mercredi 4 janvier 2012

Fatalité pour la Perse ? par Jean-Marc DESANTI



USS John C. Stennis
« Rien n'est plus délicieux que l'attente de ce qui paraît inéluctable. » Anne Bernard.

Le secrétaire à la Défense, le très catholique Léon Panetta, ancien patron de la CIA de 2009 à 2011 (mais faut-il rappeler qu'il servit pendant deux ans de 1964 à 1966 comme officier dans le Renseignement Militaire au Vietnam et qu'il commença sa carrière comme républicain dans l'administration Nixon) a déclaré à CBS que l'Iran pourrait construire une bombe nucléaire dans moins d'un an, le général Martin Dempsey, chef d’état-major interarmées, a, quant à lui, aussi prévenu : « L’Iran joue un jeu dangereux qui pourrait entraîner le Moyen-Orient et d'autres parties du monde, non seulement dans une nouvelle course aux armements, mais surtout dans un conflit majeur ». Le général a fait part de ses « préoccupations » au sujet des ambitions de l'Iran concernant « une volonté de déstabilisation de l'Irak à l'Afghanistan en passant par le Koweït et l’Arabie Saoudite ».

Il a indiqué diriger la planification militaire en cours pour une attaque contre les armes nucléaires iraniennes si le président Obama en donnait l'ordre. « Nous examinons toute une gamme d'options », a-t-il ajouté.

On ne peut que noter qu'en l'espace de 24 heures, deux hommes de l'appareil d'État US ont fait référence à une guerre contre l'Iran comme une possibilité immédiate. C'est assez étonnant considérant que jusqu'ici la politique diplomatique et militaire de l'administration US semblait privilégier toute action de force en dernier recours et dans l'absolue certitude d'une action nucléaire militaire iranienne imminente.

Le Général Dempsey a ajouté : «  Nous le savons, nous n'avons pas la garantie qu'Israël nous prévienne s'il décide d'attaquer en premier, mais nous partageons en toute confiance nos renseignements avec nos alliés ce qui permet de souhaiter une réciprocité dans la confiance car nous comprenons leurs préoccupations. Cependant ma plus grande inquiétude est que les Iraniens se méprennent sur notre détermination. Toute erreur de calcul pourrait alors signifier que nous serions inévitablement entraînés dans un conflit, et ce serait une tragédie pour le monde. » Or, cela fait des années que l'on annonce une attaque probable d'Israël et que les USA font pression sur Jérusalem pour éviter ou retarder la guerre. Comment expliquer alors ce revirement soudain ?

Il se trouve tout simplement que le temps américain ne coïncide pas forcément avec l'horloge israélienne. Il faut en chercher la cause, curieusement, dans la passion d'un soviétique Vladimir Vetrov pour la France.

Plus connue sous la dénomination d'affaire Farewell, cette extraordinaire histoire du début des années quatre-vingts marqua l'accélération du processus de conquête de la planète par le complexe militaro-industriel américain (ici nous devons toujours citer le discours d’adieu à la nation prononcé par le Président Dwight David Eisenhower, le 17 janvier 1961 : « Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une grande industrie de l'armement est nouvelle dans l'expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’État, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral... Nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société. Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devrons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques... »).

Mitterrand fera passer à Reagan les documents stupéfiants fournis par Vetrov et comme l'écrit  Bruno Fuligni : « D'abord estomaqués par l'ampleur des secrets dérobés, les américains mesurent bientôt le retard technologique des soviétiques. L'URSS, à bout de souffle ne pourra suivre … Alors Reagan engage une partie de poker planétaire en installant les missiles Pershing en Allemagne puis en annonçant un projet colossal de bouclier spatial antimissile, la fameuse  guerre des étoiles  »… L'URSS se ruine, abandonne, capitule. Le bloc de l'Est éclate. Les Oligarques américains entament le processus d'hyperpuissance… La fin de l'Histoire. Pas à pas, ils remodèlent leur monde pour résister à la Chine et, au début des années 2000, commencent la restructuration du Grand Moyen-Orient. Guerre d'Afghanistan, d'Irak, révolutions arabes, Patriot Act… Pas à pas, Step by Step . L'heure est venue.

La seule question que se pose Téhéran est de savoir si Washington a définitivement opté pour un revirement stratégique, passant d'un plan de guerre à grande échelle à une approche plus sélective ayant la préférence des israéliens.

Selon cette hypothèse, les États-Unis pourrait écraser l'Iran  en ciblant des installations nucléaires comme l'usine d'UF6 à Ispahan ; le réacteur d'eau lourde à Arak et divers sites de fabrication de centrifugeuse à proximité de Natanz et Téhéran, tous très vulnérables aux frappes aériennes. Israël a été informé de l'inversion de la politique américaine dans un tête-à-tête entre le président Obama et le ministre de la défense israélien Ehud Barak au Gaylord Hôtel, dans le Maryland le 16 décembre.

C'est ainsi qu'il faut saisir les manœuvres iraniennes et les tirs de missiles dans le détroit d'Ormuz.

Le général Vahidi, ministre de la défense, ancien chef des Gardiens de la Révolution, vise ainsi à avertir les États-Unis que, malgré la proximité des bâtiments de guerre américains, l'Iran est également capable de riposter, agissant dans la golfe Persique en bloquant le tiers de la consommation de pétrole du monde, et pas simplement en  ripostant sur des cibles américaines dans la région, en  Israël, en Arabie saoudite ou en Jordanie. La capacité de projection des forces iraniennes couvre un tronçon de 2000 km au large du détroit d'Ormuz, dans le nord de l'océan Indien et dans le golfe d'Aden jusqu'à l'entrée de la mer Rouge.

Il est intéressant de suivre le développement de  l'exercice maritime iranien en hostilité avec les deux porte-avions américains patrouillant dans les mêmes eaux avec leurs groupes aéronavals, l'USS John C. Stennis et l'USS Bataan groupe amphibie.

Depuis la capture du drone américain RQ-170 furtif, le 4 décembre, les Iraniens affirment qu'ils ont gagné la bataille du contrôle de la technologie cybernétique secrète américaine et sont désormais capables de vaincre les systèmes avancés de renseignements à bord des porte-avions américains, des navires de guerre et des chasseurs-bombardiers.

Téhéran affirme que le drone a été abattu par leur technologie de renseignements prééminente et non pas comme résultat d'un dysfonctionnement, comme les responsables américains l'ont affirmé. Cette prouesse peut remettre en cause la volonté de cibler les objectifs et donc d'accentuer une prise de risques, elle peut aussi justifier une attaque massive aux yeux des responsables de l’État-major US… Il n'est pas interdit de penser que le drone aurait été alors intentionnellement « donné » aux iraniens pour pouvoir mener aux yeux du monde militaire une attaque plus radicale et destructrice...

Pour Téhéran, il est donc plus important de tester et vérifier sa capacité de renseignement et de réactivité contre les systèmes américains que de mener de simples exercices d'opérations navales.

Les iraniens le savent, les enjeux sont très importants : un échec, de quelque nature, face aux forces américaines dans la région, démontrera à ses voisins arabes du Golfe que les islamiques perses chiites n'ont plus les moyens de leurs menaces. On peut prévoir alors le début inexorable de la chute du régime et l'avancée inéluctable de l'oligarchie américaine dans cette zone. Certains s'en féliciteront, d'autres comme James Ellroy penseront : « Il n'y a jamais de chute de l'Amérique pour la simple raison que l'Amérique n'a jamais été innocente. Il est impossible de perdre ce qu'on n'a jamais possédé. »

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