mercredi 13 février 2013

Jihad et Razzias, les deux mamelles de l’agression turque en Syrie

Le 7 janvier 2013, la chaine libanaise al-Mayadine a reçu, comme invité de l’émission «Dialogue du moment», le président de la Fédération des Chambres de l’Industrie de Syrie, Farés al-Shahâbi, qui est aussi le président de la Chambre de l’Industrie d’Alep, la capitale économique du pays. Il est bien placé pour décrire dans quel état de ruine se trouve aujourd’hui l’industrie de sa ville, il y a peu, très florissante.

Cet article n’est pas une traduction mais, à partir de l’arabe, la transcription la plus fidèle possible, d’une interview d’une heure trente.

D’emblée, la journaliste Alisar Karam a posé la question suivante à son invité : « Y a-t-il un complot pour détruire l’économie syrienne par la voie de la destruction du tissu industriel, l’exode des ouvriers, l’incendie des usines ou leur fermeture ? »

Farés al-Shahâbi a d’abord dressé un tableau de l’importance de l’industrie en Syrie. Le pays comporte 4 régions qui comptent 116.000 industries, moyennes et petites. Alep était considérée, avant la guerre, avec ses 35.000 entreprises, comme la plus grande ville industrielle du monde arabe. En janvier 2013, 70% de ce potentiel industriel est presque à l’arrêt, dont la moitié en arrêt définitif de production.

Ont été pillées puis brulées 1.500 usines. C’est en présence d’experts turcs, qui ont fait leur choix, que les machines ont été méthodiquement démontées puis expédiées en contrebande et vendues en Turquie. Il ne reste plus à Alep d’usines qui tournent à 100% et on n’en compte que 25% qui tournent au ralenti, à moitié de leur production. Certaines réussissent à fonctionner à nouveau après avoir été rançonnées par des bandes armées.

M. al-Shahâbi accuse l’État d’avoir négligé 4 villes industrielles du pays. A Alep, 44 zones industrielles sont hors du contrôle du gouvernement qui ne les a pas protégées. Négligence ou manque de forces armées suffisantes ?

Il poursuit son argumentation : Nous avons été la cible de grandes attaques de personnes venant de plusieurs pays aidées par des services de renseignements d’États étrangers qui œuvrent sur place.

Nous procédons actuellement, avec l’aide des chambres de l’industrie, à l’évaluation des dommages subis. Nous réunissons photos et témoignages afin d’exiger de l’État syrien qu’il poursuive devant la juridiction internationale tous les pays qui ont envoyé des armes et soutenu les bandes armées étrangères qui se sont livrées au pillage, car ce ne sont pas les rebelles syriens qui ont pris pour cibles les usines, les centrales électriques, les conduits de gaz ou les canalisations d’eau. Nous voulons en obtenir des dédommagements.


Lors du passage des observateurs arabes il y a 6 mois, on a compté 500 usines pillées. Nous sommes actuellement à 12.000 entreprises touchées à 95% (machines, murs, véhicules etc. …)

Alep, la plus grande ville industrielle, est la cible d’un plan préétabli. On veut punir la population d’Alep parce qu’elle n’est pas sortie dans les manifestations ni n’a brulé d’édifices, même si elle a montré une certaine compréhension à l’égard du mouvement sunnite.

Poussés par l’insécurité, les industriels ont quitté momentanément la région : 100 sont au Liban, 200 en Turquie. Ils souhaitent revenir à Alep.

En raison de l’insécurité sur les routes, nous ne pouvons exporter que 25% de nos exportations antérieures. Les matières premières nous parviennent avec difficulté, certaines sont détournées et volées. En temps de guerre, l’État devrait avoir plus de souplesse ou même céder certains secteurs monopolisés de l’économie à des entrepreneurs privés. Mazout, électricité, gaz, pain manquent.

Sur une commande de 50.000 sacs de pain commandés au Liban et acheminés par la route, 25.000 ont été volés par l’ASL ou par des voleurs, sous prétexte que « la population d’Alep ne mérite pas de pain ».

Il y eut un accord syro-turc il y a plusieurs années. Son application s’est faite au détriment de la Syrie. Pendant que la Syrie ouvrait ses portes aux produits turcs sans contrôle, la Turquie n’a pas agi de même. L’État syrien n’a pas su protéger son industrie. Les importations de Chine aussi ont affaibli l’industrie d’Alep. Annuellement 300.000 jeunes entrent sur le marché du travail mais l’industrie n’est plus en mesure de résorber ce flot.

Pour plaire à Erdogan, la Syrie l’a reçu à Alep. Il s’est promené à Alep, territoire considéré par les Turcs ottomans comme la 2e wilayat après Istanbul. Erdogan rêve toujours de cette gloire passée. C’est cela le pari d’Erdogan. Mais cela n’arrivera pas.

Les souks d’Alep (classés au patrimoine mondial par l’Unesco), bien connus mondialement, ont été entièrement pillés, le butin de la razzia transféré puis vendu en Turquie. Interrogez les commerçants …

J’accuse directement Erdogan et le gouvernement turc, gouvernement qui agit en Syrie dans une terreur planifiée et organisée, gouvernement terroriste.

Même l’armée israélienne, quand elle a occupé le Liban, n’a pas approché les maisons et les usines. La Turquie, elle, envoie ses spécialistes pour démonter les machines, dérober les produits, voler les voitures. Ces faits se déroulent quotidiennement. La Turquie transporte par avion des jihadistes venant du Yémen et d’ailleurs. Ils atterrissent à Istanbul. Des témoins oculaires racontent : ils empruntent des bus avec d’autres membres d’al-Qaeda, bus mis à leur disposition par le gouvernement turc. Ils passent en Syrie par la ville d’Azaz. Ils sont réceptionnés par un contrebandier de cigarettes notoire, Abou Ibrahim, promu en héros et qui touche des royalties sous protection des Turcs.

La Turquie détruit la Syrie d’une façon odieuse. Erdogan est criminel au regard du peuple syrien. L’opposition syrienne elle-même tient un discours identique à son égard.

M. al-Shahâbi ajoute : Il y a deux ans, c’était la lune de miel entre la Turquie et la Syrie. Je recevais toutes les semaines 40 à 50 hommes d’affaires de différentes régions de Turquie. J’ai reçu aussi les ministres turcs du Commerce et des Transports. Je pensais qu’ils voulaient investir en Syrie. Pendant 6 mois, j’ai reçu des délégations. Finalement, ces 500 à 600 hommes d’affaires étaient venus en réalité vendre leurs produits. Mais leurs visites avaient un autre but : localiser les usines dont la production leur fait concurrence en raison d’une meilleure qualité. Ce sont ces mêmes usines qui ont été démantelées.

Afin de réaliser son plan, la Turquie comptait sur des bandits, des terroristes qui exécutent des agendas extérieurs. Ce n’est pas le travail des fils du pays. Des bandes de jihadistes installent des cheikhs dans des mosquées afin que leurs fatwas justifient leurs actions. Une vidéo circule sur Youtube montrant trois terroristes avec mitrailleuses Douchka, braquant, au-dessus de l’aéroport d’Alep, un avion civil Alep-Le Caire dont la moitié des passagers était des femmes et des enfants. L’un des terroristes met en garde son collègue en lui disant qu’il s’agit d’un avion civil et non militaire. Le troisième se réfère par téléphone au cheikh puis dit au tireur « Tu peux le descendre, il t’a émis une fatwa ». … Combien de fatwas ont été émises par ces « tribunaux » de la charia : faire chuter un avion civil, restituer un bien volé contre un paiement d’un million de livres etc. …

La Syrie est un échiquier, un enjeu géopolitique. Le monde est bipolaire. Les États ont des intérêts et nous les subissons malheureusement pour plusieurs raisons. Le Qatar entraîne derrière lui d’autres pays qui sont intéressés par les gazoducs, leurs lieux de passage, la recherche pétrolière et gazière. Cela est valable pour les pays occidentaux.

La Russie et la Chine ont des craintes : celle d’une réapparition de l’Empire Ottoman et de son expansion. La chute de la Syrie, entre les mains d’un gouvernement islamisé extrémiste, transforme Erdogan en nouveau sultan aux portes de Moscou et de Pékin. Ces deux pays ont des minorités musulmanes qui se comptent par millions. Nous ne voulons pas chez nous d’un islam qui utilise la religion comme slogan, fait pousser les barbes et dont le contenu des actions conduit à la formation d’une dictature, d’une autre tyrannie affublées d’autres noms. La Russie est contre cela.

La Russie n’a pas d’intérêts économiques en Syrie. Les échanges avec la Russie ne dépassent pas un milliard de dollars alors que les échanges Russie-Qatar sont de trente milliards de dollars. Le marché syrien n’est que de 23 millions d’habitants qui ne sont pas riches. La Russie est plus riche que tous les pays occidentaux.

M. al-Shahâbi poursuit : J’estime qu’après un calme relatif, les industriels reviendront chez eux dans les cinq ans. Il nous faut recommencer la construction, retrouver notre rôle industriel. Parmi les priorités : les secours humanitaires, la remise en ordre des liens entre les fils d’un même pays. Nous n’avons pas besoin de plus de mosquées, de plus de cheikhs qui attisent la discorde et sèment l’ignorance. Nous avons besoin de reconstruire les infrastructures, de réparer les âmes meurtries, de reconstituer la trame nécessaire aux fils d’un même peuple. ».

Source : Riposte Laïque, Bernard Dick, 4 février 2013

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