mercredi 21 août 2013

Entre relocalisation et délocalisation en Afrique, l'âge d'or de l'Asie est-il terminé ?

Jean-Raphaël Chaponnière Jean-Raphaël Chaponnière est chercheur invité à l’Asia Centre et à Asie21 (Futuribles), il a été économiste à  l’Agence française de développement, conseiller économique en Corée du Sud et en Turquie, chercheur invité à Singapour, en Thaïlande et à l’Euro Asia Center de l’Insead. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’Asie et les relations Chine-Afrique, dont récemment Le temps de la Chine en Afrique (co-écrit avec Jean-Jacques Gabas, aux éditions Khartala, 2012).


Le troisième renouvellement de l’accord AGOA – African Growty and Opportunity Act – entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne, qui autorise l’entrée hors taxe d’exportations africaines sous certaines conditions, suscitera de nouvelles délocalisations vers l’Afrique, et en particulier l’Éthiopie où un fabriquant chinois de chaussures avait déjà décidé d’investir l’année dernière. Publiée en 2011 une étude de la Banque mondiale comparant plusieurs pays africains à la Chine et au Vietnam, a montré que l’Éthiopie était d'ailleurs le seul pays capable de concurrencer les pays asiatiques pour des productions à haute intensité de main d’œuvre (comme l'habillement ou la fabrique de meubles). Ces projets montrent que des pays africains peuvent s’engager à leur tour dans le "vol des oies sauvages" qui a débuté avec le Japon, qu’ont suivi ensuite les Nouveaux Pays industriels d’Asie et ensuite les pays  du Sud-Est asiatique et la Chine. Mais cette conjoncture ne doit pas faire oublier le contexte. La Chine est devenue depuis 2010 la première puissance manufacturière mondiale (avec 17% de la production par la valeur ajoutée manufacturière mondiale), devant les États-Unis qui avaient ravi cette place au Royaume-Uni à la fin du XIXème siècle. L’Asie émergente – hors Japon –  produit autant que l’Europe (un quart de la valeur ajoutée manufacturière mondiale) et l’Afrique subsaharienne 1%. Si les Chinois délocalisent, ils continuent d’investir massivement dans l’industrie en Chine : mesuré en dollars courants, la Chine investit trois plus que les États-Unis dans l’industrie manufacturière, huit fois plus que l’Allemagne et dix fois plus que la Corée qui est la cinquième puissance manufacturière dans le monde et investit deux fois plus que la France Cet effort d’investissement permet à la Chine de disposer du parc de machines le plus moderne du monde émergent, et probablement du monde industriel. Cet avantage de "tard-venu" se combine avec un potentiel d’économies d’échelle considérable, qui est dynamisé par la croissance des revenus et l’élargissement du marché chinois. Si la hausse des salaires en Chine peut éroder la compétitivité des exportations chinoises, elle renforce l’attractivité de la Chine auprès des investisseurs industriels qui cherchent à s’y implanter pour se rapprocher du marché chinois. L’Afrique n’est pas la seule région du monde susceptible d’attirer des délocalisations d’entreprises chinoises ou de filiales étrangères implantées en Chine. Ces investisseurs regardent d’abord en Asie du Sud-Est (Vietnam, Cambodge mais aussi le Myanmar) et en Asie du Sud (Bangladesh).  De même que la croissance industrielle de l’Asie du Sud-Est n’a pas été freinée par celle de la Chine, la montée de l’Afrique dans l’industrie mondiale ne signifiera pas nécessairement le déclin industriel de l’Asie. Les deux mouvements peuvent s’accompagner, voire se renforcer mutuellement. Mais il faudra attendre plusieurs années pour que l’Afrique et l’Asie jouent dans la même catégorie.

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