mardi 16 octobre 2012

Une force multinationale en Syrie ? Ou la proposition iranienne mortelle ?

Le point de vue de Stefano B.C. (Rome)

Attention au piège tendu par les Perses, inventeurs du jeu d’échecs

L’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie, Lakhdar Brahimi, poursuit sa tournée régionale. Arrivé en Iran dimanche, avant de passer par l’Irak ce lundi, Brahimi s’est vu proposer un plan de sortie de crise formulée par Téhéran, mais déjà rejetée par l’opposition syrienne. Et pour cause, il s’agissait d’un plan destiné à maintenir Assad au pouvoir, et, plus grave encore, à tendre un piège implacable à l’Occident.

Après avoir reçu l’émissaire onusien et arabe, l’ancien ministre algérien Lakhdar Brahimi à Téhéran, l’Iran affirme avoir proposé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Ali Akbar Salehi, un plan de sortie de crise pour la Syrie. Selon plusieurs sources, ce plan porte sur le déploiement d’une force multinationale d’interposition en Syrie. Selon la télévision « Al Arabiya », cette force pourrait comprendre des unités européennes, et ressemblerait à la FINUL déployée au Sud-Liban. Pourtant, une proposition similaire, récemment formulée par les pays arabes, avait été rejetée avec force par le régime de Bachar Al-Assad. Si l’Iran récidive aujourd’hui, c’est que son régime est conscient que la chute d’Assad est irréversible. Il cherche, coûte que coûte, à le sauver.
Connus pour avoir inventé le jeu d’échecs, les Perses s’estiment forts en stratégie et préparent un piège implacable à la communauté internationale. En attirant des forces d’interposition sur le terrain syrien, Téhéran pense pouvoir maintenir Assad au pouvoir, d’une part, et prendre en otage cette force multinationale, à l’instar de la FINUL, d’autre part. D’autant plus que la République islamique n’a plus d’emprise sur les Occidentaux depuis leur retrait d’Irak. Leur départ annoncé d’Afghanistan prive également Téhéran de la capacité à les harceler par les groupes terroristes interposés (les Américains ont reconnu avoir saisi plusieurs cargaisons d’armes iraniennes fournies aux Taliban). En les invitant en Syrie, l’Iran compte y reproduire la même stratégie jadis utilisée au Liban, en Irak et en Afghanistan.
En effet, si le régime syrien accepte aujourd’hui un tel déploiement, ses services de renseignement ne tarderont pas à exploiter les groupes terroristes qu’ils ont mis en places et manipulés, pour décréter les forces étrangères comme des forces d’occupation, légitimant ainsi tous types d’opération contre elles. En 1983, à travers une kyrielle d’organisations terroristes palestiniennes et libanaises, aux ordres de Damas, la Syrie avait vaincu la force multinationale et provoqué la fuite des Américains, des Français et des Italiens au prix de centaines de morts. Pourtant, à l’époque, le Hezbollah n’était qu’embryonnaire. Doté aujourd’hui d’au moins 50.000 missiles, de drones et de sous-marins miniaturisés, et engagé dans le combat auprès de Bachar Al-Assad, le Hezbollah se réjouit déjà de voir les armées occidentales et arabes se déployer en Syrie pour en découdre avec elles. Assad redeviendra alors l’arbitre.
La proposition iranienne n’est de ce fait qu’un piège tendu aux Occidentaux et aux Arabes. L’opposant syrien Ammar Al-Korabi a affirmé, dimanche soir à la télévision « Al Arabiya », que « la proposition iranienne est rejetée, car elle ne vise pas à trouver une solution convenable pour le peuple syrien, mais il s’agit d’une solution favorable à l’axe irano-syrien, dans la mesure où cette solution maintiendra le boucher Assad au pouvoir et prolongera les souffrances de la population ». Al-Korabi a accusé « l’Occident de complicité avec Assad, ce qui explique l’inaction de la communauté internationale face au génocide en cours ».
De fait, l’Occident refuse d’intervenir en Syrie et de mettre un terme au bain de sang, qui a déjà fait plus de 35.000 morts. Officiellement, l’Occident est épuisé par la guerre en Irak et en Afghanistan - où, faut-il le rappeler, leur échec est en grande partie dû aux ingérences iraniennes et syriennes à travers Al-Qaïda - et par la crise économique. Mais les opposants syriens s’interrogent : « comment la communauté internationale estime ne pas avoir les moyens d’intervenir et d’imposer une solution par la force, et au même moment, elle a les moyens d’envoyer des forces d’interposition ? Les stratèges occidentaux sont-ils si aveugles pour tomber dans le piège qui leur est tendu ? »
Si les Occidentaux et les Arabes, invités par Téhéran dans le piège syrien, n’ont pas encore démenti leur disponibilité à contribuer à la force multinationale, les opposants syriens semblent plus intelligents et plus clairvoyants et refusent d’ores et déjà la proposition iranienne. Prudent, Lakhdar Brahimi a démenti depuis Bagdad que la solution iranienne ait été définitivement arrêtée, appelant à une simple trêve à l’occasion de la fête musulmane de Aïd El-Adha.
Pour l’opposition syrienne, il est désolant de constater que « la communauté internationale continue à se laisser berner par les régimes bandits de Téhéran et de Damas ». Elle rappelle sans complaisance : « après 48 ans de régime dictatorial, les Syriens ne font plus la différence entre la vie et la mort. Aujourd’hui, leur décision d’en finir avec Assad est irrévocable, et leur détermination est inébranlable, quel qu’en soit le prix. Les rebelles ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. L’Iran peut aller jouer ailleurs aux échecs ou aux dames, mais pas à Damas. Si les Occidentaux ont envie de perdre, qu’ils le fassent sans les pions syriens ».
Stefano B.C.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire