lundi 18 mars 2013

Syrie un conflit entre chiisme iranien et sunisme saoudien

Par Maître Bertrand Ramas-Mulhbach
Le 14 mars 2013, le Président François Hollande a laissé entendre qu’il pourrait contourner l’embargo sur les armes à destination des rebelles syriens décrété par l’Union européenne, si les partenaires européens ne révisaient pas leur position sur la question. Deux jours plus tôt, c’est le Premier Ministre Britannique, David Cameron qui emboîtait le pas, préoccupés par le massacre de dizaines de milliers d’opposants au régime de Bachar Al Assad.
Si la Grande Bretagne a toujours manifesté une certaine autonomie par rapport aux institutions européennes, ce n’est pas le cas de la France qui a toujours prôné le principe d’une discipline commune européenne. Sa voie discordante est donc pour le moins surprenante d’autant que cette décision politique n’a été concertée, ni avec les responsables politiques locaux (y compris de l’opposition) et encore moins avec l’Europe.
Sur un plan géopolitique, la livraison d’armes aux rebelles syriens aurait immanquablement pour effet d’affaiblir l’Iran avant une probable attaque israélo américaine sur les installations nucléaires du régime des Mollah. Le risque resterait toutefois important de voir la région s’embraser avec l’opposition d’un camp Iran, Russie et Chine contre le camp Etats-Unis, Ligue Arabe et Europe. Pour autant, les « va t-en guerre » français ou Britanniques n’ont pas cerné en quoi le problème n’était pas géopolitique : il est exclusivement religieux. En effet, toute la problématique en Syrie, repose sur la lutte d’influence entre le Chiisme iranien qui voudrait bien devenir leader du monde musulman et le sunnisme d’al Qaeda qui prône sa propre conception d’un monde islamisé.
Bachar el-Assad est de confession alaouite, branche du chiisme qui ne représente que 11 % de la population de la république de Syrie, alors que les sunnites en composent 75 %, (les chrétiens représentent 10 % et les druzes 4%). Si l’Iran veut imposer le leadership Chiite sur le monde musulman, il ne doit pas perdre son satellite syrien (également courroie de transmission avec le Hezbollah libanais).
Avec sa conception laïque, la France ne comprend pas le monde musulman, ses codes, ses mécanismes, ses sensibilités et sa conviction selon laquelle la religion de Mahomet doit, à terme, être adoptée par tous. La France occulte la divergence des doctrines Chiite ou sunnite alors qu’il s’agit du véritable enjeu local.
A la mort de Mahomet (632), le problème s’est posé de savoir qui devait prendre la direction du peuple musulman. Pour les proches de la famille de Mahomet, le califat (succession) devait nécessairement revenir à un guide spirituel (Imam) membre de la famille de Mahomet, en l’occurrence son gendre Ali (Chiite signifie partisan d’Ali). Pour les autres, le successeur devait appartenir à la communauté des croyants (sunnites puise sa source dans le mot sounna correspondant aux actes, paroles et approbations du Prophète). Or, s’agissant de la doctrine religieuse, les Chiites (15 % des musulmans), considèrent que seuls les descendants du prophète peuvent révéler les prophéties secrètes de Mahomet alors que pour les sunnites (85 % des musulmans), la religion repose sur l’exemple donné par la vie du Prophète, ses paroles (les hadiths), et ses traditions qui sont une norme, un complément et une explication du Coran.
Aussi, depuis la mort de Mahomet, une guerre sans merci s’est ouverte pour le contrôle de la direction de la communauté entre sunnites et chiites. Les sunnites se sont d’abord vue confiés la mission avec le Calife Osman, assassiné en 656. Un an plus tard, (en 657), Ali (neveu du prophète) s’est auto proclamé Calife mais sera rapidement assassiné dans la Mosquée de Kufa (Iraq) en janvier 661. Les chiites ont donc reporté leur espoir sur les fils d’Ali : Hassan qui sera assassiné en 670 puis Hoseyn qui sera défait lors de la bataille de Karbala en 680. il en résultera pour les chiites une fascination pour le martyr puisque les imams ont tous été décimés. Depuis, les chiites cherchent à se venger ou plutôt à rétablir l’honneur perdu, avec les attentats suicides contre les sunnites (essentiellement en Irak) et le monde musulman se divise entre ces deux oppositions qui luttent pour le pouvoir, lutte classiquement incarné par les talibans sunnites de l’Afghanistan et les chiites iraniens.
Il n’appartient donc certainement pas aux pays européens de s’immiscer dans un problème qui concerne le mode de gouvernance du monde musulman. La France est certes en recherche de débouchés pour les armes qu’elle fabrique, même si elle présente son intervention pour des motifs humanitaires. Elle doit juste savoir que ses armes vont rapidement tomber entre les mains des fondamentalistes et jihadistes d’Al Qaeda qui aspirent à un renversement du régime alaouite pour voir le sunnisme reprendre la main sur le pouvoir chiite. Aussi, lorsque Bahar Al Assad sera renversé, Al Qaeda sera en possession d’un stock d’armes incontrôlable et dont la France ne maîtrisera pas l’utilisation, alors même qu’elle combat Al Qaeda au Mali. L’Union européenne se retrouvera alors dans la situation des Etats-Unis qui ont, lorsque l’Afghanistan était envahie par l’Urss, alimenté en armes les talibans qui les ont, par la suite, retourné contre leur fournisseur.
Le contrôle sunnite de l’Europe s’est déjà enclenché avec les mouvements Jihadistes qui s’organisent sur le territoire européen. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer l’interpellation de terroristes dans la région de Marseille (le 7 mars 2013), la découverte de Jihadistes français au Mali affilié à Al Qaeda, l’interpellation d’un jihadiste français en mauritanien en novembre 2012, et la suspicion d’une dizaine d’autre dans les rangs d’Aqmi. De même, une cellule jihadiste a été démantelée en Belgique en octobre 2012, une autre au pays bas en mars 2013… L’Europe ne mesure pas le rôle et la finalité des mouvances islamistes qui fleurissent sur son territoire. Elle ferait donc bien de s’en inquiéter avant s’occuper du conflit « sunnite-chiite » qui ne fait pas partie de sa culture, de son histoire de ses valeurs.
L’Europe met en avant ses valeurs démocratiques pour justifier son intervention ou son absence d’intervention en Syrie alors que le problème lui est parfaitement étranger. L’Islam ne veut pas de la démocratie puisqu’il impose son mode de pensée et de valeur par les armes. Tous les pays musulmans qui ont renversé les régimes politiques totalitaires ont fait choix du modèle islamique et de la charia. C’est ce qui se produira encore lorsque Bachar Al Assad sera renversé. Les islamistes affiliés au sunnisme prendront le pouvoir, massacreront la minorité chiite qui les a écrasés pendant si longtemps et reprendront le conflit avec israël. L’intervention de la communauté internationale en Syrie accélérera la plongée du monde dans le chaos.
Les pays européens n'ont aucun sens de l'anticipation ni ne projettent ce qu'il adviendra dans les décennies à venir si les bonnes décisions ne sont pas prises immédiatement. Ils restent attachés à une vision manichéenne de l'univers du type : si la résistance syrienne est malmenée par le dictateur syrien, il faut intervenir afin de favoriser l’avènement des valeurs de l'occident…
Pour éviter que la démocratie devienne l’outil de sa propre destruction et favorise une fin qui lui est extérieure, qu’elle laisse l’Arabie saoudite et le Qatar livrer l’armement nécessaire aux opposants au régime syrien. Ils le font déjà en sous main.

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