mercredi 4 janvier 2012

Nigéria : la christianophobie meurtrière en guise de cadeau de Noël…

Par Alexandre Del Valle

Etat le plus peuplé d'Afrique (160 millions d'habitants), divisé entre un Nord majoritairement musulman et un sud chrétien (proportion de 50/50), le Nigéria, qui est par ailleurs le plus grand producteur de pétrole d’Afrique noire, n’est pas n’importe quel pays. Et le fait qu’il soit devenu un haut-lieu de la christianophobie planétaire puis une nouvelle terre d’expansion d’Al-Qaïda, a de quoi inquiéter. Ce pays a fait parler de lui depuis le 25 décembre 2011, lorsqu’un attentat-suicide a été perpétré par la secte islamo-terroriste Boko Haram à l’encontre des églises chrétiennes et des bâtiments de l'Etat. La première bombe humaine, qui a tué 35 chrétiens, a explosé en pleine messe de Noël, dans l'église de Madalla, à 40 km d'Abuja (capitale du pays). La seconde a explosé à Jos, ville du centre du Nigéria, où les chrétiens sont régulièrement agressés par les groupes islamistes. Deux autres bombes ont explosé à Damaturu (capitale de l'Etat de Yobe) et à Gadaka. Le bilan des attaques anti-chrétiennes de Noël (et des affrontements consécutifs avec les forces de l'ordre) s’élèvent à 100 morts et plus de 100 000 déplacés (nord-est), en très grande majorité chrétiens.
Nord musulman contre sud chrétien
La veille même des attentats de Noël, les 22 et 23 décembre 2011, des attaques anti-chrétiennes perpétrées dans le nord-est (Damaturu et Potiskum, Etat de Yobe, et Maiduguri, capitale de l’Etat voisin de Borno) se sont soldées par une centaine de morts, passés sous silence par les médias occidentaux, jusqu’à ce que les attentats plus « médiatisés » du jour de Noël ne réveillent les consciences, bien tardivement, certes. Ce Noël 2011 ensanglanté n’ést hélas pas le premier. Car au soir du 24 décembre 2010, déjà, des attaques terroristes et incendies criminels avaient entraîné la mort de dizaines de chrétiens. L’année 2011 a également été particulièrement sanglante pour les chrétiens : le 4 novembre 2011, le quartier chrétien de Damaturu a été pris d’assaut par les jihadistes de Boko Haram. Bilan : 130 morts chrétiens, dix églises détruites, une centaine de disparus. Et les violences antichrétiennes ont redoublé depuis avril 2011, lorsque le président chrétien sortant, Johnatan Goodluck, a été élu président, résistant ainsi aux pressions des partis islamiques qui le sommaient de se désister en faveur d’un candidat musulman. Ces nouvelles vagues de violences se sont soldées par la mort de dizaines de chrétiens. Boko Haram a profité de la frustration de nombreux musulmans et mouvements islamistes – qui ne supportent pas d’être gouvernés par un « infidèle » – pour lancer une série d’attentats antichrétiens. Comme tant d’autres groupes islamistes, la secte cherche en fait à imposer un Etat totalement islamique dans tout le Nord du pays, à majorité musulmane, bien que la charià soit déjà appliquée depuis 2001 dans 12 Etats musulmans fédérés. Dans ces Etats, les chrétiens minoritaires sont d’ores et déjà des citoyens de seconde zone, des « dhimmis », mais ils sont accusés par les islamistes du Nord d’être des « cinquièmes colonnes » du Sud chrétien et de l’Occident honnis. C’est donc leur présence même qui est considérée comme une anomalie. Cette idée progresse particulièrement depuis le 11 septembre 2001, le jour même des attentats du World Trade Center, lorsque des affrontements extrêmement violents entre chrétiens et musulmans ont fait des centaines de morts à Jos. Depuis, les chrétiens « infidèles », accusés d’être de « même religion que les Occidentaux », n’ont cessé d’être pris pour cible.
Pour revenir à la situation présente, on peut craindre au Nigéria un scénario « à la soudanaise » : un Nord majoritairement musulman veut soumettre ou éliminer un sud majoritairement chrétien, avec, à terme, un risque de partition du pays. Il est vrai que si les pogroms antichrétiens ne cessent pas au Nord et si l’islamisation continue à revêtir une dimension toujours plus christianophobe dans les Etats où sévit la charià, les risques de division entre le Sud chrétien et le Nord musulman s’accentueront, à l’instar de ce qui est arrivé au Soudan du Sud, peuplé en majorité de chrétiens et d’animistes, et qui est devenu indépendant en 2011, après des décennies de résistance et de guerre civile. Ou encore comme au Biafra entre 1967 et 1970, lorsqu’une guerre civile au Nigéria éclata après des pogroms perpétrés dans le Nord par des musulmans à l‘encontre des Ibos chrétiens. Des centaines de milliers de chrétiens durent alors trouver refuge dans leur région d’origine, le sud-est du Nigeria, pour échapper aux massacres. Ainsi, lorsqu’il proclama, en 1967, l’indépendance du Biafra (pays ibo), le général Emeka Ojukwu expliqua que son but était de protéger les chrétiens. Pour revenir à la situation actuelle, espérons seulement que les Occidentaux et ladite « communauté internationale » n’attendront pas l’achèvement du génocide annoncé de millions de chrétiens, comme cela est arrivé au Soudan, avant de venir au secours des chrétiens minoritaires massacrés dans le Nord du pays. 
Le spectre d’un al-Qaïda panafricain et anti-chrétien du Mali à la Somalie 
La secte islamiste Boko Haram, fondée en 2002, est à l’origine d’innombrables attaques antichrétiennes. Le nom même de Boko Haram, qui signifie « l'éducation occidentale est un péché » en langue haoussa, est tout un programme. Le mouvement terroriste exige l’application totale de la charià et la « suspension » de la démocratie et de la constitution. Jusqu’en 2009, le groupe islamo-terroriste, officiellement lié à Al-Qaïda, était basée à Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno (Nord-Est), aux portes du Cameroun, du Niger et du Tchad, zone de prédilection d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Au départ, Boko Haram combattait surtout l’Etat central nigérien. En 2004, 200 militants du groupe, composée de jeunes étudiants et de désoeuvrés, construisit un camp près de la frontière du Niger, dans le village de Kanamma, dans l’Etat de Yobe (nord-est), appelé « l’Afghanistan ». C’est à partir de ce fief terroriste que la secte fanatique lança une série d’attaques spectaculaires contre les forces de l’ordre nigérianes. En 2009, le chef du groupe, Mohamed Youssouf, appela à une insurrection générale contre l’Etat central. Le groupe fut violemment réprimé par l’armée et leur chef fut tué. Mais depuis, il s’est reconstitué. En juin 2010, Boko Haram a attaqué le quartier général de la police (2 morts)) et, en août 2011, le bureau des agences des Nations unies (24 morts). Aujourd’hui, le mouvement mobilise les nouvelles recrues en surfant sur le thème en vogue de la haine antichrétienne, épousant ainsi la nouvelle stratégie d’Al-Qaïda qui vise à resserrer les liens entre musulmans par la lutte contre les chrétiens diabolisés, devenus, avec les « sionistes », les bouc-émissaires favoris. C’est ainsi que les attaques sanglantes du 24 décembre 2010, veille de Noel, qui ont visé plusieurs églises et qui ont fait des dizaines de morts à Jos, ont été revendiquées par Boko Haram. Aujourd’hui, le champ d’action et le rayonnement de Boko Haram dépasse le seul Nigéria. L’organisation islamo-terroriste entretient des liens étroits non seulement avec les groupes terroristes affiliés AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), dans tout le Sahel-saharien (entre le Mali, l’Algérie, la Mauritanie, etc), mais aussi, plus à l’Est, avec les milices islamistes Shabab, elles aussi liées à Al-Qaïda et qui terrorisent la Somalie et les pays voisins (Ouganda, Ethiopie, Kénya). Certains militants de Boko Haram se sont même rendus en Afghanistan ces dernières années. L’alliance avec des groupes jihadistes africains et al-Qaida est particulièrement inquiétante pour tous les pays de la région, surtout après le renversement du régime de Muàmmar Kadhafi, qui a permis aux militants d’Al-Qaïda et aux trafiquants du désert sahélien et sub-saharien d’acquérir de nombreux armements et explosifs pillés ou récupérés des casernes libyennes avant la chute définitive du dictateur. Le 15 juin, le mouvement a affirmé dans un communiqué que certains de ses membres avaient reçu une formation militaire en Somalie. D’évidence, si l’Etat nigérien a jusqu’alors échoué à éliminer Boko Haram, plus puissante que jamais, c’est parce que le groupe bénéficie du soutien de nombreuses élites du nord musulman (aide logistique, financière, militaire, etc). Ces élites religieuses, politiques et militaires n’ont en effet jamais accepté que le Nigeria soit dirigé par un chrétien sudiste, d’autant que le pays a déjà été dirigé pendant dix ans par un autre chrétien originaire du Sud, Olusegun Obasanjo. Autre motif de frustration pour les musulmans du Nord, le Sud chrétien bénéficie de la plupart des ressources économiques et naturelles (pétrole, gaz, ports) du pays. Par ailleurs, après l’indépendance du Nigéria, le pouvoir politique resta longtemps dominé par les militaires du Nord. Le pays court donc un réel risque de désintégration comme le Soudan.
Les victimes mis sur le même plan que les bourreaux …
Face aux attentats antichrétiens perpétrés au Nigeria le jour même de Noël, une première remarque vient spontanément à l’esprit. Lorsque les médias français et occidentaux dénoncent le « terrorisme » au Nigéria (déclaration de Catherine Ashton, la Haute représentante de la PESC de l’Union européenne) ou déplorent les « heurts entre communautés musulmanes et chrétiennes » – comme si chacun avait les mêmes rôles et les mêmes responsabilités – il s’agit d’une véritable désinformation et d’une inversion des responsabilités. Car au Nigeria, comme en Irak, ou au Pakistan, depuis des décennies, les chrétiens sont les victimes et non pas les alter ego des assaillants islamistes. Ils ne sont pas persécutés uniquement par des « terroristes » non identifiables, mais bien par des islamistes, et même souvent par des gouvernements musulmans locaux (Etats fédérés) parfaitement identifiables, qui leur font subir moult discriminantes fondées sur la charià. A cet égard, les tueurs de chrétiens ne font que pousser jusqu’à leur paroxysme la logique des persécutions d’Etat, lorsque, comme au Nigeria, au Pakistan (cas de Asia Bibi) ou en Egypte (coptes), ils tuent des chrétiens « blasphémateurs » que les lois « anti-blasphème » inspirées de la charià ont déjà condamnés à mort, même si les peines sont souvent commuées en incarcération. Il y a donc bien un camp de persécuteurs et un camp de persécutés. Et on ne peut en aucun cas mettre ces deux camps sur un même plan d’égalité.
C’est en raison de cette confusion des responsabilités que la veille et le lendemain de Noël, les pogroms antichrétiens ont été présentés par les médias comme d’énièmes « heurts intercommunautaires ». Le 26 décembre par exemple, au lendemain des terribles attentats de Noël, des magasins de chrétiens ont été incendiés et des centaines de chrétiens ont dû prendre la fuite, à la suite de véritables chasses à l’homme organisées dans tout le Nord-Est du Nigéria. D’après les témoignages recueillis auprès des survivants, une trentaine de boutiques de chrétiens ont été brûlées dans la nuit de dimanche à lundi dans la seule petite ville de Potiskum ; un supermarché et le domicile d’un dirigeant chrétien local ont été incendiés ; des incendies criminels ont été déclenchés dans d’autres villages et villes, comme Damaturu, où Boko Haram a défié les forces de l'ordre, et où des centaines de chrétiens terrorisés ont fui leurs maisons incendiées. En fait, les assassinats de chrétiens au Nigeria ne se résument pas à de tragiques épisodes d’attentats suicides perpétrés à la façon d’al-Qaïda, mais sont tout autant le fruit de persécutions et attaques perpétrées de façon presque « banale », souvent par des groupes de musulmans accompagnés de membres d’une même tribu « ennemie », eux-mêmes fanatisés par une propagande religieuse et étatique christianophobe « officielle ». 
La « solution finale » des chrétiens du Nigéria et du monde islamique : un processus amorcé
En à peine plus d’un an et demi, le bilan des massacres de chrétiens au Nigéria a battu le record des années 2000, juste derrière le Soudan: un millier de morts depuis mars 2010. Fait parmi tant d’autres : le 9 mars 2010, plus de 500 habitants de villages chrétiens au sud de Jos, capitale de l'Etat du Plateau, ont été tués à la machette par des musulmans fanatisés. Parmi les victimes, nombre de femmes et d’enfants massacrés et brûlés. Les responsables du carnage n’étaient pas les terroristes de Boko Haram, mais un groupe d’éleveurs musulmans de l'ethnie fulani, qui s’en prenait une fois de plus aux Berom, une ethnie sédentaire « ennemie », majoritairement chrétienne. Selon des témoins cités par le journal The Nation, les assaillants étaient près de 500. De nombreuses maisons furent brûlées et détruites et des milliers de chrétiens furent déplacés. Les habitants musulmans des villages attaqués avaient reçu au préalable des SMS les avertissant de l'attaque, afin de pouvoir partir et d’être épargnés…
Comme en Egypte, en Irak, au Pakistan ou ailleurs en terre christianophobe, l’armée est souvent complice des pogroms antichrétiens, comme le confirme le Forum des Chrétiens de l'État du Plateau, qui accuse l'armée nigériane de ne pas venir au secours des chrétiens agressés. A la lumière de ces constats, il est clair que l’Union européenne, les Occidentaux – et en particulier la France et les Etats-Unis – s’honoreraient de porter aux Nations Unies, au Conseil de l’Europe, à la Cour Pénale internationale de La Haye, la question de la christianophobie, afin de susciter une prise de conscience planétaire à la hauteur de la gravité de la menace. Car le but poursuivi par les Etats et mouvements islamistes radicaux – en pleine recrudescence dans tout le monde musulman, de l’Afrique de l’Ouest à l’Indonésie – est bien de réaliser progressivement, une véritable « solution finale des chrétiens » : une purification ethno-religieuse qui a pris l’aspect flagrant d’un génocide (dans son acception stricte et juridique), comme en Turquie en 1915, ou encore au Soudan entre 1960 et 2007, mais qui peut aussi être mise en œuvre progressivement par des attentats plus ou moins ciblés ou aveugles, des pogroms récurrents, des persécutions étatiques, des brimades permanentes ou tout simplement un climat général d’insécurité qui pousse au désespoir, aux conversions forcées ou à l’exil. Le résultat recherché étant de faire de toutes ces terres gagnées par l’idéologie islamiste des terres purifiées des « infidèles » assimilés aux diables judéo-chrétiens-occidentaux : athées, apostats, mauvais musulmans, « infidèles » et surtout chrétiens, « complices des croisés » américains honnis et « agents » des anciens colonisateurs européens…  Telle semble malheureusement être l’essence de la nouvelle christianophobie planétaire.
© Alexandre del Valle, auteur de Pourquoi on tue des chrétiens dans le monde aujourd'hui ? : La nouvelle christianophobie*, éditions Maxima, 2011.

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