jeudi 16 mai 2013

L’effet boomerang des bombes d’Erdogan

Le régime d'Ankara parle de 51 morts dans les attentats qui ont frappé la ville de Reyhanli à la frontière avec la Syrie. Mais la population affirme que les autorités cachent le nombre réel de victimes. Côté médias officiels, c'est le blackout. Ils ne relaient plus que les rapports de police et les scénarios édictés par l'AKP au sujet du double attentat. Et pour cause : le Procureur de la République de Reyhanli a réussi à faire valider dimanche un décret de censure par le Tribunal de simple police de Reyhanli. La colère gronde en Turquie à la fois contre le gouvernement Erdogan et contre ses mercenaires syriens.




A Reyhanli, au milieu des décombres, les gens accusent le gouvernement turc de vouloir faire la guerre contre la Syrie pour le compte des USA et d'Israël.


Certains journalistes et blogueurs bravent la censure au prix de leur liberté comme Ferdi Özmen qui a comptabilisé le nombre de victimes du double attentat de Reyhanli. D'après Özmen, les victimes sont réparties dans sept hôpitaux de la région de manière suivante :


Hôpital Defne : 26 corps
Hôpital public d'Antakya : 44 corps
Hôpital de Kirikhan : 18 corps
Hôpital de l'Académie : 6 corps
Hôpital Méditerranée (Akdeniz) : 3 corps
Hôpital de recherches médicales (Arastirma) : 30
Hôpital public de Reyhanli : 50


Au total, il y aurait selon lui 177 morts et non 51 morts comme annoncé par les sources officielles. Ces allégations impossibles à vérifier et démenties par le ministre de la santé Mehmet Müezzinoglu, ont tout de même entraîné l'arrestation de Ferdi Özmen par la police...

Une étudiante de Samandag (Soueydiye en arabe) dénommée Meziyet Camuz, se demande à juste titre :

"Le jour de l'attentat, pourquoi les dirigeants de l'AKP se sont retrouvés pour célébrer une fête de mariage (celui du fils du député Burhan Kuzu, Ndlr) ?

Pourquoi Davutoglu a-t-il souri en parlant des victimes ?

Pourquoi les autorités font-elles comme si le Hatay ne fait pas partie de la Turquie ? Pourquoi cachent-elles l'ampleur du massacre et détruisent-elles les preuves à coup de pelleteuses ?

Pourquoi ne décrète-t-on pas une journée de deuil national ? Nos frères défunts sont-ils si méprisables ?

Si les bombes ont traversé la frontière, pourquoi le gouvernement, la police et les services de renseignement n'ont-ils pas arrêté le véhicule ? (...)

Les rebelles syriens détruisent un camion pompier à Cilvegözü, personne (du gouvernement) ne s'en préoccupe. Ils tuent un policier, personne ne s'en émeut. Ils tuent mes frères, le gouvernement s'en fout (...)" (Source : Sol Portal, 14 mai 2013).



A Antakya, Samandag, Mersin, Reyhanli, Iskenderun, Adana, les populations du Sud de la Turquie, toutes ethnies et confessions confondues, manifestent contre le gouvernement Erdogan.


Ici, un rassemblement organisé hier à Samandag.


Ailleurs, dans le pays, les mouvements progressistes manifestent eux aussi leur solidarité avec les victimes de l'attentat et accusent le gouvernement AKP d'en être co-responsable.


Lundi, la police a empêché une manifestation de solidarité avec Reyhanli à Kocaeli, près d'Istanbul.


Le lendemain, la police a sorti les matraques contre des manifestants à Adana.


En matinée, les autorités turques ont annoncé la capture de quatre autres militants de gauche, ce qui porte à 13 le nombre de "suspects" arrêtés dans le cadre de la tuerie de Reyhanli.


Mais coup de théâtre, le ministre de l'intérieur Muammer Güler a révélé au journal Hürriyet que les véritables auteurs n'ont pas encore été arrêtés. Son propos accrédite la thèse de la diversion et du brouillage de piste.


Autre scandale, d'après certains journaux alternatifs, les 73 caméras de surveillance de la ville de Reyhanli étaient hors service au moment du double attentat. Le ministre de l'intérieur a aussitôt démenti l'information.


De son côté, le mouvement marxiste-léniniste DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple) dont plusieurs sympathisants ont été arrêtés pour leurs liens supposés avec les attentats a publié un démenti dans lequel il accuse le gouvernement AKP et les groupes djihadistes d'être derrière les attentats.


Le DHKP-C rappelle dans son communiqué qu'en Syrie, "les groupes djihadistes commettent chaque jour, des massacres comme celui de Reyhanli" (...) "Ils ont organisé des attaques similaires contre des dirigeants, des ministres et des commandants militaires du gouvernement Assad mais aussi contre des imams de mosquées, des autobus scolaires, des universités, des bâtiments publics et des quartiers grouillant de monde. Ils ont massacré des centaines de personnes dans des attentats de ce genre et chaque jour, ils commettent de nouveaux massacres. Après chacun de ces massacres contre le peuple syrien, les dirigeants de l'AKP déclarent menaçant "Assad, ta fin est proche".

Le mouvement rebelle turc considère que le malaise de l'AKP devant l'attentat de Reyhanli trahit un "sentiment de culpabilité".


Et d'avertir que bientôt, les enquêteurs de l'AKP fabriqueront des "témoins anonymes" ou des "repentis" pour imputer leurs propres crimes à leurs ennemis intérieurs (l'opposition de gauche) et extérieurs (l'Etat syrien).


Cette fois, vu les mobilisations anti-gouvernementales faisant suite au massacre de Reyhanli, les "théories du complot" de l'AKP semblent de ne plus marcher.


Malgré son départ vers Washington, le retour de boomerang de l'attentat de Reyhanli s'annonce très douloureux pour Erdogan.


Source : Bahar Kimyongür pour Investig'Action.
Bahar Kimyongür est l'auteur de Syriana. La conquête continue.

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