dimanche 27 janvier 2013

Zero Dark Thirty : parce qu’il n’y a pas de guerre propre


Croire, mais surtout ne rien voir et ne rien savoir.
Ainsi pourrait se résumer l’attitude de l’Américain moyen sur les agissements de son pays plongé depuis des lustres dans d’éternelles guerres « propres » menées au nom du bien.
En cause aujourd’hui, le remarquable film de Kathryn Brigelow, Zero Dark Thirty, qui retrace la traque sur dix années d’Oussama Ben Laden. On doit déjà à cette cinéaste le tout aussi remarquable Démineurs qui montrait comment les GI’s, shootés à l’adrénaline et devenus accros à leur métier, demandaient à retourner en Irak parce qu’ils ne pouvaient plus se réinsérer entre leur épouse, le supermarché et les enfants. Dans ce nouvel opus, c’est la torture qui ne passe pas. Voire le sujet du film lui-même, les Républicains ayant accusé Kathryn Brigelow de rouler pour Obama avant même que son film ne soit tourné.
Plus reporter de guerre que réalisatrice de fiction – et pour le coup, ce n’en est vraiment pas une – Brigelow filme sans concession. Sans pathos. Les faits (son scénariste et producteur est le journaliste Mark Boal), rien d’autre, et dans ces faits, la torture. Celle-ci occupe les vingt premières minutes du film, montrant comment la CIA a ouvert de par le monde ses fameux « black sites », des bases secrètes, pour y travailler sérieusement au corps des terroristes réels ou supposés. Leur objectif : la vengeance d’une nation, par n’importe quel moyen. Or, les Américains de l’Amérique profonde, armés jusqu’aux dents pour réciter leurs prières en famille sous la bannière étoilée, pensent que la guerre – la leur en tout cas – est propre. Et comment en serait-il autrement puisqu’on ne leur en a jamais rien montré, pas même les cercueils de retour d’Irak ou d’Afghanistan ? Les morts, pour eux, n’existent qu’en tant que héros, aux jours de commémoration, quand le drapeau replié en coussin sert à planter les décorations. Pour le bon peuple des USA, la guerre technologique est super clean : non seulement les soldats défendent la patrie sans mettre un pied à terre (la guerre chirurgicale évite de devoir se salir), mais jamais, au grand jamais, ils ne mettraient les mains dans les vomissures, l’urine et la merde des pauvres types qu’ils torturent – souvent pour un piètre résultat.
La polémique a traversé l’Atlantique. Ici comme là-bas, si l’on reproche au film tout et son contraire, c’est encore la torture qui concentre les critiques. Ainsi le centre Primo-Levi, interrogé par L’Express, s’insurge contre « le manque de recul », reprochant que jamais, dans le film, « on ne condamne cette pratique ». Le film rapporte des attitudes et des faits. On y voit à l’œuvre des agents de la CIA qui consacrent à la traque de Ben Laden toute leur existence. Ils n’ont qu’un seul but enfoncé dans le crâne, sans place pour les interrogations ni les atermoiements. La cinéaste rapporte, au spectateur de juger les fins et les moyens. Pas besoin de lui tenir la main.
Zero Dark Thirty est un film droit, objectif, au sens le plus noble du terme, sans fioritures ni sentimentalisme moralisateur. C’est sans doute ce qui le rend dérangeant pour certains.
Une sacrée réussite, en tout cas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire