jeudi 29 août 2013

La vraie raison d’une intervention en Syrie n’est pas l’utilisation d’armes chimiques

Cela doit être dit clairement : Bachar Al Assad est un dictateur abject.
S’il y avait à la Maison Blanche un Président américain digne de ce nom, Bachar Al Assad serait vraisemblablement tombé depuis longtemps et, la Russie ayant des intérêts en Syrie, les intérêts de la Russie aurait pu être ménagés.
Bachar Al Assad n’est pas tombé en 2011 parce qu’Obama ne voulait pas froisser l’Iran et ne considérait pas l’opposition modérée syrienne comme une option digne d’être retenue.
Trente mois et cent mille morts plus tard, Bachar Al Assad est toujours là. L’opposition modérée syrienne, elle, est depuis longtemps submergée par les Frères musulmans et des groupes affiliés à al Qaida, le principal étant Jabhat al Nusra. Il semble que des hommes soient entraînés en Jordanie sous l’égide de l’Arabie Saoudite, mais n’ont pas encore les moyens de prendre en main l’ascendant.
Trente mois et cent mille morts plus tard aussi, Barack Obama semble décidé à intervenir contre le régime Assad, en raison, dit-il, de l’utilisation d’armes chimiques qui ont tué trois cent personnes. Et cette attaque est présentée comme une « abomination » par Barack Obama et son administration tout entière. La France et le Royaume Uni, par le biais de François Hollande et David Cameron, emboitent le pas de l’administration Obama, d’un air d’autant plus péremptoire et assuré que l’essentiel de l’action militaire viendra des Etats-Unis.
J’ai écrit récemment que cela venait bien tard : trente mois et cent mille morts, ce n’est pas rien. Et cent mille morts c’est beaucoup plus que trois cent personnes, quel que soit le responsable de la mort des trois cent personnes (et j’ai des doutes sur le fait que ce soit, là, Assad le responsable). Trente mois et cent mille morts, c’est là la véritable « abomination » si on veut parler en termes humanitaires.
J’ai noté aussi que l’action envisagée était sans aucun doute trop peu.
J’ai noté que des frappes aériennes seraient vaines et sans doute contre productives, et à même d’ajouter du désastre au désastre. Je persiste et je signe.
S’il s’agit de détruire les armes chimiques et les bases aériennes du régime, celui-ci sera affaibli, mais pourra survivre, et se targuer d’avoir résisté aux Etats-Unis, qui auront perdu le peu de crédibilité qui leur restait (il leur en reste fort peu depuis janvier 2009). Ajouter à la liste des objectifs des ministères ou palais présidentiels ne changera rien à ce que je viens de dire.
J’ai noté qu’aller vers un changement de régime sans troupes au sol était inconcevable, et j’ai ajouté que l’envoi de troupes au sol était inconcevable aussi.
Nous allons donc vers du désastre ajouté au désastre.
La vraie raison de l’action décidée par Barack Obama n’est pas l’utilisation d’armes chimiques, non.
La vraie raison est que les Frères musulmans en Syrie et leurs alliés rencontraient, ces derniers temps, des revers, et que, quand bien même il dit ne pas vouloir de changement de régime, Barack Obama espère toujours que tôt ou tard les Frères musulmans en Syrie et leurs alliés l’emporteront. Il ne peut, bien sûr, pas énoncer explicitement cette espérance. Car il entend toujours ne pas froisser la Russie et, surtout, ne pas froisser l’Iran. On peut penser que François Hollande et David Cameron partagent cette espérance.
Le résultat sera une perte du peu de crédibilité qui restait aux Etats-Unis, je l’ai dit, et cela me consterne infiniment. La crédibilité de François Hollande et David Cameron étant d’ores et déjà nulle, ils ne peuvent pas la perdre.
Le résultat, si Assad reste au pouvoir, est que celui-ci pourra se targuer d’avoir résisté aux Etats-Unis, et sera à la tête d’un régime plus dangereux encore.
Le résultat peut être aussi, si le régime Assad est affaibli ou vacille, d’offrir un champ de manoeuvre plus vaste aux Frères musulmans en Syrie et à leurs alliés.
Le raisonnement disant qu’il s’agit de « punir Assad », sans plus, est grotesque. Nous ne sommes pas dans une cour de récréation.
Obama ne sera pas à même de vendre son intervention militaire au Congrès américain, où même des démocrates s’inquiètent de ce que fait Obama, et il ne demandera pas au Congrès de déclarer la guerre, comme la Constitution américaine l’y obligerait : il dira qu’il ne s’agit pas de guerre, comme il l’a fait lors de l’intervention en Libye.
Moins de dix pour cent des Américains approuvent ce qu’entend faire Obama, et s’il s’agissait pour lui d’une opération de reconquête de l’opinion, ce serait raté avant même que quoi que ce soit ait eu lieu : mais il ne s’agit pas d’une opération de reconquête de l’opinion.
L’opinion britannique est à peine plus favorable à un engagement des troupes britanniques. Je n’ai pas vu de sondages concernant la France, mais je doute que les Français soient prêts à se rallier au sabre de carton détrempé brandi par Hollande.
Quelques journalistes et quelques analystes français, ces derniers jours, ont énoncé de manière pertinente les risques et l’aventurisme insensé inhérent à l’opération qui se profile.
Stéphane Juffa a publié sur le site de la Metula News Agency (menapress.org) un article qui rappelle quelques règles fondamentales. Je le cite : « La guerre a ses règles, et il y a grand péril à ne pas les respecter : on entre en conflit uniquement lorsque l’un des intérêts majeurs de son pays est soumis à un risque imminent, ou si l’on peut, grâce à une intervention armée, améliorer de manière décisive ses positions prépondérantes dans des domaines critiques ».
Le régime syrien ne représente, en soi, aucun risque pour les Etats-Unis. Les intérêts majeurs des Etats-Unis ne sont pas concernés. Le « risque » était, ces derniers jours, celui d’une défaite du camp islamiste en Syrie. Les intérêts majeurs des Etats-Unis ne sont pas dans une victoire de islamistes.
Les intérêts géopolitiques des Etats-Unis impliqueraient que ni le régime Assad et derrière lui l’Iran et le Hezbollah, ni les Frères musulmans syriens et leurs alliés ne l’emportent, et qu’ils continuent à s’entredétruire, comme l’a récemment expliqué Edward Luttwak (In Syria, America Loses if Either Side Wins).
Dans un article qui vient d’être publié (America’s Impending Defeat in Syria), Barry Rubin parle de la défaite à venir pour l’Amérique. Il a raison. J’ajouterai juste que Barack Obama veut la défaite de l’Amérique. Pour lui, l’Amérique est le problème et l’islam radical est une part importante de la solution.
Poutine est un homme autoritaire, cynique et qui fait peu de cas des droits de l’homme, mais il présente l’avantage par rapport à Obama de ne pas servir l’islam radical et d’être un acteur rationnel.
Même dans mes pires cauchemars, je n’aurais pas imaginé qu’Obama pourrait à ce point dégrader les Etats-Unis internationalement. Et pourtant, j’ai écrit deux livres pessimistes sur Obama.
Quelques journalistes et quelques analystes français, ces derniers jours, ont énoncé de manière pertinente les risques et l’aventurisme inhérent à l’opération en cours, ai-je écrit.
Cela a été loin d’être le cas de tous les journalistes.
L’un des propos journalistiques qui m’a été le plus insupportable ces derniers jours a été la comparaison avec la guerre d’Irak, en faveur de la politique Obama, bien sûr.
En Irak, il y avait des armes de destruction massive, jusque quelques semaines avant les opérations. Chirac et Villepin ont agi pour donner le temps à Saddam de se débarrasser de ce qui le gênait : en direction de la Syrie. Le rapport Duelfer est explicite sur ces plans et seuls les aveugles volontaires ne veulent pas voir. Dès lors que les aveugles volontaires sont aux postes de commande en France, je ne peux le dire qu’ici.
En Irak, George Walker Bush avait des objectifs définis. Les intérêts majeurs des Etats-Unis étaient en jeu dès lors que le régime de Saddam avait des liens avec al Qaida : comme l’a montré Stephen Hayes dans son livre The Connection, How al Qaeda’s Collaboration with Saddam Hussein Has Endangered America, et dans de nombreux articles que les aveugles volontaires ne veulent pas lire.
George Walker Bush avait une stratégie précise, que j’ai exposée dans plusieurs livres. Il ne se faisait pas l’agent de l’islam radical et a, au contraire, enclenché une guerre globale qui, menée jusqu’au bout, aurait pu porter ses fruits.
En Syrie, il y a des armes de destruction massive, mais Barack Obama n’a pas d’objectifs définis (ou plus exactement, il a des objectifs indicibles), il n’a pas de stratégie précise et se fait l’agent de l’islam radical.
George Walker Bush avait constitué une coalition de trente neuf pays, sans l’aval de l’ONU, et il a été accusé d’ « unilatéralisme ». Barack Obama a une coalition de trois pays, sans l’aval de l’ONU, et n’est pas accusé d’unilatéralisme : un allié de l’islam radical ne peut être accusé d’unilatéralisme, surtout pas en France, puisque la France fait partie de la coalition.
George Walker Bush avait obtenu l’accord préalable du Congrès. Barack Obama n’a pas cherché une seconde à obtenir l’accord préalable du Congrès.
George Walker Bush avait engagé des troupes au sol. Barack Obama a fait partie aux Etats Unis de ceux qui ont pesté contre la guerre en Irak, diabolisé Bush, et transformé une victoire en Irak en défaite : il ne peut engager de troupes au sol dans le contexte actuel, mais il ne le peut surtout pas dés lors qu’il a transformé la victoire en Irak en défaite.
Les abrutis disent que c’est ce qui fait la « supériorité » d’Obama. Et ils osent citer la Libye en exemple ! Quel merveilleux exemple en effet ! Les Français voient Bernard Henri Levy à la télévision, mais ils ne voient pas le drapeau noir d’al Qaida flotter sur Benghazi. Ils ont vu les opérations françaises au Mali, mais on leur a peu expliqué d’où venaient les armes des islamistes au Mali. Il serait dommage de ne pas enclencher un engrenage conforme à l’exemple libyen, c’est clair.
Le pays qui se retrouve en première ligne des manœuvres d’Obama est Israël. L’intérêt d’Israël serait que les armes chimiques du régime Assad soient détruites, et ne tombent pas entre les mains du Hezbollah ou d’al Qaida. Il serait que ni le régime Assad, l’Iran, le Hezbollah d’une part, ni les Frères musulmans syriens et leurs alliés d’autre part ne l’emportent. Il n’est pas que la crédibilité des Etats-Unis dans la région soit anéantie et que, ou bien le régime Assad, le Hezbollah, l’Iran soient renforcés, ou bien les Frères musulmans syriens et leurs alliés soient renforcés. Il serait que le dispositif nucléaire iranien soit considéré comme un danger pour les Etats-Unis : mais Obama ne considère pas le dispositif nucléaire iranien comme un danger pour les Etats-Unis. Il voit que le dispositif nucléaire iranien est un danger pour Israël, mais vu le peu de cas qu’il fait de l’existence d’Israël, ce n’est pas le genre de choses qui l’empêchera de jouer au golf.
© Guy Millière pour www.Dreuz.info
PS Alors que j’achevais cet article, j’apprenais que David Cameron avait décidé qu’il était urgent d’attendre, ce qui réduit la coalition, pour l’heure, à deux partenaires, Obama et Hollande. Obama vient de déclarer qu’il n’a pas encore décidé de décider, quand bien même il entend décider. C’est de plus en plus intéressant. Je n’ai déjà pas les idées claires en ce moment. Obama n’arrange pas les choses. Je vais regarder les grandes chaines de la télévision française et tout deviendra vite clair : on m’expliquera qu’Obama est un type bien, sûr, ferme, un saint et un ange. Avec les grandes chaînes de la télévision française, tout devient vite clair.

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