Depuis la parution dans la presse des « fuites » du Rapport Palmer pour l’ONU, Erdogan ne décolère pas contre Israël. Il annonce un chapelet de mesures de rétorsion, jusqu’à ce qu’on lui cède sur le droit maritime international. Lorsqu’il déclame que ses navires de guerre accompagneront, désormais, les flottilles pour Gaza, on frôle le Casus Beli dès, si et quand il ordonnerait à sa flotte de passer à l’acte…
Cependant, la stratégie turque d’hostilités ouvertes ne s’arrête pas là. Elle s’accompagne déjà d’opérations sous couverture. C’est ce qu’a permis de mettre à jour l’arrestation de plusieurs cellules terroristes du Hamas en Judée-Samarie : si Ankara n’est pas directement impliquée dans le parrainage de ces groupes précis, ils étaient indirectement liés, via des messagers, à un Centre de Commandement du Hamas en Turquie. Ce quartier-général clandestin du mouvement islamiste, bénéficie des bonnes grâces d’antennes comme l’IHH. Il recrute, depuis Ankara, des Jihadistes pour la confrontation avec Israël. Il se finance et s’équipe par le biais de sociétés de blanchiment d’argent en Asie, jusqu’en Chine. A y regarder de près, Erdogan convoite donc le rôle d’ordonnateur des groupes terroristes palestiniens, jusque-là détenu par Bachar Al-Assad.
Erdogan a choisi de franchir le pas dans l’escalade d’exhibition de muscles. Il s’apprête à signer un ensemble de traités de coopération stratégique avec l’Egypte. Ils prendront forme par des exercices maritimes conjoints en Méditerranée. Il s’agit, ni plus ni moins, que de court-circuiter les accords déjà actifs, entre Israël, la Grèce, Chypre, la Roumanie et plusieurs autres Etats du Sud de l’Europe. Or, le vieux continent est dans une crise économique et monétaire noire, qui se focalise, précisément, sur Athènes…
La menace vise le pétrole et le gaz découvert par Israël en Méditerranée et les récents redécoupages de zones économiques exclusives, avec Chypre, notamment. Erdogan veut étendre son « rêve ottoman » par la mer, bénéficier d’une escale en Egypte, et cogérer la Méditerranée, Gaza et le Sinaï par l’entremise du pouvoir militaire au Caire. Le moment est d’autant mieux choisi que Jérusalem minimise les dégâts provoqués dans sa dissuasion militaire, à la suite des attentats terroristes d’Eilat, à la faveur du désordre sinaïtique.
Surtout, ce discours de piratage des ressources et limites navales coïncide avec celui d’Hassan Nasrallah, le 26 juillet. Le maître de Beyrouth menaçait Israël des foudres du Hezbollah, si jamais Jérusalem se lance dans l’exploitation des ressources naturelles au large de ses côtes. Or, actuellement, le mouvement chi’ite est fortement déstabilisé par les déboires intérieurs d’Assad. Tant que le dictateur damascène ne parvient pas à juguler l’insurrection, il n’a d’autre alternative que… d’attendre et de voir, tout en vociférant de temps en temps.
Si l’agitation se poursuit en Syrie, la posture velléitaire d’Erdogan, peut, temporairement, offrir une porte de sortie, au Secrétaire-Général du Hezbollah : l’alliance de circonstance consisterait à nuire au statut régional de puissance pétrolière et gazière que vise Israël. Et, d’autre part, elle mettrait entre parenthèses les désaccords profonds entre la Turquie, l’Iran et donc le Hezbollah, à propos de la tournure des évènements en Syrie.
Cette perspective donnerait de la consistance aux menaces d’Erdogan, lorsqu’il affirme qu’il s’apprête à détourner le « Printemps Arabe » contre l’Etat Juif. Seules, les forces pro-iraniennes, n’y parviennent pas, à l’heure qu’il est, à cause de leur double-langage, dès qu’il s’agit d’Assad. Les Turcs ont toute latitude sur les chefs de la majorité sunnite à Alep et le territoire du nord syrien. Ils peuvent proposer, aux forces antagonistes de Damas, Téhéran et Beyrouth, un règlement progressif de la situation, en usant de leur influence sur la rue syrienne. Ces forces ont d’ailleurs en commun le désir d’écrasement de la minorité kurde, inégalement répartie sur leurs différents territoires : en Iran, Irak, Syrie et Sud-Est de la Turquie.
Erdogan peut mettre dans la balance de cette « négociation », un apaisement des tensions entre influences turque et perse. Il dispose de leviers d’influence sur au moins un grand pays arabe, en plus de son poids en Syrie : l’Egypte. L’Iran, au-delà du problème syrien, est directement confronté à la digue que met sur pied l’Arabie Saoudite, avec la fédération des pays du Golfe. Ankara, de son côté, tente une percée capable de déstabiliser Israël et la Jordanie, par le Caire interposé.
La manœuvre est périlleuse et se joue sur le moyen terme. Mais elle minorise l’influence de l’empire sunnite concurrent, à savoir la couronne wahhabite, tout en creusant une brèche par le Sud. L’aspirant champion régional peut ainsi instrumentaliser la question du blocus de Gaza, et, par ce biais, mettre sous hypothèque l’ensemble de la « Cause palestinienne ». Abbas est d’autant plus faible que les pays arabes sont occupés ailleurs, à mâter la rue au Bahrein, au Yémen et à consolider le pouvoir du petit roi de Jordanie, face aux islamistes partisans du Hamas. La fuite en avant dans la déclaration unilatérale n’est qu’une péripétie juridique, dans la recomposition des forces, sur le plan régional.
L’Egypte n’est pas seulement une puissance militaire, grâce aux dollars et aux technologies américaines, elle détient aussi le poste-clé du Secrétariat Général de la Ligue Arabe, grâce à Nabil Elarabi, dont la rhétorique anti-israélienne n’est un secret pour personne.
De diatribes en mesure provocatrices successives, venues de Turquie ou d’Egypte, Erdogan peut mettre en demeure les royaumes sunnites de s’aligner, bon gré mal gré sur ces objectifs de harcèlement d’Israël et la terminologie guerrière qui les accompagne… ou de se taire et de renoncer à peser au Moyen-Orient.
Une grande inconnue reste la position de l’OTAN, qui n’est pas encore sortie de la crise libyenne, même si Kadhafi est, désormais hors-circuit. Les Etats-Unis veulent conserver la Turquie dans leur giron et sont prêts à bien des compromissions pour éviter qu’Ankara poursuive sa percée solitaire.
Y compris au sein du leadership israélien, la position à adopter n’est pas tranchée. La petite musique de la crise « passagère » continue de répandre sa cacophonie. Les prises de parole divergentes entre Ehud Barak, et son bras droit, Amos Guilead, face à Moshé « Boogie » Ya’alon et Avigdor Lieberman, ont des répercussions directes sur la façon d’envisager l’avenir de ces relations pour le moins, « troublées », depuis l’accession au pouvoir de l’AKP. Quoi qu’il en soit, on ne pourra longtemps rester la tête dans le sable, au vu du cumul des options de nuisance mobilisées par Erdogan. Il se sent en mesure d’être le grand bénéficiaire du « Printemps arabe » et de prendre le pas sur l’Iran, au débotté de la crise syrienne. Le premier à lui répliquer est le Ministre israélien des Affaires étrangères : au menu, la promotion de la reconnaissance du Génocide arménien au Congrès US, le renforcement de la coopération avec les minorités kurdes et l’Europe du Sud.
Erdogan ou Ahmadinedjad, chacun, selon son rêve panchi’ite perse ou pansunnite turc, tente de s’accaparer le total contrôle de cet environnement hostile. Depuis Davos 2009, croire qu’une fois un tel processus engagé, il s’arrêtera sagement de lui-même, par l’entremise d’un Oncle Sam déclinant, offre à Erdogan l’assurance de conserver un coup d’avance.
Par Marc Brzustowski
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