vendredi 21 juin 2013

Afghanistan : la lâcheté et l’ingratitude occidentales

Il y aura bientôt douze ans, au lendemain des attentats meurtriers du 11 septembre 2001, les forces armées américaines intervenaient en Afghanistan et jetaient bas le régime taliban qui se refusait à livrer Oussama ben Laden, son ami, son héros et son hôte. Ainsi les États-Unis tiraient-ils une première vengeance du raid terroriste dont ils avaient été la cible et signifiaient-ils au monde entier qu’il n’y aurait ni asile, ni répit, ni pardon pour Al-Qaïda et ses protecteurs.

Deux ans plus tard, engagés dans une guerre dont ils n’avaient ni mesuré l’ampleur, ni prévu la durée, ni envisagé l’issue et où les avaient docilement suivis leurs alliés occidentaux, les États-Unis présidaient à l’installation d’un gouvernement dirigé par Hamid Karzai, encore aujourd’hui chef de l’État afghan, ou de ce qui en tient lieu.

Depuis le début de cette guerre qui n’ose pas plus dire son nom que celle d’Algérie, 4.000 soldats de la coalition dont 88 Français, 15.000 civils et 10.000 militaires afghans sont morts pour que les talibans (qui, de leur côté, ont enregistré 20.000 pertes) ne remettent pas la main sur l’Afghanistan. Des centaines de milliers d’Afghans, sous l’uniforme de l’armée ou de la police, parlementaires, gouverneurs de province, gardiens de prison, interprètes, enseignants, étudiants, fonctionnaires, commerçants, paysans, se sont plus ou moins affichés et compromis aux côtés de libérateurs en qui une fraction indéterminée de la population, en tout cas les talibans et leurs partisans, ne voit que des étrangers, des occupants et des infidèles.
Ces gens, qu’ils aient souhaité agir pour la démocratisation et la modernisation de leur pays, qu’ils aient été motivés par l’ambition ou la cupidité, qu’ils aient cédé à la nécessité, qu’ils aient été le jouet des circonstances, croyaient pouvoir se fier à la parole et au soutien de la première puissance du monde. La défaite (impossible sur le papier), le retrait (en revanche déjà programmé) de celle-ci, et le retour plus que probable des vaincus de 2001 les livreraient à des représailles vraisemblablement aussi atroces que massives.

Or, on apprenait mardi dernier que les talibans venaient d’ouvrir à Doha, capitale du Qatar – notre ami, notre allié et également celui de Washington -, une agence de « l’émirat islamique d’Afghanistan » (telle est l’appellation officielle de l’État taliban).
Deux jours plus tard, par le biais d’indiscrétions savamment distillées, on apprenait que M. James Dobbins, chargé au Département d’État de suivre le dossier AfPak (Afghanistan-Pakistan), s’apprêtait à entamer des négociations directes avec ce bureau, soudain élevé au rang d’ambassade du terrorisme, court-circuitant ainsi et frappant du même coup d’illégitimité le gouvernement même que les États-Unis avaient mis en place et reconnaissaient depuis le début du siècle comme seul représentant de son pays.
Devant la protestation indignée et plus que compréhensible – quoi que l’on pense du personnage – d’Hamid Karzai, l’entrevue annoncée comme un ballon d’essai a aussitôt été remise.

Mais qui s’y tromperait, sauf à être aveugle et amnésique ? Le même processus est en marche, qu’a vécu le Sud-Viêt Nam en 1975, qu’a connu l’Algérie française à partir de 1959. Comme en leur temps le gouvernement « fantoche » de Saïgon, comme la minorité catholique, comme les sectes, comme les Méos, comme les pieds-noirs, comme les harkis, comme les Français musulmans fidèles, ceux des Afghans qui ont osé braver les talibans et se ranger aux côtés des Américains vont goûter les fruits amers de la lâcheté, de la déloyauté et de l’ingratitude occidentales. Même lorsqu’ils ont à leur tête un orateur chaleureux, les États sont décidément des monstres froids.


Dominique
Jamet
Journaliste et écrivain.
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.
Cliquez pour acheter

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire