plus personne ne pouvait aller contre sous peine d’être accusé de révisionnisme. Nous avons tapé en plein dans le mille.

Merlino : Peut-être. Mais entre le 2 et le 5 août 1992, vous n’aviez aucune preuve que ce que vous disiez était vrai. Vous ne disposiez que des articles de Newsday.
Harff : Notre travail n’est pas de vérifier l’information. Nous ne sommes pas équipés pour cela. Notre travail, je vous l’ai dit, est d’accélérer la circulation d’informations qui nous sont favorables, de viser des cibles judicieusement choisies. C’est ce que nous avons fait. Nous n’avons pas affirmé qu’il y avait des camps de la mort en Bosnie, nous avons fait savoir que Newsday l’affirmait.

Merlino : Mais c’est une énorme responsabilité. Vous rendez-vous compte de cette responsabilité?
Harff : Nous sommes des professionnels. Nous avions un travail à faire et nous l’avons fait. Nous ne sommes pas payés pour faire de la morale. Et quand bien même le débat serait placé sur ce terrain, nous aurions la conscience tranquille. Car si vous voulez prouver que les Serbes sont de pauvres victimes, allez-y, vous serez bien seul.»
Jacques Merlino
Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire
Horizons et Débats n° 9
10/03/2007
Extraits de : Alexander Dorin (Hrsg.), In unseren Himmeln kreuzt der fremde Gott. Verheimlichte Fakten der Kriege in Ex-Jugoslawien (Kroatien, Bosnien und Kosovo). Lörrach 1999. ISBN 3-9521797-0-1 (p. 66–69) (interview tirée de Jacques Merlino, Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire, Albin Michel, Paris, 1993 pp. 126–129)

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