samedi 24 septembre 2011

Russie : Poutine se représente aux élections


C’est la fin d’un suspens qui tenait en haleine les médias et la population russes depuis des mois. Lors du Congrès du Parti du pouvoir, le président Dmitri Medvedev vient d’annoncerqu’il ne se représenterait pas au poste suprême comme il en a le droit (deux mandats consécutifs sont autorisés). Il a proposé que son mentor, Vladimir Poutine, qui a déjà été deux fois chef de l’Etat, soit de nouveau candidat à l’élection présidentielle russe prévue en mars prochain.
Pourquoi s’efface-t-il ainsi, alors qu’à la fin du printemps il avait fait savoir qu’il aimerait conserver son poste ?
C’est qu’il n’a pas le choix. Il sait que, puisque Poutine a décidé de revenir au Kremlin, il n’a pas les moyens de l’en empêcher. Il n’a pas bâti un réseau de soutien suffisamment important, dans l’élite et dans le parti Russie Unie. Il n’est pas assez populaire dans le pays, sauf à Moscou où les sondages le placent devant Poutine (ce que celui-ci n’a pas dû apprécier).
Du coup, la principale question est : pourquoi Vladimir Poutine, qui, à plusieurs reprise, a dit que la charge de président lui avait pesé et qu’il souhaitait mener une vie "normale", a-t-il décidé de revenir au Kremlin au risque d’apparaître aux yeux du monde comme un Chavez russe et d’inquiéter bon nombre de ses compatriotes ?
A l’évidence, Poutine considère que les orientations de son ex-protégé étaient contraires aux intérêts de son clan et le mettaient en danger.

1/ Le jeune président était le plus sévère critique du système (et donc de l’homme) qu’il servait depuis onze ans. Il n’avait pas de mots assez durs contre la corruption qui gangrène le pays et la stagnation à la Brejnev qui menace de faire reculer la Russie au rang de république bananière.
2/ Medvedev avait exigé que les ministres renoncent à leurs sièges dans des conseils d’administration (et aux émoluments associés…). Cette décision affectait les finances et le pouvoir du clan au pouvoir dont une bonne partie lui avait, du coup, déclaré la guerre.
3/ Même si beaucoup doutaient de sa volonté réelle, le président russe a commencé à mener une bataille frontale contre la corruption, notamment dans la police et l’armée, deux piliers du régime. Il semblait même prêt à s’attaquer au saint des saints : le FSB (l’ex-KGB). En juin dernier, il s’est déclaré favorable à une enquête élargie sur la mort de Sergeï Magnitski, alors même que le Département d’Etat a interdit de séjour aux Etats-Unis une soixantaine d’officiels russes impliqués dans cette affaire. En prenant cette position dure, Medvedev s’est ouvertement désolidarisé du clan ou du moins de la partie la plus criminelle du groupe au pouvoir.
4/ Lui-même blogueur, Medvedev a maintenu la liberté totale sur internet, dont un nombre croissant de sites sont extrêmement critiques à l’égard de la camarilla qui dirige le pays depuis onze ans. Au moment des révolutions arabes, des proches de Poutine avaient, par peur de la contagion, demandé publiquement une censure de la toile russe. Medvedev avait refusé. Le retour de "VVP" (le surnom de Vladimir Vladimirovitch Poutine) au pouvoir n’annonce rien de bon en la matière.
5/ Medvedev était clairement le favori de l’Occident. Sarkozy et Obama ne cachaient pas qu’ils souhaitaient traiter avec lui plutôt qu’avec le "leader national" russe. Le vice-président américain Biden était même venu le dire à Poutine cet été. C’était une grossière erreur tactique. Si Poutine hésitait encore, cette intrusion manifeste des Américains dans ses affaires l’a évidemment convaincu de se présenter !
6/ Medvedev a fait des choix diplomatiques stratégiques qui ont rapproché la diplomatie russe de celle de l’Occident. Il a accepté de nouvelles sanctions contre l’Iran et refusé de livrer à Téhéran des missiles anti-aériens très performants ; au Conseil de Sécurité, il n’a pas mis son véto à la résolution autorisant des frappes contre les forces de Kadhafi. Poutine avait critiqué publiquement, et c’était une première, cette décision. Une partie de l’élite russe considère aujourd’hui que les Occidentaux ont outrepassé le mandat de l’ONU et que donc Medvedev s’est fait rouler dans la farine, notamment par la France. Cette élite-là (les "hommes à épaulettes") souhaite revenir en arrière et reprendre son business avec ces régimes condamnés par l’Occident.
7/ Afin de mettre un terme à une longue période d’hésitation, Poutine veut faire savoir aux Russes et au monde que son clan dirigera le pays pendant très longtemps encore.Comme le mandat du président russe a été allongé de quatre à six ans, le "leader national" va donc rester au Kremlin jusqu’en 2024 ! Douze années pendant lesquelles ses hommes liges pourront continuer à s’enrichir tranquillement. A moins qu’une telle perspective n’effraie ou ne dégoute à ce point les Russes qu’un jour ils ne le chassent dans la rue.
Vincent Jauvert - Le Nouvel Observateur

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