lundi 6 mai 2013

Génération islam : portraits de ces jeunes qui ont la rage

Élisabeth Schemla a été rédactrice en chef du Nouvel Observateur et directrice adjointe de l’Express avant de fonder le site proche-orient.info. Spécialiste du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient depuis plus de trente ans, elle a publié six ouvrages chez Flammarion dont deux best-sellers : Edtih Cresson : la femme piégée et Une Algérienne debout, entretiens avec Khalida Messaoudi.
 
Rien d’étonnant, exploitant ces failles, à ce que l’islam ait pris chez nombre de jeunes le relais de la République. A la devise Liberté Egalité Fraternité, qui réclame un effort permanent, répond, redoutable de simplicité et de paresseuse capacité mobilisatrice, Allah Akbar, Dieu est le plus grand.
 
Le Coran enseigné par de piètres maîtres est présenté à ces jeunes – bien à tort – comme un livre autrement plus accessible et passionnant que les manuels scolaires, un objet intouchable de recettes millénaires régulant toute la vie qui se retient de mémoire, par une répétition obsédante, sans se penser et se discuter aussi par l’intelligence.
La "nation" musulmane quant à elle apporte le réconfort d’une communauté qui abolit toutes les Génération islam : ces jeunes qui ont la rage 161 différences et transcende tous les États, pour peu que soit acceptée l’absolue soumission à Dieu. Une fraternité universelle. L’islam est un refuge, une réponse. Et un avenir.
Il l’est aussi pour des jeunes Français de plus vieille souche, plongés dans la même désorganisation de leur environnement et un identique désordre familial et intime. Selon le ministère de l’Intérieur et des Cultes, il y aurait 4000 conversions par an et 100 000 convertis aujourd’hui, soit plus du double qu’en 1986.
Les organisations musulmanes affirment que ce serait 200 000. En vérité, on n’en sait rien puisque, en ce domaine aussi, les statistiques et les études scientifiques font défaut.
Aucune classe sociale n’a l’apanage de la conversion : médecins, avocats, hommes d’affaires, cadres, employés deviennent aussi des fidèles des mosquées. Mais leur démarche est la plupart du temps d’ordre spirituel. Ils choisissent généralement le soufisme, contrairement aux jeunes des banlieues et quartiers pris en main par le wahhabo- salafisme, le Tabligh ou les Frères musulmans. Les témoignages parus dans Le Monde Magazine sous le titre "L’islam en France, itinéraires de convertis" expriment fort bien le parcours et l’état d’esprit de ces nouveaux croyants de vingt ans qui font de la surenchère identitaire, affichent tous les signes extérieurs – vêtements pour les deux sexes, barbe pour les garçons – et endossent avec une ardeur néophyte les modes de pensée clivants de leur religion d’adoption.
Les idoles qui leur montrent la voie, rappeurs et sportifs, viennent des mêmes territoires. Contrairement à une idée reçue, on compte parmi eux autant de Noirs que de Blancs. Mais Akhenaton, soufiste comme Abd al Malik, revenu du radicalisme, ne donne évidemment pas le même exemple qu’un Nicolas Anelka ou un Franck Ribéry (qui a prénommé son fils Seif, "Glaive de l’islam"), deux sportifs chez qui religion et comportements douteux font bon ménage.
Et puis, il y a les femmes, comme Mélanie Georgiades, catholique, nom de scène Diam’s, un talent formidable, une hargne douloureuse aux tripes, des trous noirs à l’âme. Elle s’est convertie à l’islam après avoir rencontré son mari. On l’a retrouvée sous un hidjab et elle s’est éloignée des planches comme si Satan lui brûlait les pieds. Du coup, la presse a craint pour les jeunes. "Si j’avais fini comme Amy Winehouse, est- ce qu’on aurait dit de moi ce qu’on a dit, d’être un danger pour les jeunes ? Prôner la paix, être quelqu’un de bon, vouloir une vie de famille. C’est ça le danger ? Finalement, je me suis dit que si ce sont ces destins “trash”- là qui les font rêver, je les laisse se “crasher” tout seuls. Moi ce n’est pas la fin que je rêve d’avoir… Je veux vous emmener sur les routes sinueuses que j’ai foulées, dans mes voyages au bout du monde mais aussi dans ce voyage au fond de mon coeur pour que vous compreniez ce qui m’a émue, ce qui m’a bouleversée, et qui m’a fait renaître." Ce born again est à la fois le signe de la réislamisation des musulmans et de l’islamisation des chrétiens.
La conversion elle- même est une formalité, d’une grande modernité à l’ère fast- food- zapping- Twitter.
C’est aussi l’une des clés de son succès. Je me suis présentée dans une mosquée de Grenoble. En fait, une pièce faisant office de salle de prière au pied de l’escalier d’un petit immeuble du quartier Saint- Bruno. L’adjoint de l’imam nettoyait à grande eau le local pour les ablutions situé à l’arrière, dans une courette. Il m’a regardée arriver. Mon intention était d’engager une conversation et de rencontrer 1. Sur TF1, dans "7 à 8", Diam’s est apparue en niqab. Les vidéos de l’émission ont toutes été retirées du Web. Islam, l’épreuve française 164 l’imam. Il y a dix ans, il se serait méfié : une indic ? une provocatrice ? une flic ? une journaliste ? Là, pas du tout. Avant même que je n’ouvre la bouche, il m’a spontanément demandé si je venais pour me convertir : c’était sans aucun problème ! Délaissant un moment sa brosse, il m’explique qu’il faut « avoir la foi, commencer à lire le Coran, savoir et croire qu’il est la parole de Dieu révélée par lui, le Coran c’est un guide pour tout ». Après, pour être admise dans la oumma, la communauté, il faudra, devant deux témoins ou l’imam, prononcer la chahada. Il récite la phrase : "Ach- hadou an la ilaha illa Allah wa ach- hadou anna Mohamadane Rassouloulah." Traduction : "J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et j’atteste que Mahomet est son Messager." C’est tout ? "Oui, c’est tout, mais il faut travailler ta foi." Il m’a encouragée à revenir à l’heure de la prière où je pourrai m’installer dans la pièce réservée aux femmes. Deux heures après, je m’y suis retrouvée, seule.
A la fin du culte, sortant de la grande salle, un petit homme maigre d’une quarantaine d’années, bonnet sur la tête, un converti, s’est dirigé vers moi et m’a gentiment proposé d’aller prendre un café. Pierre - Jelel - vient de Marseille, de la délinquance, et il est passé par la case prison, haut lieu de la Génération islam et du recrutement des radicaux dont certains passeront au terrorisme. On sent qu’il a rompu toutes les amarres, qu’il n’a personne dans sa vie : "Je ne veux pas aller avec n’importe quelle femme, ce serait pécher, j’attends de trouver celle qu’Allah me destine." Il a rendez- vous avec sa solitude, tous les jours, dans cette brasserie ouverte au milieu d’un centre commercial. Là, il passe les heures entre deux prières à sa mosquée, car il n’en manque pas une. "J’étais mal barré. La foi, je l’ai acquise en taule et ça m’a sauvé. Allah m’a remis dans le droit chemin. Il y a des années, j’ai quitté Marseille pour venir ici, m’éloigner des mauvaises fréquentations, prendre un travail. Je suis dans le bâtiment et j’ai demandé à travailler dans l’équipe du matin pour pouvoir aller à toutes les prières à la mosquée à partir de midi. Les autres, je les fais sur le chantier, le patron est d’accord. Les cinq prières, c’est très, très important, ça vous structure, ça vous oblige à penser toute la journée au bien et au mal, et ça, ça vous préserve, ça vous rappelle à vos engagements." Il a du coup la mentalité sectaire du converti, il suit à la virgule son dogme, n’admettant même pas qu’on lui souhaite joyeux Noël. Mais les imams aumôniers de prison le savent : l’islam sauve quand même des voyous.
Où serait le problème d’une réislamisation et d’une islamisation dans le respect de la laïcité républicaine s’il n’y avait le flot de haine qui est déversé au sein de cette génération islam, souvent sans qu’elle en ait pleinement conscience ? Car nous ne sommes pas tout à fait au rassemblement de Taizé ! C’est là que le bât blesse, terriblement.
Extrait de "Islam, l'épreuve française" (Plon), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.
 

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