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On l'appelle "Le Parrain du nouveau Moyen-Orient islamiste". Rachid Ghannouchi, dont le parti Ennahdha a remporté les premières élections libres de Tunisie en novembre dernier, est le fer de lance du Moyen-Orient d'après le Printemps arabe. Après avoir été emprisonné et forcé à l'exil par le président Ben Ali, Ghannouchi a opéré un retour triomphal dans son pays. Le gouvernement islamiste tunisien devrait être suivi par d'autres ; les islamistes ont récemment remporté les élections en Egypte.
Ghannouchi, auteur et universitaire, a choisi de rester le chef du parti tandis qu'Hamadi Jebali, un autre membre d'Ennahdha, a été nommé premier ministre. Mais il conserve le pouvoir central du pays. Ghannouchi a reçu Metro dans les quartiers généraux d'Ennahdha, à Tunis.
Ennahdha a été interdit sous la présidence de Ben Ali. Vous attendiez-vous à ce que les Tunisiens votent pour votre parti ?Je me suis toujours attendu à ce que notre parti gagne les élections après la chute de la dictature. Nous avions gagné la majorité aux élections de 1989, mais le régime avait falsifié les résultats et décidé d'éliminer notre mouvement. Je suis persuadé que le peuple tunisien n'a pas changé d'avis depuis.
Comment envisagez-vous le développement du Moyen-Orient après le Printemps arabe ?Je suis bien sûr très fier que la Tunisie ait amorcé le Printemps arabe. En un an, on a assisté à cinq révolutions, dont la plupart ont abouti. Cette vague de révolutions va s'étendre et influencer tous les pays arabes et musulmans, et même influencer le reste du monde. Et le monde musulman sera dirigé par le mouvement islamique, en particulier par les partis modérés courants. Ces partis sont contre l'extrémisme et le terrorisme.
L'Occident ressentira-t-il les effets du Printemps arabe sur ses terres ?Absolument. Le Printemps arabe a donné aux gens une compréhension nouvelle de l'islam. Avant, on l'associait au terrorisme. Maintenant on l'associe à la révolution, à à la démocratie, aux droits de l'homme et à la justice.
"L'islamisme marche main dans la main avec la  modernité"
Cela voudrait dire que les gens ont simplement mal interprété l'islamisme ?Je pense que le monde a découvert que l'islamisme marche main dans la main avec la modernité et les droits de l'homme. Lors des élections en Tunisie, au Maroc et en Egypte, les islamistes modérés ont gagné le majorité des votes. Pourtant, certaines personnes restent sur leurs préjugés sur l'islamisme. La plupart des journaux et des chaînes de télévision répandent toujours l'idée que l'islam est une menace pour la démocratie, les droits de l'homme et la modernité. Mais nous les convaincrons eux aussi en temps voulu.
Comment voyez-vous la situation évoluer en Egypte ?Les Frères musulmans viennent tout juste de gagner l'étape finale des élections parlementaires, et je suis certain que l'armée cèdera le pouvoir à un gouvernement civil. La politique égyptienne est plus compliquée que la politique tunisienne, parce qu'ils ont une armée forte et des minorités variées, mais je ne doute pas que les Egyptiens réussiront une fois pour toutes à remplacer leur dictature par un régime démocratique. Et je suis convaincu que le SCAF (Conseil suprême des forcées armées) ne se risquera pas aux effusions de sang.
Comment comptez-vous vous attaquer aux extrémistes musulmans ?
L'extrémisme et le terrorisme sont une menace réelle pour l'islam et les musulmans. La plupart des gens tués par les extrémistes musulmans sont des musulmans ! Regardez en Irak, en Egypte, en Indonésie et en Algérie. Etre perçu comme une religion extrémiste est également un danger pour l'islam.
"Dieu nous a créés hommes et femmes, nous sommes égaux"
Mais comment pouvez-vous faire en sorte que de jeunes hommes ne soient pas entraînés dans des réseaux extrémistes ?Le terrorisme est le fruit de la dictature. Par exemple, les germes du terrorisme en Egypte ont été semées par les prisons de Moubarak. Une fois la démocratie établie, nous ne verrons plus cet étrange phénomène.
Certains s'inquiètent de ce que votre gouvernement puisse limiter les droits des femmes, dont le droit au divorce. Qu'envisagez-vous ?Mon parti ne changera pas les droits que la loi tunisienne donne aux femmes. Dieu nous a créés hommes et femmes, et nous sommes égaux. Parmi les 49 femmes membres du parlement de la nouvelle assemblée tunisienne, 42 appartiennent à mon parti. La majorité des Tunisiennes acceptent notre vision de l'islam. Porter le voile ou non : c'est à la femme de choisir, comme elle peut choisir ce qu'elle veut manger ou boire. L'Etat n'a aucune raison d'intervenir.