mardi 26 mars 2013

La guerre du Zoulouland (1879)


guerriers zoulous
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, l’empire britannique était implanté en Afrique Australe, et à l’origine plus particulièrement au Cap, récupéré sur les hollandais à l’occasion des guerres napoléoniennes. Au nord de la nouvelle colonie du Cap se trouvaient des régions colonisées depuis déjà longtemps par des émigrants hollandais, protestants, et d’ailleurs profondément biblistes, bien connus sous le nom de « Boers ».
Dans les années 1840, les Boers, population d’agriculteurs, ressentirent à ce point la pression des anglais s’installant de plus en plus, qu’ils quittèrent la pointe australe, et commencèrent à remonter vers le Nord-Est au cours de ce qui fut connu sous le nom de « grand Trek ». Cette migration, qui resta dans l’esprit collectif de ces gens comme une sorte de nouvelle fuite d’Egypte (toujours l’imprégnation bibliste) les amena géographiquement jusqu’aux rivières Tugela et Blood river (la bien nommée …) et humainement au contact d’un peuple qui avait développé depuis les années 1807 une formidable puissance locale : les Zoulous. Le contact en question fut chaleureux, c’est le moins que l’on puisse dire, d’où par exemple le nom de la fameuse blood river, que nous verrons évidemment jouer un rôle lors la guerre de 1879.
Les boers ne faisaient pas que passer leur temps à lire la bible ; ils avaient aussi des fusils et savaient s’en servir, et ils avaient bien l’intention de protéger les femmes et les enfants. Ils développèrent rapidement, face au danger zoulou, une technique de protection efficace : le laager, cercle de chariots permettant de créer une zone défensive. En cela les Boers, comme les pionniers américains de la même époque, avaient été amenés à mettre au point avec les moyens du bord, en l’espèce leurs moyens de transports, une tactique de défense s’avérant tout à fait valable. L’habitude en resta en cas de souci ; elle fut conseillée aux officiers anglais en 1878/1879, entendue par Lord Chelmsford, mais pas mise en pratique pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons.
Au milieu des années 1870, l’empire britannique est en pleine période expansionniste. En Inde, les Anglais ont subi un épouvantable désastre en 1842. En Egypte, le contrôle du royaume est dorénavant acquis. La présence française est chassée de facto suite à la guerre de 70. A la suite d’un accord financier avec le Khédive, l’Angleterre prend en 1875 le contrôle du canal tout neuf, essentiel pour elle, puisqu’il permet de créer une liaison beaucoup plus rapide vers le Raj (l’empire des Indes) qu’en passant par le Cap. En Afrique du Sud, les Anglais remontent irrésistiblement vers le Nord.
D’Egypte vers le sud, du Cap vers le Nord : la route du Cap au Caire, permettant de contrôler à terme toute la façade orientale de l’Afrique face à l’océan indien entre dans les esprits de White Hall. L’objectif est fondamentalement géostratégique au sens le plus global et mondialisant du terme, comme quoi nous n’avons en réalité rien inventé. Mais deux obstacles vont se présenter rapidement. Au Soudan se développe à l’orée des années 1880 un phénomène étrange et encore très mal appréhendé, qui est à bien des points de vue l’ancêtre direct de l’islamisme moderne.
Au sud, au-delà des Boers alors quelque peu anesthésiés, se trouvent les zoulous et leur royaume, qui bloquent toute progression vers l’actuelle Tanzanie. Ces deux bouchons devront sauter, d’une manière ou d’une autre. Le reste sera une question de patience, de courage et de détermination. Le hasard y aura aussi sa part, puisque l’apparition imprévue des allemands en afrique orientale recréera un bouchon que seule la guerre de 14 permettra de faire sauter à son tour.
Au sud de l’Egypte, l’apparition brutale des armées mahdistes provoquera une situation de crise intense, dont l’apogée sera la mort de « Chinese » Gordon à Khartoum en 1884, et qui ne verra son terme qu’en 1897, lorsque Kitchener descendra le Nil à la tête de son armée anglo-égyptienne. Mais ceci est une autre histoire … Au nord de la colonie du Cap se trouvent trois territoires : les républiques boers d’Orange et du Transvaal, et le territoire du Natal, qui tombe pour sa part sous contrôle anglais à la fin des années 1870.Un lieutenant-gouverneur est nommé.
En Angleterre, les aléas de la politique amènent aux affaires Lord Carnavon en qualité de ministre des affaires étrangères (secretary of state), convaincu du bien-fondé de la politique d’expansion impériale. Il dépêche comme gouverneur général, au Cap, sir Henri Bartle Frere. Ce dernier, compétent et rassis, ayant oeuvré aux Indes, appelle à lui Frederick Thesinger, plus tard Lord Chelmsford, officier général d’expérience, ayant également servi aux Indes. Ces deux hommes vont sceller le sort du royaume zoulou et, bien involontairement, mettre en péril celui du gouvernement qui les a nommé … Le courage et l’efficacité des guerriers zoulous, dont l’organisation militaire et sociale est bien connue, ont parfois pu faire penser que les anglais avaient réagi face à ce qui pouvait sembler un danger.
Mais revenons un instant sur cette organisation, unique en son genre en Afrique. La société zoulou a été totalement militarisée entre 1807 et les années 1830 par un chef de guerre exceptionnel, Shaka. Shaka a littéralement « spartiatisé » le peuple de son royaume, dont la population pratique l’élevage et la chasse … puis la chasse à l’homme. Le peuple zoulou est constitué d’éléments sous le contrôle de barons locaux, à cette différence que les « indunas » sont nommés par le roi et révocables à merci. Cette population, regroupée dans des villages ou « kraals », est sur-militarisée. Les tranches d’âge sont scindées en fonction de leurs capacités militaires pour les hommes, et les femmes connaissent la même classification. Aucun jeune guerrier ne peut se marier s’il n’a pas d’abord tué un ennemi. Les mariages, qui sidèreront les missionnaires, sont des mariages de masse au cours desquels plusieurs centaines de combattants épousent les mères de leurs futurs … successeurs au combat.
Les hommes sont répartis par régiments, ou « impis », reconnaissables sur le champ de bataille par les couleurs des boucliers. Les régiments sont formés par tranche d’âge, les jeunes formant la seconde ligne de bataille et attendant l’ordre de charger en restant assis, le dos au combat, pour leur éviter le stress du combattant. Les indunas sont de véritables généraux, commandant chacun plusieurs impis. La tactique de bataille est d’une efficacité extrême, et se nomme « les cornes du bufle », équivalent zoulou des « ailes de la grue » des armées chinoises et japonaises médiévales : pendant que le centre bloque l’ennemi, les ailes prononcent très rapidement un mouvement enveloppant et l’encerclement se termine par l’anéantissement de l’adversaire.
Les zoulous ont détruit ou repoussé toutes les populations africaines qu’ils ont affronté. Seuls les Boers, à la Blood river, sont parvenus à stopper leur charge, s’attirant alors autant d’hostilité que de respect de la part des Indunas. Ces impis ne sont donc pas a priori à prendre à la légère, d’autant qu’ils représentent une masse de l’ordre de 40 000 hommes, et l’on comprendrait que le Haut-Gouverneur, à Pietermartizburg, en ait conçu une inquiétude légitime.
Les textes d’époque, rapports et correspondances, donnent pourtant une vision un peu différente. En effet, au-delà de l’intérêt géostratégique évident que j’ai évoqué, ce sera moins la puissance potentielle des impis zoulous qu’un comportement jugé complètement sauvage, et donc dangereux de ce fait, qui constituera essentiellement le cadre du discours britannique. En d’autres termes, face aux violences que les Zoulous font subir à leurs voisins, et accessoirement à leur propre peuple, l’empire se devra d’agir, dans le cadre d’une ingérence humanitaire. Pas de chance pour Bernard Kouchner, lui non plus n’a rien inventé … les Anglais, déjà dans les années 1870, lançaient des opérations de projection militaire dans le but de mettre fin à des gouvernements jugés illégitimes parce que immoraux.
J’évoque les rapports et correspondances : la lenteur des communications amènera aussi une situation aujourd’hui invraisemblable : Lord Carnavon, dans sa correspondance avec Sir Bartle Frere, sachant qu’il est toujours en retard de plusieurs semaines sur la situation du terrain, n’ose plus au bout d’un moment donner le moindre ordre politique. La situation va s’en ressentir pendant tout l’été et l’automne 1878 : Bartle Frere et Chelmsford, son bras armé, finissent par ressentir l’impression que c’est à eux de créer l’évènement. Pourtant Londres les met en garde, mais pas spécifiquement contre une intervention potentielle en zoulouland : la seconde guerre anglo-afghane est en gestation. Dans quelques mois, les colonnes expéditionnaires anglaises vont s’engager dans les passes de Kyber, d’où une situation endémique de crise internationale avec l’Empire russe. L’Angleterre ne désire pas a priori voir se créer deux crises simultanées sur deux continents différents, nécessitant la dispersion des forces dans des conditions de transports qui sont celles de l’époque.
Au cours de l’été 1878, Lord Chelmsford et son état-major commencent à préparer intensivement la concentration des unités nécessaires à l’opération d’invasion. Des demandes pressantes de renforts sont adressées au War Office, qui enverra deux bataillons en renfort. L’on fera appel à la fin de l’année à la marine : un navire fournira une brigade navale de 160 hommes. L’on fait aussi appel aux contingents locaux. Ils sont assez nombreux, mais d’effectifs réduits. Tous ne répondront pas à l’appel, et Lord Chelmsford aura fort à faire pour compléter une cavalerie trop peu nombreuse pour éclairer ses colonnes. Pourtant le danger zoulou n’est pas qu’une légende. Lorsque l’offensive anglaise apparaitra certaine, les Boers du Transvaal enverront un petit commando de 40 hommes, mais surtout armeront les milices frontalières, car eux savent à qui l’on va s’adresser. Les officiers impériaux, eux, l’ignorent presque totalement, ou sont intoxiqués par leur propre expérience africaine lors des guerres cafres. Ils envisagent certes la masse humaine que peuvent représenter plus de 20 000 guerriers et plus, mais n’en imaginent pas un seul instant, et la rapidité de déplacement, et surtout la capacité tactique.
Comment ces gens équipés de sagaies, si nombreux soient-ils, pourraient-ils constituer un danger réel pour une armée moderne ? Or, les impis zoulous, équipés de leurs boucliers et de leur « iklwa » qui est plus un glaive à la romaine qu’une sagaie, sont d’une rapidité de déplacement phénoménale : ces guerriers n’avancent au moins qu’au trot en pleine savane, et sont capables de parcourir près de 40 km par jour quand les lourdes colonnes anglaises, accompagnées de leurs chariots de ravitaillement, auront du mal à en faire six … Cette sous-estimation va amener des décisions tactiques fatales de découplage des colonnes impériales, se séparant au lieu de rester groupées.
Pourtant Lord Chelmsford et ses officiers ne sont pas des imbéciles. Ils prennent des renseignements, étudient pendant plusieurs mois ce que l’on sait de l’armée zouloue, et prennent leurs dispositions en conséquence, a priori. Il est donc décidé d’envahir le Zoulouland selon trois axes de progression. Cependant que deux colonnes latérales entreront dans le territoire, chacune forte de près de 2 000 hommes, Chelmsford s’engagera avec une colonne centrale de près de 2 500 hommes au coeur du Zoulouland.
Lord Chelmsford a trop confiance en ses fusiliers et ses canons. Il disperse son armée d’invasion et, pire, va disloquer volontairement sa propre colonne. Fondamentalement, si l’on reprend à tête reposée les évènements qui vont amener à la bataille d’Isandhlwana, l’on constate tout simplement … la supériorité tactique des Indunas zoulous sur le général anglais. Le nombre et la détermination fera le reste. Un Induna, après la guerre, dira : « à Isandhlwana, vous nous avez donné la bataille, vous vous êtes séparés par paquets ».
Divine surprise pour le commandement zoulou, qui va alors attaquer du très fort au très faible, mais n’épiloguons pas !
Contre l’avis du lieutenant-gouverneur Bulwer, au Natal, qui refuse toute mise en défense du territoire et veut éviter à tout prix des prises de position que les zoulous pourraient juger hostiles, Sir Bartle Frere et Lord Chelmsford vont de l’avant. Fin décembre 1878, Bartle Frere envoie un premier ultimatum au roi Cetshwayo, suite à une violation au demeurant mineure de la frontière du Natal, dans le cadre d’un règlement de compte au sein du Kraal de l’Induna Sihayo. Début janvier, le pas est franchi par un second et dernier ultimatum, dont les termes sont simples : l’armée zouloue doit être démobilisée. Autant briser net l’armature sociale du royaume. Cetshwayo ne répond même pas. Il avait réagi fort intelligemment au premier mémorandum anglais en faisant remarquer qu’il était curieux de vouloir de l’extérieur lui imposer ses méthodes de gouvernement. Avec un grand sens de l’à propos, le roi zoulou avait demandé pour quelle raison lui-même irait à Londres dire à la reine Victoria comment gouverner ses peuples. Il a aussi réagi en mobilisant les impis, et il n’a pas eu tort…
L’ultimatum était clair : sans réponse positive le 12 janvier, les hostilités étaient déclarées. Les trois colonnes d’invasion s’ébranlent. Chelmsford, en quelque sorte, est en train d’enserrer la totalité du royaume en pratiquant la tactique zouloue des cornes et du poitrail. La différence majeure est que ses cornes sont si éloignées qu’en aucun cas elles ne pourront soutenir son poitrail, la colonne centrale qu’il commande personnellement, avec directement sous ses ordres le colonel Glynn et le lieutenant-colonel Pulleyne. En théorie, tout est prévu, puisque deux colonnes supplémentaires ont été créées, l’une pour protéger les abords du Transvaal, et l’autre, sous le commandement du colonel Durnford, formée de cavaliers, a pour rôle de protéger le Natal et accessoirement les arrières de la colonne centrale. L’ensemble du dispositif regroupe plus de 14 000 hommes. Si cette masse de combattants, avec son artillerie, s’était trouvée en un seul lieu et un seul moment face aux impis, la messe eut été sans doute rapidement dite pour les zoulous.
Mais Chelmsford et ses officiers ont voulu trop bien faire, parce qu’ils voulaient aussi protéger les territoires frontaliers. Le 20 janvier, depuis la mission de Rorke’s Drift, la colonne principale traverse la Tugela et entre en Zoulouland. Des combats périphériques sont menés vers le kraal de Sihayo, déserté de ses combattants. L’absence de ces derniers n’attire pas l’attention de l’état-major anglais. Dans la matinée du 21, la colonne prend position, une excellente position en soi, au pied du fantastique Kopje d’Isandhlwana.
Il se prête aussi parfaitement au déploiement d’un camp militaire composé d’environ 2 500 combattants, et de plus de 300 chariots. Dans la foulée, des unités du Natal Native Corps sont poussées plus loin vers le nord. Elles vont rencontrer des zoulous épars mais combatifs. Leurs commandants vont en prévenir Lord Chelmsford, qui décidera alors de partir les soutenir avec la moitié des unités dont il dispose à Isandhlwana. La batterie d’artillerie qui l’accompagne est scindée en deux unités : quatre canons suivent, deux restent au camp.
Chelmsford fait aussi parvenir l’ordre au colonel Durnford, à Rorke’s drift, de venir conforter la position d’Isandhlwana avec ses cavaliers. L’opération est « en tiroir » et bien conçue en soi, mais le problème fondamental est que, depuis trois jours, le général anglais n’a plus aucune visibilité quant au déploiement des impis zoulous. Plus aucune information ne lui est parvenue depuis celle lui indiquant un regroupement général des zoulous en direction d’Ulundi, le kraal royal. Le drame sera court. Tout s’est passé, selon les témoignages des officiers anglais, entre 10h00 du matin et 15h00. Dans ce laps de temps, l’armée de la reine va connaître l’un de ses plus grands désastres, et aussi l’un de ses plus grands combats.
Des années plus tard, des survivants zoulous se souviendront encore avec émotion, de combattant à combattant, du courage formidable des casques blancs, qui se feront tuer sur place pour la plupart. Il y aura des tentatives de repli, mais pas d’effet de panique des malheureux fantassins totalement surclassés, et massacrés comme « effacés de la surface de la terre » par la charge zouloue. Mais nous sommes en début de matinée, et Lord Chelmsford rejoint le colonel Glynn, qui s’avance vers le nord.
Au pied du kopje d’isandhlawana restent en position d’attente, sous les ordres du lieutenant-colonel Pulleine, 5 compagnies du 1er bataillon et une compagnie du 2ème bataillon du 24th, deux pièces d’artillerie, des unités du NNC. Des centaines de chariots sont là aussi, avec leurs conducteurs boers. C’est toute la logistique de la colonne centrale d’invasion du Zoulouland. La logique, et l’intelligence des expériences boers voudraient que l’on fasse de ces chariots un énorme laager. Mais c’est impossible pour plusieurs raisons : d’abord la colonne et ses éléments en projection se veulent en mouvement : le temps de positionner un laager de près de 300 chariots représenterait une perte de temps inacceptable. Ensuite, l’ennemi ne semble pas à proximité. Pas à proximité …
Dans la matinée rejoignent le colonel Durnford et ses cavaliers, plus de 300, composés essentiellement de Sikhalis, de cavaliers basoutos, et d’éléments des milices frontalières. Des deux unités, celle la plus exposée est sans conteste celle de Lord Chelmsford, qui s’avance par échelons dégradés, son artillerie de quatre pièces n’arrivant pas à suivre le rythme général de marche en raison des nombreux dongas à traverser. Mais le danger n’est pas en plein nord, là ou vont le général et ses troupes. Il va arriver d’une direction imprévue, de l’est et du sud-est du kopje. Le grand Impi, fort de 20.000 à 25.000 guerriers, a accompli une progression magistrale par sa rapidité.
Il a contourné par la droite la ligne de pénétration anglaise, et se rabat brutalement, depuis le plateau Nkutu, sur le camp principal. Vraisemblablement, les uns et les autres se cherchaient. Les britanniques n’avaient pas pris en compte que, comme eux, les Zoulous auraient comme réflexe stratégique d’aller au contact, au lieu d’attendre l’offensive ennemie. Tout aussi vraisemblablement, les Zoulous ne pensaient pas avoir la chance inouïe de tomber sur le camp principal de la colonne centrale, n°3 dans l’organigramme, dégarnie de la moitié de son effectif. Face à toute l’unité, ils auraient de toute manière chargé, au risque de subir ce qui leur adviendra plus tard à Ulundi.
Toujours est-il que, le destin faisant, ce matin du 22 février, le camp d’Isandhlwana, regroupant plus de 300 chariots et des centaines de tentes, se trouve défendu par une troupe réduite d’environ 1000 britanniques, 600 noirs du NNC, et les conducteurs de chariots boers. Cette force, voulant défendre la totalité du périmètre, se disloquera de manière mortelle. Si au pied du kopje trois compagnies anglaises prennent position en restant relativement proches, ce qui est déjà une erreur grave, les trois autres compagnies, en équerre, sont carrément séparées les unes des autres par plusieurs centaines de mètres.
L’articulation est constituée des deux pièces d’artillerie, protégée en avant par des compagnies du NNC qui, terrifiées, ne tiendront pas face à la charge général du « poitrail ». Car l’Impi développe sa tactique classique, du poitrail et des deux cornes. Durnford et ses cavaliers partent en avant vers le plateau N’Kutu : ils sont les premiers à découvrir le gigantesque impi qui se déploie à toute vitesse par les vallées encaissées, les « dongas », qui environnent le camp.
Le colonel fait mettre pied à terre : ses hommes, regroupés au bord d’une crête de donga, lancent alors un feu nourri sur les impis qui s’avencent face à eux. Mais le tir de moins de 300 hommes ne peut arrêter plusieurs milliers de guerriers, d’autant plus que dans le même temps d’autres impis déploient leur propre progression et commencent à dépasser les cavaliers basoutos. Il faut en catastrophe remonter en selle et repartir vers le camp principal.
Les tirs, sporadiques puis de plus en plus soutenus, ont mis en alerte le lieutenant-colonel Pulleyne et ses officiers : les compagnies du 24th sont mises sous les armes, puis rapidement reçoivent l’ordre de se déployer afin de protéger le camp, ses chariots et son hôpital de campagne. Les deux pièces d’artillerie servent de pivot de tir général. Une unité de lance-fusées est positionnée en avant de la 3ème compagnie du 1er bataillon. Le tir des Anglais est précis et meurtrier : les premières lignes des impis sont fauchées et l’ensemble du dispositif zoulou se met à flotter. Mais, au centre de la position de défense, ce sont les noirs du NNC, dramatiquement sous-équipés, et terrorisés par leurs ennemis ancestraux, qui sont déployés pour constituer la charnière entre les compagnies anglaises. Cette charnière se désintègre littéralement face à la charge zoulou. Les compagnies du 24th se retrouvent isolées, trois d’un côté, les autres de l’autre côté du camp.
Trop sûrs d’eux, les officiers ont déployé certaines unités à plusieurs centaines de mètres les unes des autres. Dans ces intervalles, les Zoulous, par dizaines puis par centaines, se précipitent. Chaque compagnie est comme un môle de résistance, et tant que les munitions sont disponibles, inexpugnable à près de deux cent mètres. Mais les cartouches viennent à manquer. Les clairons des compagnies sont envoyés dans le camp pour réapprovisionner, mais ne parviennent pas, pour la plupart, à retrouver leurs chariots de compagnies dans la cohue. D’autres seront repoussés par ce qu’ils ne sont pas au chariot de leur compagnie. Et puis il faut ouvrir les caisses. Ces caisses de munitions, marquées de la flèche du WD, le War Department, nécessitent des tournevis pour les ouvrir : pas de tournevis dans les chariots.
Il faut, au deuxième bataillon, qu’un capitaine revenu à cheval, donne l’ordre d’éventrer les caisses à coup de baïonnettes. Le sergent-major, horrifié, injurie les troupiers : qui lui signera les bons de transfert des cartouches dont il est responsable ? Trop tard, les Zoulous sont déjà dans les intervalles et arrivent en courant dans le camp. C’est un massacre. A chaque fois qu’une compagnie cesse son feu par manque de munitions, elle est immédiatement chargée par plusieurs centaines de guerriers et est anéantie sur place.
Face à cette marée humaine qui attaque de partout, aucune unité ne parvient à se replier. Le temps mis à mettre la baïonnette au canon est déjà mortel : les Zoulous sont au contact et, à coup d’Iklwa, éventrent les habits rouges. De part et d’autre, quelques dizaines de combattants parviennent à se replier dans le camps principal : c’est pour y trouver d’autres centaines de zoulous qui ont débordé les positions de tous les côtés. L’encerclement de part et d’autre de l’Isandhlwana ne laisse aucune chance, ou très peu, aux fuyards.
De cette bataille, deux témoignages permettent de se rendre compte de l’effet qu’elle eut. Un guerrier zoulou dira des années plus tard : « quel courage ces casques blancs : aucun n’a tourné les talons ! ». Lord Chelmsford, pour sa part, revenant sur le lieu du désastre au soir du 22 janvier, dira, effondré : « je ne comprends pas, j’avais laissé plus de 1 000 hommes ici » …
Vers 15h30 ce 22 janvier, tout est consommé au pied de l’Isandhlwana. Quelques poignées de survivants tentent désespérément de rejoindre et passer la Tugela. La plupart sont rattrapés et massacrés à leur tour, car l’Induna Dabulamanzi, à la tête d’un Impi regroupant environ 4500 combattants, a effectué par l’arrière du kopje un mouvement rabattant accomplissant l’encerclement mortel. Mais Dabulamanzi ne s’arrête pas là. Ses régiments traversent à leur tour la rivière, et fondent à partir de 16h30 sur le minuscule poste fortifié de Rorke’s Drift, une ancienne ferme transformée en mission, et servant aujourd’hui de dépôt à la colonne n°3.
La question s’est posée de savoir si l’Induna, emporté par son élan, n’avait pas transgressé un ordre qu’aurait donné le roi zoulou, Cetshwayo, interdisant à ses guerriers de rentrer au Natal. Un frère du roi, dont le régiment n’avait pas voulu suivre la progression de Dabulamanzi parce qu’il voulait relever ses blessés à Isandhlwana, n’évoqua jamais, après le conflit, l’existence d’un tel ordre. Dabulamanzi lui-même ne semble pas avoir attiré sur lui la colère de son souverain après le combat de Rorke’s Drift.
L’on peut donc se demander si un tel ordre a jamais existé, même si la fameuse discipline zouloue avait ses limites : Cetshwayo avait donné l’ordre de ne tuer que les tuniques rouges, et pas un seul artilleur n’est revenu vivant de l’Isandhlwana … Les rares officiers et hommes qui survécurent le durent moins aux tuniques bleues ou beiges qu’ils portaient, qu’à la rapidité de leurs chevaux. Quand au NNC, qui ne portait pas, et pour cause, la fameuse tunique rouge, il perdit sur place plus de 450 des siens.
Toujours est-il qu’à Rorke’s Drift, une centaine d’hommes d’une compagnie du 24th, une trentaine de blessés des divers contingents expéditionnaires, et un officier du génie vont voir arriver sur eux un véritable cataclysme humain.
Ce petit contingent, qui n’avait pas d’autre mission que de servir de garnison de recueil, est commandée par le lieutenant Chard, qui s’est vu accompagné du lieutenant Bromhead, RE, c’est-à-dire des Royal Engineers, le génie militaire de l’armée britannique. Comme elle est étrange, cette armée victorienne : parce que le lieutenant Bromhead est plus ancien en grade de quelques mois, quoique d’un corps différent, le lieutenant Chard lui transmet le commandement de sa compagnie et se met sous ses ordres.
Cette décision va sauver Rorke’s Drift et, accessoirement, les soldats qui s’y trouvent. En technicien du génie qu’il est (il déclarera plus tard : je ne suis venu ici que pour bâtir un pont sur la rivière), Bromhead met en état de défense le périmètre avec les moyens du bord, deux chariots que l’on renverse et … des centaines de caisses de biscuit prévus pour des compagnies qui, les malheureuses, n’en auront plus jamais besoin. Il fait ainsi bâtir un périmètre de défense qui s’avèrera inexpugnable, d’autant plus que la compagnie d’infanterie dispose d’un impressionnant stock de cartouches, également en réserve du corps d’expédition.
Au cours d’un siège hallucinant de plus de 40 heures de combats acharnés, les Britanniques vont tirer plus de 20 000 cartouches, et faire subir un sanglant échec à l’impi de l’induna Dabulamanzi. Le plus surpris, le lendemain, sera Lord Chelmsford lui-même qui, en plein repli, s’attendait à trouver un tas de cendres, et est accueilli comme le sauveur par les survivants de la garnison de Rorke’s Drift. Pour saluer ce fait d’arme exceptionnel qui efface un peu le désastre de l’Isandhlwana, onze Victoria Cross seront décernées, ce qui fera de cette petite troupe l’unité la plus décorée de l’histoire de l’armée anglaise. Effet secondaire : le Natal avait été préservé d’une potentielle invasion zouloue, et ce alors même que la panique avait gagné la population de Pietermaritzburg, totalement dégarnie de troupes.
Alors que la colonne centrale et celle du colonel Durnford connaissaient un funeste sort, les unités composant les colonnes d’invasion latérales, commandées par les colonels Pearson (au sud) et Wood (au nord) s’engageaient en Zoulouland mais n’étaient pas en situation de créer la décision stratégique majeure. Pearson, à Eshowe, va démanteler par le feu de ses compagnies plusieurs impis. Il s’y retranchera et attendra des ordres qui n’arriveront que de manière bien parcellaires et même dans un premier temps à la limite du compréhensible. Il se repliera finalement au bout de quelques semaines en laissant sur place une garnison qui tiendra la position de manière magistrale.
Wood, au nord, va être engagé dans des combats tout aussi brutaux. Il perdra presque toute sa cavalerie lors du combat terrible de l’Hlobane, mais à Khambula, bien retranché comme Pearson, va faire subir aux régiments zoulous des pertes sanglantes. Pendant ce temps, les nouvelles sont parvenues en Angleterre. En Afrique Australe, il se passe des choses graves. Il faut envoyer des renforts. Et ces renforts vont affluer ! De mars à mai 1879 vont arriver au Natal deux régiments de cavalerie dont le célèbre 17ème lanciers, plusieurs bataillons d’infanterie dont des unités écossaises d’élite, en kilt et casque colonial, arrivant des Indes, et la marine va s’y mettre en débarquant plusieurs centaines de combattants formés en deux brigades navales accompagnant leurs canons à balles de type Gardner.
Fin mai 1879, Lord Chelmsford dispose d’un corps expéditionnaire d’une puissance phénoménale, que lui-même n’avait pas demandé. Il avait réclamé un soutien d’état-major à Londres, on lui dépêche quatre majors-généraux dont il ne sait que faire. Et un officier « observateur » arrive au Natal, dont la présence n’enchante personne au sein du corps expéditionnaire : Napoléon Eugène Louis Bonaparte.
Entretemps, courant mars a eu lieu un autre combat désastreux. La compagnie d’infanterie du capitaine Moriarty, disposée de manière absconse de part et d’autre d’un cours d’eau, est presque anéantie sur place par la charge brutale d’un régiment zoulou au petit matin. Décidément, le Zoulouland aura dévoré de nombreux casques blancs …
Fin mai 1879, Lord Chelmsford a reconstitué une force attaquante massive, en prenant en compte les leçons du désastre du 22 janvier et des semi-échecs des semaines qui suivirent, comme aussi des combats gagnés face aux impis. Plus question de se disperser, ni de jouer au contrôle total d’un périmètre trop grand avec des colonnes expéditionnaires incapables de se soutenir mutuellement. Chelmsford en revient aux fondamentaux : l’on marchera sur un seul axe, en une seule colonne suréquipée, dans l’objectif finalement assez simple d’attirer à soi l’ennemi pour le détruire d’un seul coup.
La guerre de type coloniale obéit par expérience à des règles qui n’ont aucun rapport, en principe, avec ce que l’on apprend à Sandhurst, West Point ou Saint-Cyr. Face à des peuplades sous-équipées, l’usage s’est développé depuis le XVIIIème siècle d’opposer de petites colonnes de troupes réglées, d’abord par manque de moyens, ensuite parce que l’armement des uns par rapport à celui des autres a atteint un tel niveau de déséquilibre qu’a priori, 150 types armés de fusils sont en mesure de vaincre plusieurs centaines de combattants équipés des moyens du bord, sagaies, arcs et flèches, voire au mieux deux ou trois flingots un rien rouillés.
Certes. Ca marche souvent. Le souci est que, quand ça ne marche pas, le résultat est sans appel : Isandhlwana est évidemment le cas type, et même extrême. Mais à la Little Big Horn en 1876, les cavaliers du 7th ont été surclassés et anéantis par des guerriers indiens qui avaient aussi, pour certains, des fusils (et savaient s’en servir).
A Maiwand, en Afghanistan, dans pas longtemps, 2500 anglo-indiens vont être vaincus sans appel par une armée afghane supérieurement commandée. Le 66th foot sera détruit sur place : 16 survivants et la mascotte du régiment, un chien, qui seront plus tard présentés à la Reine (y compris le chien). Lord Chelmsford, en ce début juin 1879, a donc fort sagement décidé de ne plus prendre aucun risque, parce que ça va bien comme ça !
Il entre donc à nouveau en Zoulouland avec l’essentiel et le reste, des fois que … Infanterie en nombre, cavalerie complétée par le 17th lanciers et un régiment de dragons, et surtout des canons de campagne, et des canons à balles Gatling et Gardner : ça peut toujours servir, et ça servira. Tout est prévu et organisé pour que les choses se passent au mieux. Comment le malheureux Lord aurait-il pu prévoir qu’une escarmouche secondaire allait déclencher un désastre politique et, pour lui, un limogeage en règle ?
L’empereur Napoléon III fut après le Régent Philippe d’Orléans le premier chef d’Etat français à développer une véritable politique amicale avec l’Angleterre. La ou le Régent avait échoué, l’empereur fut servi par le contexte international des débuts de son règne avec la guerre de Crimée, son sens politique, et le développement d’une amitié personnelle durable entre le couple impérial français et le couple royal anglais. Lorsqu’en 1870 tout s’effondre après Sedan, l’impératrice et son fils trouveront refuge en Angleterre, en quittant la France dans des conditions qui font d’ailleurs honte (mais bref …). L’empereur déchu les rejoindra en Angleterre. La Reine Victoria sera avec eux d’une grande élégance.
Le jeune Napoléon Louis intègre ainsi une école militaire, et se spécialise dans l’artillerie, par volonté atavique de référence à « la grande ombre » de Napoléon Ier ; cependant sa passion est la cavalerie. C’est un cavalier émérite. Il désire aussi servir aux armées, mais deux forces politiques majeures s’y opposent farouchement : le gouvernement de la toute jeune troisième république, qui est révulsée à l’idée qu’un Bonaparte revienne un jour en France sous les traits d’un grand militaire, et le gouvernement anglais de Disraeli, d’une grande prudence, qui n’a aucune envie de se créer des complications diverses en la matière.
En mars 1879, Napoléon Louis assiste à la mobilisation des jeunes officiers, dont certains camarades, qui partent au Zoulouland. Il demande à partir aussi. La réponse est évidemment non … Alors il tanne sa mère, très proche de la Reine. L’impératrice Eugénie est inquiète, mais se laisse convaincre par son fils qu’elle adore. Une audience aura lieu devant la Reine. Ordre est donné que le jeune prince impérial soit intégré au corps expéditionnaire. Le premier ministre Disraeli est en rage. Il n’a pas tort, son destin politique va prendre un rude coup dans l’affaire. Le jeune prince arrive fou de joie en Afrique Australe. Il est à peu près le seul.
En Angleterre Disraeli ne décolère pas, et le War Office fait savoir par câble à Chelmsford qu’il serait fort opportun que le jeune Bonaparte soit éloigné autant que possible de toute forme de combat, le tout évidemment sous la responsabilité du commandant en chef britannique. Ca tombe bien, il n’a rien d’autre à faire … En France, l’information a été relayée au quai d’Orsay par l’ambassadeur à Londres. Ce n’est rien de dire qu’elle crée une certaine émotion !
Evidemment, il n’est pas question de confier une batterie d’artillerie au prince, ce serait trop dangereux. Dans un premier temps il est donc affecté comme officier à la suite de l’état-major de Chelmsford. Mais ce dernier a deux ou trois autres choses à penser, et au bout d’un moment commet l’erreur fatale de se débarrasser du jeune homme en le confiant au colonel Harrisson. Harrisson est un homme seul … Il est sensé organiser la nouvelle invasion du Zoulouland en termes d’étapes et de repérages préalables. Son souci, au demeurant léger, est qu’il est véritablement seul, dans un premier temps, puisqu’aucun officier ne lui est adjoint.
Idée géniale : avec un officier anglais sans commandement, on lui refile au passage le prince impérial. Ce n’était finalement pas une bonne idée, car ainsi le garçon qu’il fallait protéger avant tout se retrouve affecté à un service qui induit des reconnaissances en territoire ennemi. Le 1er juin 1879 meurt en Zoulouland le fils de Napoléon III, massacré au cours d’une obscure escarmouche. Surpris par une charge brutale d’une quarantaine de guerriers, il ne parvient pas à remonter sur son cheval. La selle lâche. Le corps sera retrouvé percé de 17 coups de sagaies, toutes portées de face, et fera l’objet le 3 juin d’une cérémonie funéraire militaire dont il nous est resté un émouvant cliché photographique.
Beaucoup de bêtises ont été racontées sur cette affaire, au premier rang desquelles la légende selon laquelle l’impératrice Eugénie, par pingrerie, aurait laissé son fils partir en Afrique avec une selle de mauvaise qualité. La réalité est autre : Napoléon Louis avait voulu partir avec la selle qu’avait son père à la bataille de Solférino … 20 ans avant. L’équipement avait dangereusement vieilli. En revanche, une chose est sûre : Chelmsford comprend tout de suite l’ampleur du désastre diplomatique, et cette mort au combat d’un seul homme va faire plus de dégâts pour lui que les 1500 morts d’Isandhlwana.
Le couperet se met en effet alors à tomber. En Angleterre, Lord Disraeli, complètement dépassé par un ras-de-marée de l’opinion et de son opposition, essaye désespérément de s’en sortir par l’une des plus belles sorties de l’histoire parlementaire britannique : « qui sont ces hommes, qui sont ces Zoulous qui battent nos généraux, convertissent nos évêques, et viennent de mettre fin à une dynastie ? »
Las, l’effet de manche et l’envolée verbale ne suffisent pas : Disraeli et son gouvernement sont mis en difficultés par une campagne de presse d’une rare violence : comment a-t-on pu commettre la criminelle bévue de laisser ainsi partir dans un endroit aussi exposé que le Zoulouland le prince impérial ? De quoi a l’air la Grande-Bretagne, hôte de la malheureuse famille impériale, maintenant qu’elle a envoyé à la mort le fils de Napoléon III ? Après la catastrophe d’Isandhlwana, la mort du prince impérial est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Il faut savoir que dans l’Angleterre parlementaire du XIXème siècle, les généraux, si anoblis soient-ils, suivaient le destin des gouvernements auxquels ils se rattachaient par affinités politiques et/ou familiales. Si l’échec d’un général mettait le gouvernement en péril, le militaire en faisait clairement les frais. Et c’est la perte du Prince impérial, non les échecs du début de la campagne, qui vont précipiter la décision. Pour Lord Chelmsford, nommé à l’époque de Lord Carnavon, la messe est en train de se dire. Le général Wolseley, lui-même un dur à cuire et qui se couvrira de gloire dans pas longtemps dans le sud égyptien, est envoyé au Natal pour remplacer Chelmsford.
Il faut cependant à l’époque un certain temps pour faire le voyage jusqu’au Natal, et Chelmsford est avisé par cable de son remplacement alors qu’il déclenche sa deuxième invasion. Autant pour des raisons personnelles bien compréhensibles que par l’évidence de la situation, Lord Chelmsford va donc mettre son plan en action. Il aurait pu aussi tout arrêter, en pleine offensive, en attendant son successeur, et alors on n’aurait pas fini de gloser sur lui. C’est ainsi que, le 4 juillet 1879, Chelmsford approche du kraal royal d’Ulundi à la tête d’une force de plusieurs milliers d’hommes qui vont être confrontés au dernier grand Impi de l’histoire zouloue, fort d’environ 24 000 combattants. L’ordre de bataille anglais est impressionnant, et, pour tout dire, victorien. Qu’on en juge, seront présents à la bataille d’Ulundi les unités suivantes :
- 10 pièces d’artillerie du Royal Artillery,
- 2 canons Gatling servis et accompagnés par la « brigade navale », unité constituée d’éléments fournis par la flotte,
- le 1er bataillon du 13th light infantry,
- le 2ème bataillon du royal scots fusiliers,
- les 58ème, 80ème, 90ème (Perthshire, régiment écossais) et 94ème régiments, représentés par leurs bataillons d’opérations extérieures,
- et le 17ème lanciers, en tunique bleue et casque colonial à pointe, dont l’on voit par erreur des représentants dans le film « zulu dawn » : c’est pas vrai, mais c’est tellement beau …
L’ensemble du corps de bataille, avec les unités auxiliaires, dépasse les 4000 hommes. Formés en carré, ils ne laisseront aucune chance à l’Impi, qui vient se faire littéralement hacher par le feu des fusils, des canons et des Gatling, à plusieurs centaines de mètres des lignes.
La formation du « square » anglais n’est pas sans rappeler à Ulundi la tactique qu’avait employé en plus complexe le maréchal Bugeaud à la bataille de l’Isly, face à Abdel Kader. Les bataillons d’infanterie sont soutenus de part et d’autre par des canons et, innovation, les fameux canons à balles Gatling et Gardner, ancêtres des mitrailleuses. La cavalerie est disposée à l’intérieur même de la formation, et attend que le feu des fusils et canons ait disloqué l’ennemi pour charger dans les intervalles de l’infanterie, et … terminer le travail. Le résultat est sans appel.
Cetshwayo a regroupé auprès du kraal royal l’essentiel de son corps de bataille. Ce sont près de 20 000 guerriers qui s’élancent contre le carré anglais. La formation de défense des unités impériales empêche les zoulous de développer leur tactique habituellle d’encerclement : ils sont contraints de se déployer sur toutes les collines environnantes et de charger, sans leur coordination de commandement traditionnelle, sur les quatre angles du carré.
A huit cent mètres, l’artillerie anglaise fait des coupes sombres dans les impis et, à moins de quatre cent mètres, les canons à balles positionnés entre les bataillons se mettent de la partie. C’est un massacre sans rémission pour les guerriers zoulous qui se font tailler en pièces sans avoir la possibilité de venir au contact. Les feux de files des compagnies d’infanterie accentuent alors le barrage de tir anglais.
Lorsque certains impis, destructurés et décimés par le feu, commencent à se replier, le 17th lancier charge alors, par compagnies, en sortant du carré, accompagné des dragons : ce n’est plus alors une bataille, mais une chasse au Zoulou. Le dernier grand Impi de l’histoire zoulou a perdu près de la moitié de ses hommes ; il est démantelé et en fuite. L’orgueil et la puissance zouloue sont brisés. La guerre du Zoulouland est terminée … La crise sud-africaine commence, mais ceci est une autre histoire !
Wolseley, arrivé après la bataille, aura la grande élégance de faire part dans son rapport officiel de tous ses compliments pour la brillante manoeuvre de Lord Chelmsford. Ce dernier rentrera en Angleterre ou il finira honorablement sa carrière. Il ne commandera plus jamais de troupe au combat.

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