mardi 27 août 2013

Syrie : ajouter la guerre à la guerre

Par 
Dominique
Jamet

Le monde a ses usages, qui ne sont pas simples ; et le public, au tournant des XIXe et XXe siècle, était friand des manuels de savoir-vivre qui, comme celui de Baronne Staffe, étaient censés dire à chacun comment se tenir, s’habiller, se comporter dans les circonstances les plus délicates.
La Charte de l’ONU en est l’équivalent moderne, à l’échelle de la communauté internationale, censée, elle aussi, au nom des exigences les plus élevées, déterminer, à l’usage des États membres, les règles du savoir-vivre ensemble, et donc de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Le seul problème que pose ce code de bonne conduite est celui de son application. Désormais à géométrie de plus en plus variable.
Il est bien entendu, par exemple, que ça ne se fait pas de tirer sur son peuple. La répression sanglante, en juin 1989, par le régime communiste chinois, des manifestations pacifiques de la jeunesse étudiante appelait de toute évidence des sanctions qui ne vinrent pourtant jamais. La Chine, déjà, faisait peur.
L’utilisation massive, par Saddam Hussein, à Halabja, en mars 1988, d’armes chimiques contre les populations kurdes d’Irak constituait clairement une autre violation de la loi internationale. Mais le raïs irakien, à l’époque, était encore le bon petit soldat que l’Occident avait recruté pour abattre le régime des ayatollahs iraniens, et les quelques milliers de victimes des raids de son aviation furent passés par profits et pertes.
Bachar el-Assad, autre raïs, est formellement accusé, ces derniers jours, et avant même les résultats de l’enquête confiée aux experts de l’ONU, d’avoir expédié des obus chargés de gaz – tabun ou sarin – sur la banlieue de Damas. Ce crime contre l’humanité soulève l’indignation, exprimée de la manière la plus forte, des grandes puissances occidentales. Dans l’édition 2013 du manuel de savoir-vivre international, le recours systématique à l’égorgement, l’exécution sommaire de prisonniers, l’utilisation de voitures piégées qui tuent indistinctement combattants et civils ne constituent pas un manquement aux bonnes manières, tel qu’il justifie condamnation ou intervention. En serait-il de même si l’enquête venait à révéler que les rebelles étaient les auteurs du massacre ? Nous verrons bien. Nous verrons peut-être. Ou nous ne verrons pas. Car il semble bien que dans les hautes sphères de l’Occident, dont l’entrée est interdite au public, la décision soit d’ores et déjà prise d’en finir avec le régime syrien. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
Quelles que soient les raisons véritables de ce choix – dont les motifs allégués sont humanitaires, dont les causes et les objectifs réels sont peut-être d’un tout autre ordre, et dont le prétexte pourrait bien être tout aussi mensonger que ceux qui justifièrent, en leur temps, la guerre du Vietnam, la seconde d’Irak, celle du Kosovo, voire l’intervention en Libye –, les discours des principaux dirigeants occidentaux et les mesures militaires annoncées donnent à craindre une imminente « réaction de force ». Sous quelle forme ? Un engagement au sol paraissant exclu, c’est plutôt par l’entremise de bombardements ciblés, l’envoi de missiles ou l’entrée en jeu de drones qu’une telle intervention pourrait se dérouler et faciliter le travail des forces rebelles armées par les soins de l’Occident et de ses alliés locaux.
Les dégâts collatéraux qui en résulteraient forcément ne seraient pas seulement humains. Nos dirigeants sont-ils aveugles au point de ne pas voir que l’effondrement du régime alaouite se traduirait par la partition du pays, le massacre des minorités, l’élimination des chrétiens du Levant ? Sont-ils assez inconscients et amnésiques pour ignorer le chaos dans lequel les interventions occidentales ont plongé l’Irak, l’Afghanistan, la Libye ? Se figurent-ils que la Russie, l’Iran, le Hezbollah libanais seraient prêts à abandonner leur allié, à perdre la face ?
Ils n’ont pas su empêcher l’internationalisation de ce qui n’était au départ qu’une guerre civile. Ne comprennent-ils donc pas qu’ils risquent d’étendre encore l’incendie qui déjà fait rage dans toute la région ? Est-il sage d’ajouter la guerre à la guerre ? Quelle cuisine nos apprentis marmitons nous mijotent-ils ?

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