lundi 4 juin 2012

Le massacre de Houla en Syrie, étape délibérée d’une stratégie assumée (1/4)

Le massacre commis à Houla, dans la nuit du vendredi 25 au samedi 26 mai, au cours de laquelle plus d'une centaine de civils, dont une cinquantaine d'enfants de moins de 10 ans et plus d'une trentaine de femmes, ont été froidement exécutés, a suscité partout dans le monde, sauf parmi les responsables russes qui en ont fait et en ont vu d'autres, un sentiment d'horreur.  
Dans l'attente des funérailles des victimes de Houla
Ce sentiment a été accentué par les déclarations de Jihad Maqdisi, porte-parole du ministère syrien des Affaires étrangères. Il a tenté, le 27 mai, de convaincre les journalistes syriens, ce qui n'est pas difficile, mais également les rares représentants des médias étrangers, ce qui l'est davantage, que l'armée syrienne ne pouvait porter la responsabilité de cette opération qui était contraire à ses principes et à ses modes d'action. Elle avait pour mission de protéger les citoyens et non de les agresser.
Il a finalement été porté à son comble par les propos tenus par Bachar Al Assad à Kofi Annan, désespérément accroché à son Plan comme à l'unique bouée de sauvetage disponible dans un océan démonté. Comme il le fait depuis le début du soulèvement populaire, le chef de l'Etat syrien a justifié un agissement aussi scandaleux en menaçant implicitement de le reproduire ailleurs, aussi longtemps qu'il croirait apercevoir dans son pays un seul de ces "terroristes" dont il dénonce la main derrière la contestation de sa légitimité depuis un an et trois mois.  
Kofi Annan reçu par Bachar Al Assad
Or cette affaire est claire. Comme il l'a fait à de multiples reprises depuis le soulèvement de Daraa, le 18 mars 2011, le régime syrien a délibérément laissé agir, sous la protection de ses forces dites de sécurité et d'unités d'une armée dévoyée, des tueurs arrivés sur les lieux pour assouvir une vengeance et leur haine confessionnelle, sans se douter, peut-être, qu'ils apportaient ainsi leur contribution à une stratégie assumée en haut lieu, déjà mise en oeuvre ailleurs, à Homs et à Tall Kalakh en particulier.
Avant de revenir sur cette stratégie, il convient de se pencher sur les lieux où s'est déroulée cette nouvelle tragédie, d'entendre le récit des faits par les proches de victimes et les témoins, de rappeler que cette affaire s'inscrit dans une longue série d'autres abominations commises par les militaires, moukhabarat et autres chabbihaà la solde du pouvoir, et de redire ce qu'on sait de la fabrication du terrorisme et de la manipulation des "terroristes" en Syrie. On comprendra alors comment ces éléments s'imbriquent et donnent une logique à ces meurtres insensés.

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1 / Visite des lieux
La région de Houla est une vaste étendue agricole fertile qui s’étend à l’ouest de l’Oronte en direction du mont Hélou. Elle est située à la limite des deux gouvernorats de Homs et Hama, et elle est composée de plusieurs bourgs, villages et hameaux, dont la population est homogène et partage les mêmes coutumes sociales, mais appartient à des communautés confessionnelles différentes.  
Taldou et la plaine de Houla
Le principal centre commercial de la région est Taldou, chef-lieu d’une commune du gouvernorat de Homs, à 25 km au sud-est. Le lac de Houla, au sud de Taldou, est une retenue d’eau naturelle dans laquelle s’accumulent les pluies d’hiver et dont les agriculteurs utilisent les réserves, durant l’été, pour irriguer leurs vergers et leurs champs. A 3 km au nord-ouest, Kafr Laha est la plus grande municipalité de la région. Comme Taldou, elle est traversée par la route qui relie Homs à Masyaf et qui conduit au-delà à Baniyas. Ces deux agglomérations sont entourées par Tall Dahab, au nord, Filleh et Tibeh al Gharbiyeh, à l’ouest, Qabou et Qanaqiyeh au sud-ouest, Chariqliyeh et Tlil au sud, Borj, Talaf, Samaallil, Akrad Sannineh, etc.
La région produit des olives, des céréales, des agrumes, du raisin, des grenades et du coton. On y pratique l’élevage des bovins et des ovins. Elle abrite aussi plusieurs poulaillers industriels et des ruchers. Dans le lac de Houla, des pisciculteurs élèvent des carpes. Elle constitue de ce fait une sorte de grenier, indispensable à l'approvisionnement du gouvernorat de Homs et des villages qui s’étendent entre cette ville et le mont Hélou. Faute de travail sur place, la main d’œuvre excédentaire a été contrainte de s'expatrier, notamment en Arabie saoudite. Les spécialités locales sont la fabrication de mobilier domestique et, de manière générale, tous les travaux de menuiserie.
Avec ses différents villages, Houla a été l’une des premières régions de Syrie à rejoindre la contestation. L’armée et les services de sécurité y ont rapidement pris position. Leurs interventions y ont été brutales. Elles ont été accompagnées de meurtres, d'assassinats collectifs et d'arrestations, comme le " Vendredi des Prisonniers de la Liberté" (15 juillet 2011), où plus de 30 personnes, hommes, femmes et enfants, ont été tuées et des dizaines d'autres blessées. Mais elles ne sont pas parvenues à infléchir la résolution de ses habitants. Ceux-ci ont poursuivi leurs manifestations jusqu’à ce que, du fait de la sauvagerie de la dernière répression et du grand nombre de ses victimes, Houla polarise soudain l’intérêt du monde entier.
2 / Déroulement des faits
Selon les témoignages recueilis auprès des habitants des lieux, vendredi 25 mai, placé sous le slogan "Damas, notre rendez-vous approche", Taldou et la région de Houla ont vu se dérouler une manifestation impressionnante. Un grand nombre d’habitants y ont participé, en dépit des barrières de sécurité et de la présence, désormais habituelle, d’armes lourdes et de blindés autour de l'agglomération. Peu de temps avant la dispersion des manifestants, entre 13h30 et 15h00, des obus ont commencé à s'abattre un peu partout, tandis que des coups de feu partaient des différents barrages blocant l'accès à la localité. Les soldats et les moukhabarat ont finalement occupé la ville dont les habitants ont été contraints à chercher refuge chez eux.  
Bombardement de Taldou
Tirs et bombardements se sont poursuivis avec intensité jusqu’au milieu de la nuit, soit durant près de 10 heures d’affilée. Les obus provenaient du village de Qabou, au sud-ouest, d'où des éléments des Forces Spéciales arrivés en grand nombre ont fait mouvement vers le bourg. Ils affirmaient avoir été "appelés à l’aide par des citoyens pour lutter contre des incendies". Ils se comportaient avec brutalité. Ils cherchaient visiblement à terroriser les habitants. Ils ont pris le contrôle des places et des rues sans rencontrer de résistance. Ils ont bouclé les accès et dressé partout de nouvelles barricades.
D'autres obus provenaient d’une colline qui surplombe au nord-ouest le village de Qarmas, une bourgade dont les habitants sont inféodés au régime, et du village de Filleh, situé immédiatement à l’ouest du lac de Houla. Taldou a aussi été touchée par des missiles tirés, les uns depuis l’Ecole de Guerre de Homs, comme l’ont attesté des habitants de la région d’Al Wa’ar où se trouve cette école, les autres du village de Khirbat al Souda, à l’ouest de cette même ville.
Pendant ce temps, des avions survolaient le village en franchissant le mur du son. Leurs explosions se mêlaient au vacarme des chars T72 et des Shilka (des blindés russes équipés de canons anti-aériens) qui tiraient sans discontinuer. Les francs-tireurs positionnés à l’intérieur de l’agglomération ouvraient le feu sur tout ce qui bougeait.  
Un Shilka de l'armée syrienne
Peu de temps avant la nuit, plusieurs pickups de couleur blanche sont entrés à Taldou. Ils transportaient des hommes en armes. Ils venaient des villages de Qabou, au sud, de Filleh, d’Al Charqiyeh et de Masiaf al Boustan à l’ouest, et de Cheniyyeh. Certains de ces hommes étaient vêtus de treillis semblables à ceux de l’armée. D’autres portaient des costumes noirs. Ils ont aussitôt envahi les maisons. Ils ont tué des familles entières, tirant sur les uns à bout portant, égorgeant les autres, utilisant leurs baïonnettes... Maintenus chez eux et terrorisés par les bombardements, les habitants du village étaient dans l'ignorance de ce qui se passait à l’extérieur.
Les chabbiha ont attaqué en priorité les maisons situées en périphérie du village, en particulier dans le quartier qui fait face à l’Hôpital national, et dans le quartier Nasiriyeh. Ils ont mis le feu aux terrains agricoles, aux champs d’oliviers entourant les maisons de leurs victimes et à quelques habitations. Ils ont aussi tué un grand nombre de têtes de bétail, vaches et moutons.
Lorsque le bombardement a cessé, à l’approche de l’aube, les gens ont commencé à sortir de chez eux. Ils ont découvert ce qui s’était passé et l'ampleur de la tuerie. Ils ont trouvé des dizaines d’enfants et de femmes assassinés à l’intérieur de leurs maisons, sans compter les victimes directes des bombardements aveugles. Il était impossible de procéder au sauvetage des blessés, puisque l’armée et la sécurité contrôlaient l’hôpital public, que les chabbiha ont d’ailleurs finalement incendié. 
Durant le bombardement et après la découverte du massacre, un certain nombre de familles ont tenté de fuir en direction des terres agricoles situées à l’est. Mais elles ont été poursuivies et liquidées par des chabbiha. Les gens sont encore occupés, à l’heure actuelle, à ratisser les champs. Ils y découvrent de nouveaux cadavres d’enfants, de femmes et de personnes âgées.
Le premier décompte a permis de dénombrer 92 martyrs, dont 32 enfants de moins de 10 ans. Certaines familles ont été totalement éradiquées.  
Funérailles des victimes de Houla
3 / Imputation du massacre
Selon des témoins, les meurtriers sont des chabbiha originaires des villages voisins. Ils ont agi par haine confessionnelle et par désir de vengeance. Des habitants du village de Qabou avaient en effet promis de venger ce qu'ils considéraient comme le meurtre de l'un des leurs, un chauffeur de taxi résidant à Karm al Zitoun, à Homs, retrouvé mort, le 22 mai, dans la campagne. Des gens de Taldou, qui l'avaient découvert sans savoir qui il était, avaient rapporté sa dépouille, l'avait déposée dans une mosquée puis l'avait enterrée conformément aux coutumes musulmanes. Des proches du défunt étaient arrivés quelque temps plus tard, accompagnés dechabbiha. Ils avaient profané le cimetière et récupéré le corps. Ils avaient accusé les habitants de la ville de l’avoir assassiné et promis de venger sa mort. Ils avaient profité de la présence de l’armée et de l’opération militaire pour mettre leur menace à exécution : ils étaient entrés dans le village et avaient commis ce massacre.  
Des chabbiha en représentation devant la Bibliothèque Al Assad à Damas
Les habitants de Taldou savent que les criminels venaient les uns du village de Qabou, les autres de Qanaqiyeh, entre Qabou et Al Charqiyeh. L’armée n’avait rien fait pour les arrêter. Les mêmes individus avaient déjà perpétré un massacre dans le village, cette fois-là avec des chabbiha de la région de Wadi al Dahab et d’Al Nuzha, près de Homs. Protégés par des militaires et des moukhabarat, ils avaient tué et égorgé 11 employés d’une usine de Houla. Les survivants avaient reconnus quelques uns d’entre eux parmi les voyous qui épaulaient cette fois-ci les chabbihade Qabou.
Ce récit est corroboré par le témoignage d'habitants de Mariamin, qui ont raconté que les femmes et les vieillards de ce village avaient tout fait pour dissuader deschabbiha connus comme tels de participer à l’attaque de Taldou. Mais, alors qu’ils étaient parvenus à les convaincre, des agents des services de sécurité étaient venus les chercher chez eux. Les habitants de Mariamin connaissent l'identité des individus en question, qui n'en sont pas non plus à leur coup d’essai. Ils avaient naguère édifié une barricade au centre de leur village et participé à des dégradations, des vols et des pillages dans le village voisin de Tibeh. Pour prévenir une détérioration de la situation, les notables de Mariamin avaient été obligés de prendre contact avec ceux de Tibeh, de présenter des excuses et de dédommager les victimes.
Les habitants de Mariamin entretiennent de bonnes relations avec ceux de Houla. Deux jours avant le massacre, un jeune homme de ce village avait été arrêté alors qu’il tentait d’apporter du levain pour permettre à l'une des boulangeries de Taldou de fonctionner. Le jour même du massacre, un autre avait été attrapé par lesmoukhabarat alors qu’il acheminait des produits médicaux et des secours à l'intention de certains habitants du village.   
Des observateurs de l'ONU dans une rue de Taldou
Durant la tuerie, des activistes avaient pris contact avec les observateurs internationaux. Ils les avaient pressés de se rendre à Houla sur le champ pour y constater les crimes et les destructions qui s’y perpétraient. Mais ils ne sont arrivés que le lendemain. Selon des activistes de Homs, les observateurs avaient déclaré qu’ils n’étaient pas en mesure de parvenir immédiatement sur les lieux. Ils devaient auparavant s'entretenir avec le gouverneur de Homs et lui demander de faire cesser le bombardement. Quand ils sont arrivés, le jour suivant, ils ont assisté à l’enterrement des victimes dans une fosse commune.
Les gens évoquent aujourd’hui 116 martyrs. Un certain nombre de corps ont en effet été découverts dans les champs et les vergers. Mais leur nombre est appelé à s’élever encore. Des rescapés de Taldou sont partis se réfugier dans les villages environnants, plus à l’est. Des blessés ont été évacués vers des zones éloignées. Pour la plupart atteints de blessures graves, ils ont besoin d’opérations chirurgicales. Certains ont dû être amputés.
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Dernier "détail" : alors que le porte-parole du ministère syrien des Affaires etrangèes a versé des larmes de crocodiles, dans sa conférence de presse du 27 mai, sur les civils assassinés... et sur les militaires qui avaient selon lui perdu la vie dans l'agression menée contre Taldou par les "terroristes", le gouvernement syrien n'a pas pris la peine d'envoyer le moindre représentant aux funérailles des victimes de ce crime abominable.
Faute de pouvoir lui poser directement la question, a-t-on le droit de se demander pourquoi ?
 (A suivre)

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