mercredi 21 septembre 2011

Un plan B pour la Jordanie ?


Le roi de Jordanie, Abdallah II, a fait un discours, le 11 septembre, dans lequel il a évoqué la guerre civile jordanienne de 1970, pour la toute première fois. « Il n’y a aucun autre problème aussi embarrassant dont nous puissions débattre, mais, s’il y a quelqu’un qui souhaite discuter des incidents de 1970, c’est une partie de l’histoire, et nous devons penser à l’avenir et non au passé »…
Commentant les craintes de la minorité bédouine de Jordanie – qui constitue la colonne vertébrale de l’armée du roi et la classe protégée – que la Jordanie ne devienne la patrie majoritaire palestinienne – un plan surnommé « la patrie alternative » par les medias locaux – le roi a déclaré : « Je souhaiterais assurer à quiconque que la Jordanie n deviendra pas le pays de substitution de qui que ce soit. Est-il seulement logique que la Jordanie devienne une alternative pour quiconque et que nous restions les bras croisés à ne rien faire ? Nous disposons d’une armée et nous sommes déterminés à nous battre pour notre pays et l’avenir de la Jordanie, et nous avons le devoir de parler vigoureusement et de ne jamais permettre  cette idée de subsister dans l’esprit de quelques-uns parmi nous… Nous avons déjà combattu Israël de nombreuses fois ».
“La Jordanie et la future Palestine”, a t-il ajouté, “sont bien plus forts qu’Israël aujourd’hui ; celui qui est effrayé, c’est l’Israélien… Lorsque j’étais aux Etats-Unis, j’ai parlé à un intellectuel israélien ; Il m’a dit que ce qui est en train de se passer dans les pays arabes actuellement est dans l’intérêt d’Israël. Je lui ai répondu : « Je pense que c’est tout le contraire : votre situation actuelle est bien plus difficile qu’auparavant ».
Le roi Abdallah a, également, fait mention du besoin de répondre au problème de “l’identité nationale” en Jordanie – une proposition qui s’associe avec l’idée d’isoler les Palestiniens qui représentent 80% de la population- en faveur de la minorité bédouine, pour laquelle il instaurerait une Jordanie se définissant comme un Etat purement bédouin : « Nous devons affirmer d’une voix forte l’identité jordanienne », déclare t-il, « et plus encore, que l’unité nationale est une ligne rouge ». En d’autres termes, le roi soutient ouvertement le propos visant à imposer une identité bédouine au pays, tout en interdisant toute « unité » avec les Palestiniens, dans le même temps – un concept qu’il a, auparavant, dénoncé.
Le roi, au cours de son allocution, utilisait un vieux subterfuge politique arabe pour faire passer la pilule amère de quelque chose de désagréable à dire au public – rappelant aux Palestiniens la guerre civile lors de laquelle ils se sont faits massacrer – et puis, dans la même phrase, laisser entendre la menace diffuse d’un nouveau massacre en ajoutant qu’il épargnerait les Palestiniens aussi longtemps qu’ils acceptent la situation comme telle, là où ils sont considérés comme citoyen, mais toujours traités comme des réfugiés et une population de seconde zone, quoi qu’il advienne.
Bien qu’il soit banal, pour les régimes arabes, qui restent pro-occidentaux, de parler avec dureté des Etats-Unis et d’Israël de temps en tems – de façon à rallier leur peuple derrière eux en adressant des menaces vides de sens à ces cibles faciles, et, du même coup, détourner la colère contre leurs propres régimes répressifs vers d’autres pays – cette fois, le contexte était différent : le discours du roi, diffusé par la télévision nationale jordanienne, est intervenu deux jours après que Wikileaks ne publie plusieurs câbles en provenance de l’Ambassade des Etats-Unis à Amman, qui révélaient les témoignages de plusieurs responsables palestino-jordaniens qui se plaignaient à des officiels de l’Ambassade de la discrimination subie par les Palestiniens en Jordanie.
Un câble, intitulé: “ »Le Grand Marchandage, » mentionnait la conviction d’un dirigeant politique palestinien, pour qui le « droit au retour » est infaisable – signifiant la volonté des Palestiniens d’accepter un leiu de résidence permanent en Jordanie – plutôt que d’espérer retourner en Israël, comme on a continuellement voulu le promettre aux réfugiés et à cinq générations de leurs descendants – en échange de l’obtention de pleins droits civiques en Jordanie.
Les medias jordaniens, contrôlés par le Gouvernement, ont exprimé leur colère à l’Ambassade américaine – au point de diffuser des appels à protester aussi bien devant les Ambassades américaine qu’Israélienne à Amman, qu’ils ont surnommé « la ruche de l’espionnage ».
Les propos du roi ont résonné de façon provocatrice et terrorisante aux oreilles des Palestiniens de Jordanie, qui sont déjà discriminés par le régime Hachémite et privés de leurs droits politiques. Par exemple, la ville de Kerak, dominée par les Bédouins, dans le sud jordanien, dispose de dix sièges parlementaires pour moins de 150 000 votants, alors qu’Amman, dominée par les Palestiniens, a, tout au plus, vingt sièges parlementaires pour trois millions d’électeurs.
Ce qui a fait problème, de manière particulièrement menaçante, c’est la façon dont les Bédouins de Jordanie semblent avoir interprété les remarques du roi. La déclaration du roi, par exemple, selon laquelle il ne « se sentirait pas gêné d’évoquer n’importe quel sujet, y compris celui de la guerre civile », semble avoir été compris par l’armée bédouine comme une autorisation à déferler dans les rues et à prendre les Palestiniens pour cible.
 Des commentaires sur les sites de réseaux sociaux comme Facebook, sont apparus, véhiculant des messages dérangeants d’incitation : les Bédouins jordaniens ont commencé à appeler à la violence autant contre Israël que la majorité palestinienne. L’un des internautes disait sur Facebook : « Nous allons offrir aux Palestiniens un nouveau « Septembre Noir », l’autre affirmait : « Cette fois-ci, il sera « rouge » -sang-« , encore un autre : « Ces Palestiniens sont pires que les Juifs. Jusqu’à présent, je n’arrivais pas à faire la différence. Nous marcherons ensemble pour les ficher dehors (les chasser de Jordanie] et nous détruirons l’Ambassade israélienne ». Et puis un autre encore : « Ok, les mecs, vous, vous les tuerez, et vous me laisserez les poulettes ; je violerai leurs petites filles ». Alors que ce sentiment anti-palestinien n’a rien de nouveau en Jordanie, après le discours du roi, il a atteint de nouvelles extrémités.
Tout se passe comme si le roi menaçait Israël de déclarer une guerre et les Palestiniens de Jordanie, de lancer une guerre civile contre eux. Cette mise en garde diffuse s’est traduite en manifestations : l’une contre l’Ambassade américaine à Amman, le 15 septembre, et une contre l’ambassade israélienne vendredi 16 septembre. C’est Nahib Hattar, un écrivain chrétien bédouin, qui a appelé aux deux rassemblements et les a organisé, a harangué la foule à expulser les Palestiniens hors de Jordanie et a ouvertement revendiqué sa relation étroite à l’ancien chef du Département jordanien du renseignement, quand ce dernier occupait ce poste.
Le Ministère israélien des affaires étrangères a fait évacuer son ambassadeur et son équipe de l’Ambassade, à la suite de l’appel à manifestation. Plusieurs dirigeants des camps de réfugiés palestiniens ont affirmé avoir donné des instructions à leurs jeunes de ne participer en aucun cas aux manifestations contre les deux ambassades ; du coup, le taux de participation aux deux évènements s’est avéré très bas. La TV Al-Jazeera a rapporté la présence de dix manifestants des Frères Musulmans devant l’Ambassade américaine, le 15 septembre, alors que le Washington Post évoquait la présence de deux cents manifestants seulement attendus face à l’Ambassade israélienne, le 16 septembre. Il est vraiment trop tôt pour déterminer, à partir de là, que cela constituerait un signe que les Palestiniens des camps de réfugiés en Jordanie aurait mûri, quant à leur perception d’Israël.
L’auteur [de cet article] a reçu des rapports émanant des dirigeants des camps palestiniens, qui prétendent que le gouvernement était en train d’armer les tribus bédouines jordaniennes, et leur fournissait des mitrailleuses lourdes sorties des arsenaux – renforçant les présomptions liées à l’incitation anti-palestiniennes. Ces rapports, qu’ils soient fondés ou non, indiquent à quel point la situation est volatile. Les responsables israéliens ont fait état de la même fragilité, quand ils ont fait mention   ont fait mention du fait que « la Jordanie est un Etat extrêmement précaire et se trouve effectivement suspendue à un fil ».
Les menaces du roi Abdallah d’utiliser son armée pour déclencher un conflit avec Israël sont plus que creuses. Bien qu’il réalise certainement qu’il ne serait pas en mesure de s’imposer contre Israël par la force, tout son grand-père et son père l’ont essayé en 1947 et 1967, il est possible qu’il pense être en meilleure posture qu’il y a, à peine, quelques mois, depuis qu’Israël a perdu des alliés substantiels en Egypte et en Turquie, et que, par conséquent, Israël se sente plus isolé, ou qu’il considère son amitié avec la Jordanie comme plus rare et précieuse que jamais. Ou peut-être que le roi pense qu’il uli reste une carte démographique palestinienne à jouer contre Israël, dans l’accent qu’il met, de manière répétitive, sur « le droit au retour » pour ses Palestiniens, comme il l’a encore révélé dans une interview sur la Chaîne 2 israélienne, lorsqu’il a déclaré qu’Israël n’avait pas d’avenir évident, à cause du « défi » démographique.
Le roi Abdallah a également mis cette pression démographique sur Israël, en menace de le surpasser en nombre d’Arabes, en dépouillant ses Palestiniens de leur nationalité et en leur ordonnant de « rentrer en Palestine », c’est-à-dire en Israël, dans ce qu’Human Rights Watch a décrit comme ‘un ton inhabituel et aléatoire. Human Rights Watch a décrit cette destitution des Palestiniens de leur nationalité comme si « la Jordanie jouait avec les droits élémentaires de ses citoyens pour des motifs politiques ». La liste des victimes de cette politique anti-palestinienne comprend des chirurgiens, des universitaires, des enfats scolariés et des femmes au foyer. Selon deux rapports d’HRW, les Palestiniens qui ne sont jamais allés en Israël, se sont retrouvés sans nationalité jordanienne, et, bien souvent, sans aucune nationalité d’aucune sorte.
La situation du roi Abdallah pourrait servir d’aide-mémoire rappelant que le statuquo de la Jordanie n’est pas forcément tenable. Quoi que certains n’aiment pas l’entendre, et que d’autres voudraient pouvoir souhaiter que les choses resteront toujours ainsi, alors que le Printemps Arabe a balayé des régimes bien plus solides, tels que l’Egypte d’Hosni Moubarak, ce serait prendre ses désirs pour des réalités que de prétendre que la Jordanie restera telle qu’elle est actuellement.
Il n’est pas certain que le régime du roi Abdallah sera capable de survivre à une révolte de la majorité insatisfaite et colérique palestinienne, qui pourrait éclater un jour ou l’autre ; ou, éventuellement, une révolte émanant des Bédouins lourdement armés, qui semblent avoir récemment acquis une forme de désamour vis-à-vis du roi occidentalisé, et qui diffusent des déclarations publiques à son encontre, depuis plus d’un an.
Au cas où Abdallah était, demain, renversé, les Etats-Unis ont-ils dans leur manche quelqu’un qui soit prêt à parler avec les Palestiniens non-islamistes de Jordanie, qui ont domnié par leur nombre les manifestations favorables aux réformes, telles que celles du Mouvement du 24 mars ? Ou les Etats-Unis se contenteront-ils d’accepter que des Bédouins anti-américains et des Palestiniens prennent le pouvoir en Jordanie ?
Il pourrait bien être grand temps de commencer, au moins, à envisage un Plan B pour la Jordanie – juste au cas où..



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