vendredi 25 octobre 2013

Tunisie : les limites de l’islam politique

Nicolas
Gauthier
Journaliste, écrivain.
Nicolas Gauthier est auteur avec Philippe Randa des Acteurs de la comédie politique. 29 € À commander en ligne sur francephi.com.

Vu de nos médias, qu’il était beau ce premier printemps arabe. Le réveil de la démocratie, nous assurait-on. Mais pour s’endormir démocrate, au moins faut-il l’avoir été avant de faire la sieste… La Tunisie n’est donc pas un pays d’Europe de l’Est, et il ne suffit pas d’y renverser un autocrate pour que, soudainement, naisse une démocratie à l’occidentale, concept pour lui inconnu en raison d’une longue histoire durant laquelle la Tunisie ne connut l’indépendance qu’en 1957, avec à la clef le régime autocratique d’Habib Bourguiba.
Aujourd’hui ? Depuis la destitution de Zine el-Abidine Ben Ali, en 2011, toujours pas de Constitution, gouvernement réduit à l’impuissance et économie en pleine déroute. Afin de débloquer la situation, le Premier ministre Ali Larayedh (Ennahda, filiale tunisienne des Frères musulmans) propose sa démission. Et même ça, ce n’est pas gagné… En effet, tel que le note très justement Le Monde du 24 octobre : « Chaque tentative de parvenir à un terrain d’entente entre le gouvernement dominé par le parti islamiste et l’opposition, chaque date symbolique est désormais précédée d’un attentat ou d’affrontements meurtriers. »
Le 23 du même mois, c’est la mort de six agents de la garde nationale. Ce qui s’ajoute à l’assassinat, le 6 février dernier, de Chokri Belaïd, l’un des chefs de l’opposition de gauche laïque, meurtre revendiqué par les salafistes ; soit les meilleurs ennemis, ou les faux amis, d’Ennahda. Du coup, la nouvelle tentative de concertation nationale proposée par Ali Larayedh et le Président Moncef Marzouki est en train d’avorter : le gouvernement exigeant que les négociations commencent avant la démission, alors que l’opposition réclame le contraire.
Bien sûr, certains diront que « ça marchait mieux avant ». Pas faux, dans un État policier, ça marche toujours mieux et quand l’opposition est systématiquement encabanée, qu’on dénombre deux flics pour un citoyen, le débat démocratique n’a que peu de chance de faire la une des gazettes. À ce compte, pourquoi ne pas regretter l’URSS ?
Qu’en conclure ? Première question : à quoi jouent les salafistes ? Que les Frères musulmans et leur opposition laïque puissent vouloir le bonheur de la Tunisie tout en s’affrontant sur la manière de la sortir de l’ornière, on peut leur faire ce crédit. Mais la mouvance salafiste ne fonctionne pas sur le même logiciel : peu leur importe la patrie, tant que leur cause islamique mondialisée progresse. Et dans cette oumma fantasmée, les « Frères » demeurent finalement leurs pires adversaires, puisque musulmans trop « tièdes » à leurs yeux. De fait, qui a intérêt à déstabiliser la jeune « démocratie »” tunisienne ? Il est sûrement trop tôt pour répondre à la question. Seulement sait-on que l’Arabie saoudite finance les salafistes et que le Qatar est désormais le principal bailleur de fonds des Frères musulmans ? C’est-à-dire que le destin des uns et des autres est devenu enjeu dépassant de loin les frontière de l’antique Carthage.
À plus long terme se pose cette question : l’islam politique a-t-il encore un avenir ? Et comment faire cohabiter diverses factions d’un même peuple dans un territoire commun ? Ceux qui veulent plus d’islam et ceux qui en veulent moins… Tunisiens des villes et Tunisiens des champs… Tunisiens occidentalisés et Tunisiens tentant de se réarabiser. La Turquie de Recep Erdoğan – Premier ministre qui, même proche des confréries soufies, n’en est pas pour autant épigone des Frères musulmans – paraît avoir en partie résolu l’équation en maintenant l’essentiel des acquis laïcs du kémalisme tout en passant d’un laïcisme de combat à une laïcité plus souple. Avec parfois des heurts, mais sans guerre civile larvée.
Résumons. Si, pour les musulmans, l’islam peut être la solution idoine pour que leurs âmes aillent au paradis, il ne leur dit pas grand-chose sur la mondialisation, les nouvelles technologies, les grands rééquilibrages géostratégiques ; et manifestement guère plus sur la politique.
Un ami, député algérien, élu sur une liste de la confrérie, me confiait, dès 2011 : « On m’a proposé un poste de ministre. Je l’ai refusé afin de ne pas ridiculiser mes « Frères ». Près d’un siècle de persécutions et de clandestinité, ça peut former l’âme d’un homme, mais pas forger le cerveau d’un dirigeant. » On a déjà entendu plus nigaud…

 

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