Il existe au moins deux cas dans la langue française où un seul mot – le même – est susceptible de deux acceptions bien différentes. L’hôte, comme on sait, est aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu, ce qui n’est pas tout à fait pareil. Le lâche peut être celui qui abuse sans risque et sans vergogne de sa supériorité : le fort qui brime le faible, l’homme armé qui abat l’homme désarmé. Mais aussi bien celui qui se dérobe devant le danger, celui qui, sans honneur et sans vertu, préfère la fuite au combat et sa vie à la mort. Il arrive que le même individu ou le même groupe cumulent les deux formes de lâcheté. Par exemple, les résistants de septembre 1944 en France, dégonflés sous l’Occupation, lyncheurs et tondeurs de femmes à la Libération. Ou les opportunistes de 1962 en Algérie, héros ignorés de tous et d’eux-mêmes pendant les huit ans de la guerre d’indépendance, massacreurs de pieds-noirs et de harkis dès le 5 juillet. Mais il arrive aussi que, dans des buts de propagande ou par passion, on voie, on dénonce et on stigmatise la lâcheté là où elle n’est pas. Ceux qui, alors que la France s’aplatissait sous la botte nazie, s’attaquaient aux Allemands ou à leurs collaborateurs soit en fomentant des attentats individuels soit en faisant sauter des ponts ou des trains avec leurs passagers civils ou militaires étaient-ils de lâches terroristes ou d’héroïques résistants (ou les deux à la fois) ?
Les membres du groupe nigérian Ansaru qui viennent, quelques jours après avoir enlevé sept techniciens étrangers, de les abattre froidement et de diffuser par vidéo les images de leur forfait ne sont rien d’autre que de lâches assassins. Tout comme les tueurs qui viennent de revendiquer au nom d’Al Qaida le massacre de quarante-huit soldats syriens qui, blessés et désarmés, avaient cru échapper à la mort en se réfugiant en Irak.
Quant aux djihadistes que traquent depuis trois semaines les forces françaises et tchadiennes dans le désert rocailleux des Ifoghas, il en est sans doute dont les plus grands exploits se bornaient à trafiquer de diverses drogues et, à la pointe du fusil, à piller, à terroriser, à fouetter, à violer, à torturer, à amputer les malheureux et les malheureuses qui étaient tombés sous leur coupe. Il en est d’autres (les mêmes parfois ?) qui, confrontés à la supériorité écrasante de nos armes, de nos avions, de nos hélicoptères, de nos drones, de nos chars, de nos canons, vendent chèrement leur vie et luttent jusqu’au bout pour la cause à nos yeux inhumaine et mortifère qu’ils ont choisie. Je ne pense pas que nos soldats aient pour ces adversaires-là le mépris dont font preuve un peu facilement, sur le clavier de leurs ordinateurs, tant de va-t-en-guerre… qui n’y vont pas.
Sortirons-nous un jour de l’âge des cavernes ? Avons-nous si peu progressé depuis les temps lointains où l’on déniait à l’adversaire toute qualité, y compris celles qu’il manifestait ?
Pendant la bataille d’Alger, en 1957, Larbi ben M’Hidi, l’un des principaux dirigeants du FLN, tombé entre nos mains, interrogé et torturé pendant huit jours, ne parla pas. Le colonel Bigeard, son geôlier, alors considéré comme un héros de légende, raconta par la suite qu’il avait noué des liens d’estime et d’amitié avec son captif. Celui-ci était son ennemi puisqu’il était l’ennemi de la France mais le choix qu’il avait fait en tant qu’Algérien n’avait rien que d’honorable à ses yeux. Ayant reçu l’ordre de livrer Ben M’hidi au commandant Aussaresses, c’est-à-dire à la mort, Bigeard fit rendre les honneurs militaires à son prisonnier par un peloton de parachutistes.
Dans le dernier discours, et l’un de ses plus beaux, qu’il prononça devant le Bundestag en 1995, François Mitterrand, président de la République française, rendit l’hommage qu’ils méritaient à la valeur des soldats allemands durant la dernière guerre. On peut déployer du courage, rappela-t-il, même pour une mauvaise cause. Il n’avait guère fallu qu’un demi-siècle, et l’autorité d’un chef d’État, pour que cette évidence fût énoncée, et admise.
La guerre se suffit à elle-même, sans qu’on doive en rajouter. Elle implique l’élimination de l’ennemi, elle ne comporte pas l’obligation de l’insulter.
Les membres du groupe nigérian Ansaru qui viennent, quelques jours après avoir enlevé sept techniciens étrangers, de les abattre froidement et de diffuser par vidéo les images de leur forfait ne sont rien d’autre que de lâches assassins. Tout comme les tueurs qui viennent de revendiquer au nom d’Al Qaida le massacre de quarante-huit soldats syriens qui, blessés et désarmés, avaient cru échapper à la mort en se réfugiant en Irak.
Quant aux djihadistes que traquent depuis trois semaines les forces françaises et tchadiennes dans le désert rocailleux des Ifoghas, il en est sans doute dont les plus grands exploits se bornaient à trafiquer de diverses drogues et, à la pointe du fusil, à piller, à terroriser, à fouetter, à violer, à torturer, à amputer les malheureux et les malheureuses qui étaient tombés sous leur coupe. Il en est d’autres (les mêmes parfois ?) qui, confrontés à la supériorité écrasante de nos armes, de nos avions, de nos hélicoptères, de nos drones, de nos chars, de nos canons, vendent chèrement leur vie et luttent jusqu’au bout pour la cause à nos yeux inhumaine et mortifère qu’ils ont choisie. Je ne pense pas que nos soldats aient pour ces adversaires-là le mépris dont font preuve un peu facilement, sur le clavier de leurs ordinateurs, tant de va-t-en-guerre… qui n’y vont pas.
Sortirons-nous un jour de l’âge des cavernes ? Avons-nous si peu progressé depuis les temps lointains où l’on déniait à l’adversaire toute qualité, y compris celles qu’il manifestait ?
Pendant la bataille d’Alger, en 1957, Larbi ben M’Hidi, l’un des principaux dirigeants du FLN, tombé entre nos mains, interrogé et torturé pendant huit jours, ne parla pas. Le colonel Bigeard, son geôlier, alors considéré comme un héros de légende, raconta par la suite qu’il avait noué des liens d’estime et d’amitié avec son captif. Celui-ci était son ennemi puisqu’il était l’ennemi de la France mais le choix qu’il avait fait en tant qu’Algérien n’avait rien que d’honorable à ses yeux. Ayant reçu l’ordre de livrer Ben M’hidi au commandant Aussaresses, c’est-à-dire à la mort, Bigeard fit rendre les honneurs militaires à son prisonnier par un peloton de parachutistes.
Dans le dernier discours, et l’un de ses plus beaux, qu’il prononça devant le Bundestag en 1995, François Mitterrand, président de la République française, rendit l’hommage qu’ils méritaient à la valeur des soldats allemands durant la dernière guerre. On peut déployer du courage, rappela-t-il, même pour une mauvaise cause. Il n’avait guère fallu qu’un demi-siècle, et l’autorité d’un chef d’État, pour que cette évidence fût énoncée, et admise.
La guerre se suffit à elle-même, sans qu’on doive en rajouter. Elle implique l’élimination de l’ennemi, elle ne comporte pas l’obligation de l’insulter.
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