mardi 8 mai 2012

Occident/Islamisme : Les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis (L’Amérique et les moudjahidines afghans)

Quid du fameux proverbe affirmant « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». C’est souvent le cas, mais ce n’est malheureusement pas une science exacte. L’Amérique en a fait plusieurs fois l’amère expérience, les conséquences furent malheureusement désastreuses.
Prenons un exemple qui nous parait en mesure d’étayer notre propos. La première guerre d’Afghanistan, qui dura 10 ans de 1979 à 1989. Cette guerre terrible précipitera en partie on le sait la chute de l’empire Soviétique.
Mais avant de commencer, précisons tout de suite que si certains auteurs se sont fourvoyés en exposant leurs thèses conspirationnistes aux relents nauséabonds, celles-ci suintaient tellement l’anti-américanisme primaire qu’il nous parait inutile d’en faire la promotion en les citant.
Des erreurs d’ordre stratégique ont eu lieu, on peut en prendre acte, et s’en inspirer pour ne plus les réitérer à l’avenir.
Tous les états et tous les peuples du monde ont à un moment ou à un autre commis ce type d’erreurs, avec des conséquences plus ou moins importantes, suivant qu’ils furent à l’échelle globale, des « géants », ou bien des acteurs mineurs de la scène politique internationale.
L’Amérique n’est bien entendu pas la seule dans ce cas. Elle est seulement emblématique parce qu’elle est (devenue) l’unique superpuissance.
Ce n’est pas l’Amérique qui a « fait » Ben Laden, sous prétexte qu’elle a aidé les Afghans contre les Russes à une époque. L’Amérique n’a pas créé ce docteur Frankenstein qu’est le fondamentalisme islamiste, il était déjà là, et haïssait déjà les USA d’une haine inexpugnable.
L’Amérique a utilisé ces combattants qui avaient besoin d’elle pour mener à bien leur croisade djihadiste.
Ces gens se sont servis des USA qui leur proposaient une aide logistique et militaire qui leur faisait cruellement défaut.
Echange de bons procédés, en somme.
Les Américains n’ont pas plus d’amitié pour l’islamisme, que Churchill (farouchement anti-communiste) n’en avait pour le communisme, et c’est peu dire.
Winston Churchill a justifié l’aide en équipement à Staline, en déclarant « Si Hitler voulait envahir l’enfer, je m’allierais au diable lui-même ».
Les  USA (ainsi que les Saoudiens, à travers les réseaux Pakistanais) ont armé et financé  les moudjahidines afghans contre les Soviétiques.
Ce sont ces mêmes  « Afghans » qui plus tard, combattront en tant qu’ « anciens d’Afghanistan » dans les conflits ethniques qui laisseront des traces indélébiles dans le conflit des Balkans durant toute la sanglante décennie des années 90.
Chacun comprendra l’analogie.
A cette époque où la guerre froide sévissait à l’échelle mondiale, chaque pays devait se positionner par rapport à un camp où à l’autre.
Le monde était bipolaire. L’équation était binaire.
La menace suprême et planétaire venait bien entendu de derrière le « rideau de fer ».
Sans doute les Américains ont-ils un peu trop lâché du leste à ces montagnards islamistes un peu rustres qui se cachaient dans des grottes aux confins du monde, pour mieux se concentrer contre les membres du pacte de Varsovie, et leurs alliés « tiers-mondistes ». Ils ont ainsi ignoré la menace de ces gens qu’ils comprenaient si mal, en les armant jusqu’aux dents.
Les missiles air-sol stinger portables fournis aux insurgés ont retourné la situation à leur profit. Ils ont permis de changer la donne, et de retourner à leur avantage une guerre qui, sur le papier, était jouée d’avance.
Ce que souhaitait bien entendu la CIA, c’est que se résorbe l’influence soviétique en Asie centrale. Ces « fous d’Allah » allaient peut-être un jour maudit se retourner contre eux, mais à l’époque, que représentaient ces quelques milliers de combattants hirsutes issus de tribus d’une lointaine contrée perdue, face à « l’ogre soviétique » ?
On portait des œillères.
Il arrive parfois, lorsqu’on se montre inattentif et imprudent en donnant à manger à un crocodile, que celui-ci vous arrache le bras au passage.
Lorsque l’URSS est rentrée en guerre à la fin de 1979 contre l’Afghanistan afin d’y placer un régime procommuniste aux ordres de Brejnev, les Soviets étaient déjà pratiquement à bout de souffle. Le pouvoir au Kremlin n’était déjà plus que l’ombre de lui-même.
Le président Reagan portera à son paroxysme, au milieu des années 80,  le programme de « guerre des étoiles » dans le but ouvertement avoué de voir s’effondrer « l’empire du mal ». Celui-ci, pensait-il, ne résisterait jamais financièrement à cette folle course à l’armement, et le « colosse aux pieds d’argile » se ruinerait car il ne tiendrait jamais la distance.
Cette analyse se révéla prophétique. (Cela étant dit, le programme IDS, initiative défense stratégique, est aussi et surtout à la base un bouclier spatial antimissile censé détecter, puis anéantir, les missiles balistiques).
Le terrorisme islamiste est aujourd’hui considéré comme le principal danger à l’échelle planétaire, mais ce ne n’était pas le cas à l’époque.
Les Américains n’ont pas fait d’erreur tactique en jouant la carte des moudjahidines insurgés contre les soviétiques.
Ils ont en revanche fait une erreur stratégique majeure en ne voyant pas la menace implicite, plus diffuse et plus lointaine à cette l’époque, qu’aurait pu représenter ces combattants aux traditions belliqueuses ancestrales. Les clivages ethniques et tribaux inhérents au pays y étaient pour beaucoup.
Les Arabes combattant à leurs côté, en revanche, savaient déjà pertinemment contre qui ils se retourneraient, après avoir chassé les « communistes impies » de leurs terres. Ceux-ci étaient de plus mal vus de par leur culture chrétienne Orthodoxe.
Les Afghans étaient en effet endoctrinés par les Arabes, principalement venus d’Arabie Saoudite avec leur vision wahhabite de l’Islam, jusqu’alors assez méconnue en Afghanistan.
Une invasion en somme simultanément perçue comme communiste, comme chrétienne, et comme athée.
Du point de vue Soviétique, c’est une autre histoire.
D’un côté les Soviétiques envahirent l’Afghanistan avec en tête le fait que leur grand rival Américain venait d’être « chassé d’Iran » par la révolution Khomeyniste de 1979.
D’un autre côté, ils l’envahirent en présumant qu’ils seraient mieux à même d’empêcher une victoire islamiste en Afghanistan. Les Russes redoutant évidement par dessus tout de voir l’islamisme se propager à son tour dans les petites républiques musulmanes d’URSS.
Bien longtemps après la débandade russe, ce sera au tour des Américains d’être confrontés à leur tour en Afghanistan à ces mêmes moudjahidines qu’ils avaient armés dans la guerre qui les opposaient aux Russes.
L’Amérique du général David Pétrus, embourbée à son tour dans ce « Viêtnam moderne » qu’est la seconde guerre d’Afghanistan, se servira alors de l’ouvrage de David Galula sur les concepts de guerre asymétrique.
Cet ouvrage les guidera sur la manière de gérer  les rapports de force entre une armée ultramoderne et surpuissante comme celle des Etats-Unis d’Amérique se retrouvant engluée face à une guérilla armée.
Galula, encore trop méconnu et étudié en France, est devenu célèbre outre-Atlantique avec ses préceptes sur la gestion militaire des contre-insurrections par les « forces loyalistes ».
Nous sommes déjà très loin des percepts clausewitziens concernant les guerres conventionnelles d’état à état.
Ben Laden prendra prétexte du fait que pendant  l’opération « tempête du désert », lancée en 1991, les Américains (et la coalition internationale), fouleront le « sol sacré » d’Arabie Saoudite,  pour défendre le Koweït attaqué par Saddam Hussein.
Or c’est là-bas que se situent la Mecque et Médine, ces lieux saints qui sont « officiellement » interdits aux infidèles. Sacrilège.
Ce dernier lancera, et financera, ce qui est devenu le plus grand mouvement terroriste jamais connu dans le monde.
Sa croisade d’un autre âge fera des émules un peu partout sur la surface du globe.
Les « recruteurs » de candidats au martyr semblent bénéficier d’un réservoir inépuisable de « chair à canon », prêts à commettre des attentats suicides au nom d’Allah.
C’est donc à partir des montagnes d’Afghanistan, des années plus tard, qu’Oussama Ben Laden et ses sbires, « hébergés » par les talibans, préparera les attentats du 11 septembre à New York, prélude à une fatidique intervention américaine.
Cet extraordinaire retour de bâton n’a semble t-il pas fini de hanter l’imaginaire collectif du monde, et des USA en particulier.
Comme le dit le proverbe africain : « Quand le lion montre les dents… ne croit pas qu’il sourit ».

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