vendredi 14 juin 2013

Annonce de l'Administration américaine sur une no fly zone

L'ancien directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) François Heisbourg, expert en affaires stratégiques et défense, revient sur le sens de la confirmation par Washington de l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien.

Washington déclare avoir désormais la preuve de l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien. Barack Obama prépare-t-il l'opinion publique à une intervention en Syrie ?
- Non. Lorsqu'Obama avait énoncé sa théorie du franchissement d'une ligne rouge en Syrie en août dernier, il avait précisé trois éléments.
Le premier : la nature des armes utilisées – des armes chimiques – et là, la ligne est franchie. Le deuxième : le camp qui utiliserait ces armes – c'est-à-dire Bachar al-Assad – et, là encore, on est dans le cas d'une ligne franchie. Le troisième : la quantité de substance utilisée – Obama avait évoqué une "quantité significative" – or, aujourd'hui, la Maison Blanche évoque une utilisation en faible quantité qui aurait entraîné la mort de 100 à 150 personnes, c'est-à-dire peu en rapport des 93.000 victimes de la guerre en cours. Dans ce troisième cas, on n'est donc pas dans la situation d'un dépassement des limites fixées par le président américain. Je ne vois pas Barack Obama refaire la guerre d'Irak sur cette base là. D'autant plus que l'opinion américaine, comme les opinions de l'ensemble des pays de l'Otan, est contre une intervention militaire. Les derniers sondages sont, de ce point de vue, éloquents.
A l'inverse, les Américains annoncent une aide militaire sans préciser quelle serait la nature de cette dernière. Du point de vue rhétorique, cela n'a pas beaucoup bougé sur ce thème là aux Etats-Unis…

Comment interpréter alors cette annonce de l'administration américaine ? Pourquoi maintenant ? Faut-il la rapprocher de la no-fly zone envisagée par la Maison Blanche selon les révélations du "Wall Street Journal" ?
- On peut, oui. D'autant que les Américains sont en train d'installer en Jordanie des Patriot et des avions F-16.
Mais, en fait, je ne vois pas grand-chose qui donnerait de la substance aux affirmations du "Wall Street Journal". D'autant qu'il ne faut pas oublier que, dans l'espace aérien syrien, il arrive que passent des avions qui ne sont pas syriens... Je pense, vous l'aurez compris, aux raids israéliens. Dans l'internationalisation du conflit, les acteurs sont nombreux. Et si le but est d'empêcher les avions israéliens de voler dans le ciel syrien, une no-fly zone est un excellent moyen d'y arriver! Les Américains pourraient d'ailleurs très bien, par ce biais, être en train d'assurer aux Russes, en amont de la conférence de Genève, qu'il n'y aura pas de nouveau raid israélien en Syrie.
C'est tordu. Certes. Mais dans cette guerre de Syrie, beaucoup de choses sont tordues… Je ne me hâterai donc pas de commenter des dispositions qui ne sont, pour le moment, pas du tout confirmées.

Justement, sur la difficile préparation de Genève 2, comment placer les dernières déclarations américaines ? Washington cherche-t-il à reprendre la main ? Ou, au contraire, à pousser à une annulation ?
- Une annulation du fait de Washington n'est pas impossible, mais j'aurais quand même du mal à voir l'intérêt américain dans une telle démarche. Tous les coups seraient alors permis : les Russes n'auraient plus aucune raison de restreindre leur appui au régime syrien, notamment concernant le déploiement des S-300. Je crois qu'on est sur un schéma où tout le monde tâtonne : les Russes reculent sur les S-300, les Européens lèvent l'embargo sur les armes mais ne souhaitent pas livrer, les Américains parlent d'aide militaire mais évitent d'en spécifier la nature. Tout ceci doit pousser à une très grande prudence. D'autant que la conférence de Genève est peut-être la dernière tentative d'une résolution politique d'une affaire très mal engagée : Bachar al-Assad n'est pas tombé et les djihadistes sont au centre de la rébellion – ce qui n'était pas le but que, nous, nous recherchions.

Concernant l'aide militaire, se tient justement ce vendredi une réunion de représentants "d'amis du peuple syrien" avec le chef du Conseil militaire de l'Armée libre syrienne. Les aides militaires occidentales vont-elles augmenter ?
- Je pense que, pour l'instant, il va y avoir deux attitudes de la part des Britanniques et autres alliés de la rébellion syrienne. Dans la pratique, premièrement il ne se passera rien avant la réunion de Genève. Deuxièmement, il ne se passera rien non plus tant que la rébellion ne sera pas unifiée sous une direction qui ne soit pas djihadiste. Ces deux conditions ne sont pas pour le moment réunies.

Quand vous dites "rien" c'est "rien officiellement" ou "rien du tout" ?
- Rien du tout. Imaginez qu'une arme traçable "origine France" ou "origine Royaume-Uni" se retrouve dans les abords d'un aéroport international au-dessus duquel vient d'être abattu un avion de British Airways ou Air France. A votre avis, qu'arrivait-il au gouvernement du pays d'origine de cette arme ? François Hollande, lorsqu'il a reculé sur le sujet, ne l'a pas fait de façon légère. On parle désormais de 270 djihadistes en Syrie. C'est beaucoup. Et ceux qui survivront seront aguerris, entraînés et équipés.

Quant à fournir des armes qui ne seraient pas traçables ?
- Vous pouvez toujours acheter des armes d'origine russes, biélorusses ou que sais-je encore… et les faire acheminer. C'est d'ailleurs ce qui a été fait jusqu'à présent pour les armes offertes par le Qatar ou l'Arabie saoudite. Ca se fait. Mais je ne pense pas que la France et la Grande-Bretagne aient financé pour le moment de telles livraisons ni même qu'ils le fassent dans un avenir proche. Car aujourd'hui, ceux qui sont armés jusqu'aux dents, ce sont les djihadistes. Et l'espoir de garder un contrôle sur les destinataires réels des armes ou leurs sort ultérieur est tout à fait vain.
Propos recueillis par Céline Lussato vendredi 14 juin 2013


 

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