samedi 12 janvier 2013

Les meurtres interviennent après l’annonce d’un accord entre Ankara et Abdallah Oçalan emprisonné


Le meurtre, dans les locaux d’un Institut kurde à Paris, de trois militantes dont une cofondatrice du PKK, suscite plusieurs interrogations sur les mobiles et l’identité des exécutants. Selon des spécialistes de la question kurde, plusieurs pistes sont évoquées pour expliquer ce triple assassinat. Ces différentes pistes convergent vers un seul objectif : empêcher le rapprochement opéré ces derniers jours entre Ankara et le PKK.
L’assassinat de Fidan Dogan (32 ans), permanente du centre d’information kurde et représentante en France du Congrès national du Kurdistan, de Sakine Cansiz, une des fondatrices du PKK, et de Leyla Soylemez, une activiste, intervient quelques heures seulement après l’annonce, hier, très médiatisée par les télévisions turques, d’un « accord de principe » conclu entre les services turcs, mandatés par le premier ministre Recep Tayyib Erdogan, et Abdallah Oçalan, chef du PKK, emprisonné depuis 1999. Selon les médias turcs, les contacts directs entre les deux parties ont commencé fin décembre, et ont abouti à un accord, annoncé hier 9 janvier, portant sur l’arrêt des hostilités à partir de mars prochain, le retrait des combattants kurdes vers le Kurdistan irakien. En contrepartie, la Turquie entame des réformes politiques en vue d’accorder aux Kurdes certains droits pour lesquels ils ont porté les armes depuis 1984, dont la reconnaissance des spécificités de l’identité kurde. Cette évolution semble avoir été accélérée par la volonté turque de neutraliser, par les négociations politique, les capacités terroristes du PKK, soutenu par le régime syrien depuis près de 30 ans. Car Ankara redoute l’exploitation de la carte kurde par le régime de Bachar Al-Assad, aux abois.
Ces éléments sont cruciaux pour les enquêteurs qui tentent d’élucider le triple assassinat de Paris. Selon des spécialistes de la question kurde, plusieurs pistes sont à explorer :
La piste interne  : A Ankara, les observateurs notent que l’aile radicale du PKK refuse tout arrangement politique avec la Turquie. De ce fait, il n’est pas exclu que les assassins des trois militantes soient des membres radicaux du parti, hostiles aux négociations en cours. D’autant plus que selon certaines sources, les victimes connaissaient le ou les assassins. Elles leur ont ouvert la porte munie d’un digicode !
La piste turque  : l’accord en gestation entre Ankara et le PKK irrite au plus haut point une aile ultranationaliste des services turcs. En assassinant les trois militantes, les ultranationalistes font d’une pierre trois coups : empêcher le gouvernement de conclure un accord avec Oçalan ; affaiblir les islamistes au pouvoir en précipitant leur échec ; et susciter une réaction violente des kurdes justifiant la poursuite de la répression.
La piste syrienne : le régime de Bachar Al-Assad craint que l’accord entre Ankara et Oçalan ne conduise à la perte de la carte du PKK, alors que Damas a investi pendant des décennies dans cette organisation. Certes, à la fin des années 1990, et sous la pression militaire turque, Hafez Al-Assad avait cédé et extradé Oçalan, permettant la signature des Accords d’Adana. Mais son fils Bachar Al-Assad a récemment réhabilité le PKK, ainsi que d’autres organisations kurdes, pour harceler la Turquie et l’empêcher de soutenir pleinement la rébellion syrienne. En commanditant le triple meurtre de Paris à ses nombreux agents dissimulés en France, directement ou par l’intermédiaire du Hezbollah et d’autres organisations terroristes, Assad chercherait à torpiller l’accord pour continuer à disposer de la carte terroriste du PKK.
La piste iranienne  : Après l’autonomie du Kurdistan irakien, devenu un modèle de réussite économique dans la région, l’Iran redoute que la pacification du dossier des kurdes turcs ne contamine les kurdes iraniens, désireux, eux aussi, d’obtenir un statut inspiré de leurs cousins d’Irak ou de Turquie. Pour empêcher un tel scénario, l’Iran aurait également intérêt à torpiller l’accord avec Oçalan en assassinant les militantes à Paris.
En définitive, toutes les pistes convergent vers le même constat : empêcher l’accord d’être entériné. Un autre constat, plus alarmiste, s’impose cependant. Les commanditaires de ces meurtres disposent de moyens terroristes importants en France, n’hésitent pas à les utiliser, et le font savoir. A cet égard, les sites de propagande du régime syrien ne cessent de relayer des propos attribués à un ancien responsable des services français qui « regrette la politique de Paris, hostile à Bachar Al-Assad ». Cet ancien responsable affirme que « les services syriens ont permis à la France de déjouer des attentats majeurs en 2008, et il convient de les remercier en cessant de comploter contre Assad ». Or, cet ancien responsable fait semblant d’oublier que la Syrie est une excellente manipulatrice et joue sur plusieurs plans : elle commandite des attentats et des enlèvements pour mieux négocier, avant de vendre leurs auteurs au prix fort. Quand le lion Assad montre ses dents, ça ne veut pas systématiquement dire qu’il sourit. Le masque d’agneau qu’il porte et qu’il montre aux Occidentaux ne saurait cacher son véritable caractère de prédateur.
Stefano B. C.

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