lundi 30 janvier 2012

Le jeu tactique de l'iran en Amérique Latine

Au début janvier, l’Iran a captivé l’attention du monde en menaçant de fermer le détroit d’Hormuz et a brandi ses missiles de croisière sol-mer lors de ce qui devait être un exercice naval de dix jours. Cette même semaine, le Président iranien Mahmoud Ahmadinedjad a annoncé un voyage dans cinq nations à travers l’Amérique Latine pour faire progresser l’influence de son pays et ses capacités opérationnelles sur le seuil des Etats-Unis. Ce serait difficile, de la part de la République Islamique, de prétendre que ces évènements simultanés n'étaient qu’une pure coïncidence. Téhéran ne fait pas mystère de sa détermination à transposer ses techniques de guerre asymétrique vers l’hémisphère occidental. Le Ministre de la Défense iranienne, Ahmad Vahidi se trouvait en Bolivie, en mai 2011, lorsqu’il a promis « une réplique ferme et écrasante » à toute offensive américaine contre l’Iran. De telles provocations font partie de ce que l’on doit interpréter comme une poussée de l’Iran, depuis cinq ans aux Amériques.
L’Administration Obama et les diplomates carriéristes américains ont fait preuve de lenteur à reconnaître la menace que pose cette avancée rampante. Ce n’est seulement qu’après que plusieurs candidats Républicains à la Présidentielle ont mis ce problème en lumière, lors d’un débat, le 22 novembre, en partie parrainé par l’American Enterprise Institute, à Washington D.C, que le Président Obama a réellement cru utile de déclarer : « Nous prenons les activités iraniennes, y compris au Venezuela, très au sérieux, et nous continuerons de les observer de très près ». Malheureusement, ne faire seulement qu’observer la percée iranienne en Amérique Latine reste très insuffisant. Les Etats-Unis doivent trouver leur voie pour adopter de nouvelles politiques proactives qui feront échouer les plans de Téhéran visant à menacer la sécurité et les intérêts des Etats-Unis si près de chez eux.
 
Au cours des cinq dernières années, l’Iran a commencé à tirer pleinement avantage de l’hospitalité sans précédent de l’homme fort aux Amériques, Hugo Chavez. La Pétro-diplomatie de Chavez a permis à Ahmadinedjad de cultiver des partenariats avec les régimes anti-américains de Cuba, d’Equateur, et aussi bien, de Bolivie. Aujourd’hui, un réseau de l’ombre fait d’entreprises commerciales et industrielles implantées dans divers pays autorise la présence physique de l’Iran à proximité des frontières de son plus grand ennemi. Il est, de plus en plus, évident que l’Iran a l’intention de faire usage de sanctuaires sûrs dans ces pays pour déployer un armement conventionnel et non-conventionnel qui pose une menace directe contre le territoire des Etats-Unis, ses voies maritimes stratégiques et ses alliés américains.
Renforçant ses capacités en vue de l’épreuve de force générée par son programme nucléaire illégal et enhardi par la distraction de Washington concernant ses activités en Amérique Latine, l’Iran cherche, logiquement, à obtenir un avantage stratégique, en mettant sur pied une menace militaire à proximité des côtes américaines. Et, en tant que promoteur notoire du terrorisme international, il travaille cet angle d’attaque. L’Iran exploite ses liens intimes avec les agents opérationnels du Venezuela, autant qu’avec les connexions de ses propres agents de la Force Qods, auprès d’un réseau ancien de plusieurs décennies dans la région, pour faire du prosélytisme, recruter et entraîner la jeunesse radicalisée du Venezuela, du Brésil, de Colombie, du Mexique et au-delà.
Arrestation de membres du gang de narcoterroristes Los Zetas, au Mexique.
Nous savons désormais que nous sous-estimons l’audace de Téhéran à nos risques et périls. En octobre dernier, des responsables américains ont découvert le plan scandaleux des agents opérationnels des Forces Qods d’utiliser les narco-gansters mexicains pour mener un attentat à la bombe en plein cœur de la capitale des Etats-Unis. Le complot n’a été mis en lumière que grâce à des agents de l’Administration de la Répression du trafic de Drogues (DEA), qui ont fait preuve de bon sens et de présence d’esprit, pour fixer des bornes aux conceptions criminelles de Téhéran. Les comploteurs espéraient assassiner l’Ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, dans un attentat à la bombe qui aurait entraîné dans la mort un grand nombre d’innocents. Même de la part d’un pays qui a fait du terrorisme et de la violation des normes internationales des aspects vitaux de son savoir-faire politique, il s’agissait d’une escalade éhontée dans les tactiques d’agression, sinon d'un acte de guerre planifié. Ce qui prenait son origine dans une opération lancée avec l’assistance latino-américaine aurait dû alerter les autorités qu’il existe une menace croissante dans notre propre hémisphère.
Quoi qu’il en soit, les décideurs politiques dans l’Administration Obama se sont montrés remarquablement complaisants. Et le danger que représente l’implication latino-américaine est multidimensionnelle, allant très au-delà de l’assistance de fantassins mexicains. Alors même que l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) affirmait, dans un rapport récent, que le soutien international est crucial pour la capacité de l’Iran à développer des armes nucléaires, les agences de la diplomatie, des renseignements et de la sécurité américaines restent dans l’incertitude concernant le fait de savoir si l’Iran extraie du minerai depuis les vastes bassins d’uranium du Venezuela, ou de l’Equateur, ou encore, si l’Argentine a repris son partage de technologie nucléaire avec Téhéran.
Il est évident que certains décideurs politiques américains, ainsi que de prétendus experts de l’Iran et du terrorisme international traînent les pieds dans l’ajustement de leur mode de pensée, aux formes que prennent les complots de Téhéran aux Amériques. De telles hautes personnalités, par exemple, citent fréquemment un rapport de 2010, préparé par le Service de Recherche du Congrès (CRS) quand ils cherchent à démentir les affirmations des capacités et des intentions de l’Iran en Amérique Latine. Par exemple, lorsque Mitt Romney a fait référence, au cours du débat présidentiel des Républicains, au réseau du Hezbollah en Amérique Latine, politifact.com/ a sorti l’argument du rapport du CRS qui ne mentionnait que le problème du financement du terrorisme, dans cette partie du monde. De façon tout-à-fait remarquable, la seule mention de l’implication du Venezuela dans ce manuel de 56 pages correspond à une note de bas de page faisant référence au niveau élevé de complicité militaire du Venezuela avec les narco-terroristes colombiens. De plus, les décideurs politiques demeurent aveugles à cette menace croissante, parce que le Département d’Etat refuse d’exiger de la Communauté du renseignement qu'elle examine minutieusement les activités de l’Iran et du Hezbollah dans l’hémisphère occidental.
Une exception notable à une telle négligence se manifeste par le travail de l’Administration de la Répression du trafic de Drogues (DEA) et du Bureau du Contrôle des Avoirs Etrangers du Département du Trésor, qui ont sanctionné de nombreux responsables vénézuéliens et des entités de même acabit pour leur complicité avec et leur soutien à l’Iran et au terrorisme international. Encore une fois, selon des sources de ces agences, les officiers du Département d’Etat font systématiquement obstacle à l’application de sanctions contre des responsables d’entités vénézuéliennes, même si ces personnes jouent un rôle de plus en plus large dans l’extension des capacités opérationnelles de l’Iran à proximité du territoire es Etats-Unis.
Dans le but de faciliter sa percée dans l’hémisphère occidentale, l’Iran augmente le nombre de ses ambassades dans la région, de 6 en 2005 à 10 en 2010. Le véritable catalyseur du changement, cependant, c’est l’alliance qui se développe entre Ahmadinedjad et Chavez.
l'hôtel Hilton de Margarita
... et les séances de remise en forme dans l'Île
Hugo Chavez a fait ses preuves en matière d’anti-Américanisme et son soutien aux groupes terroristes, tels que les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) est bien établi. De plus, au cours de ces dernières années, l’île de Margarita, appartenant au Venezuela, est devenue le principal sanctuaire et le Centre opérationnel du Hezbollah aux Amériques. En tant qu’extension terroriste du Régime de Téhéran, le Hezbollah existe essentiellement pour réaliser le sale travail de l’Iran à l’étranger.
Des recherches à partir de sources ouvertes au public, des bases de données d’experts et des sources sensibles au sein de divers gouvernements, ont identifié au moins, deux réseaux terroristes parallèles et collaborateurs qui sont en train de grandir à un taux alarmant en Amérique Latine. L’un est mis en oeuvre par des collaborateurs vénézuéliens, et l’autre est géré par les Forces Qods. Ces réseaux englobent plus de 80 agents opérationnels dans au moins 12 pays dans toute la région, dont les plus vastes zones de concentration sont le Brésil, le Venezuela, l’Argentine et le Chili.
Ghazi Nassereddine, sous le portrait protecteur de Chavez.
Ghazi Nassereddine, né au Liban, qui est devenu citoyen vénézuélien il y a environ 11 ans, et qui est actuellement le diplomate de second-rang du Venezuela en Syrie, est le partisan le plus important du Hezbollah au Venezuela, du fait de son étroite relation avec le ministre de la Justice et de l’Intérieur de Chavez, Tarek el-Aissami. Aux côtés d’au moins deux de ses frères, Nassereddine dirige un réseau visant à étendre l’influence du Hezbollah au Venezuela et au-delà.
Tarek El-Aisami, ou l'antisémitisme d'Etat vénézuélien
Abdallah, le frère de Nassereddine, ancien membre du Congrès vénézuélien, fait usage de sa position en tant qu’ancien vice-Président de la Fédération des Entités Arabes et Américaines en Amérique Latine, et comme Président de sa représentation locale au Venezuela, pour maintenir des liens avec les communautés islamiques à travers toute la région. Il réside actuellement sur l’Île de Margarita, où il réalise une grande variété d’opérations de blanchiment d’argent et gère la majeure partie des affaires de trafics du Hezbollah en Amérique Latine, selon des preuves documentées obtenues de sources vénézuéliennes.
Le plus jeune frère, Oday, est responsable de l’établissement de centres d’entraînement paramilitaire sur l’Île de Margarita. On le soupçonne de recruter des Vénézuéliens à travers les círculos bolivarianos (des Comités de surveillance du voisinage composés des partisans les plus radicaux de Chavez) et de les envoyer en Iran pour poursuivre un entraînement plus intensif.
 
 
Hojjat al-Eslam Mohsen Rabbani (voir : mandat d'arrêt Interpol), qui était l’attaché culturel de l’Ambassade de la République Islamique d’Iran à Buenos-Aires, supervise un réseau parallèle de recrutement du Hezbollah depuis l’intérieur même de l’Iran. Rabbani est actuellement le conseiller pour les Affaires Internationales de l’Institut Culturel Al-Mostafa Al-Alam de Qom, dont la mission est la propagation de l’Islam chi’ite. Rabbani, que le magazine brésilien influent Veja a surnommé “Le Professeur Terroriste”, est un défenseur jusqu’auboutiste de la Révolution iranienne et le cerveau qui se trouvait derrière les deux plus importants attentats terroristes contre des cibles juives à Buenos-Aires, en 1992 et 1994, qui ont tué 144 personnes. A la requête de l’Argentine, Interpol a diffusé un mandat d’extradition concernant Rabbani et plusieurs autres, en mars 2007.

 
 
A l’époque des faits, Rabbani était accrédité en tant qu’attaché culturel de l’ambassade iranienne dans la capitale argentine, qu’il a utilisé comme une tribune pour y répandre une propagande extrémiste, s’y adonner au recrutement et à l’entraînement, qui ont culminé avec ces attentats. En fait, il continue d’exploiter ce réseau de convertis argentins pour étendre le rayonnement de l’Iran et du Hezbollah, en les employant dans l’identification et le recrutement d’agents opérationnels à travers toute la région, la radicalisation et l’entraînement au Venezuela et en Iran (particulièrement autour de la ville de Qom).
Au moins deux mosquées de Buenos-Aires- Al Imam et At-Tauhid- sont dirigées par les disciples de Rabbani. Le Cheikh Abdallah Madani dirige la mosquée Al Imam, qui sert aussi de quartier général de l’Association Islamique argentine, l’un des centres culturels islamiques les plus prédominants de toute l’Amérique Latine.
Certains des disciples de Rabbani ont tiré parti de ce qu’ils ont appris de leur tuteur en Argentine et l’ont répliqué partout ailleurs dans la région. Le Cheikh Karim Abdul Paz, un Argentin converti à l’Islam chi’ite, a étudié sous les auspices de Rabbani à Qom durant cinq ans et il est aujourd’hui l’imam d’un centre culturel à Santiago, au Chili.
Un autre converti argentin à l’Islam radical et disciple de Rabbani, présent actuellement au Chili, c’est le Cheikh Suhail Assad, professeur à l’Université de Santiago. Il fait des conférences dans des universités à travers toute la région et apparaît fréquemment à la télévision. Plus récemment, il a établi des relations avec la communauté musulmane d’El Salvador.
Sheik Khaled Taki Eldyn
 
Mais la récompense suprême du travail du réseau Rabbani –et du Hezbollah en général -, c’est le Brésil, là où réside toute la puissance économique des Amériques et qui abrite environ un million de musulmans. L’un des frères de Rabbani vit ici : Mohammad Baquer Rabbani Razavi, le père fondateur de l’Association Iranienne au Brésil, auquel il rend souvent visite et avec lequel il se coordonne systématiquement. Sheik Khaled Taki Eldyn, sunnite radical de la mosquée Guarulhos à Sao Paulo, est un autre de ses principaux collaborateurs. Taki Eldyn, qui est très actif dans les activités œcuméniques envrs les mosquées chi’ites, détient également le poste de Secrétaire Général du Conseil des Dirigeants des Sociétés d’Affaires Islamiques au Brésil. Une source sensible «établit le lien entre cette mosquée et un réseau désigné par le Département du Trésor américain pour fournir un soutien financier et logistique essentiel au Hezbollah. En remontant aussi loin qu’en 1995, Taki Eldyn a accueilli le dirigeant d’Al Qaeda, Ousama Ben Laden et le cerveau du 11/09, Khalid Sheik Mohammed. Selon des sources du renseignement brésilien citées par Veja, au moins 20 agents opérationnels du Hezbollah, d’Al Qaeda et du Jihad Islamique utilisent le Brésil comme foyer pour leurs activités terroristes.
 
Les autorités des gouvernements des Etats-Unis et d’autres pays ont identifié et sanctionné certains des dirigeants de ces réseaux, et les agences d’application des lois américaines – orientées par l’Administration de lutte contre la Drogue (DEA) – ont fait de grands efforts visant à évaluer et à affronter cette menace en montant des dossiers contre les responsables étrangers et pour sanctionner les entités qui soutiennent cette organisation criminelle et terroriste. Ce dangereux réseau, cependant, requiert une stratégie globale de l’ensemble du Gouvernement, qui commence par une révision inter-agences pour évaluer la nature transnationale, multifacettes du problème, renseigne et forme les gouvernements amis, et instaure des mesures unilatérales, ainsi qu’avec des partenaires ayant la volonté d’interrompre et de démanteler ses opérations.
La visite d’Ahmadinedjad en janvier, au Venezuela et ailleurs dans la région, avait clairement pour intention de consolider les intérêts de l’Iran en Amérique Latine, alors que Chavez succombe à un cancer. On peut s’attendre à ce que l’Iran fasse cause commune avec Cuba, la Russie et la Chine pour protéger son sanctuaire –si nécessaire en encourageant le mouvement gauchiste de Chavez pour saborder les élections d’octobre 2012 au Venezuela. Si les Etats-Unis étaient plus vigilants à cette phase de transition critique de l’ère post-Chavez, il deviendrait possible de déjouer les plans de l’Iran en soutenant une solution pacifique, lors de ces élections.
Après avoir dangereusement dérapé dans ses efforts pour stopper la quête d’armes nucléaires par l’Iran, Washington peut difficilement se permettre de céder du terrain à la République Islamique, sur ce qui est, entendu dans des termes globaux, l’arrière-cour des Etats-Unis. L’Iran, enhardi par ses réussites à éviter des sanctions significatives de l’Occident et maintenant la puissance militaire américaine au large, devient plus provocateur. Si Washington n’opère pas la transition de l’observation à l’action contre les avancées iraniennes en Amérique Latine, il pourrait ben se retrouver confronté à une menace grave et croissante qu’il ne pourrait alors ni réduire, pas plus qu’il ne parviendrait à y échapper.

Au sujet de l’auteur

 
Roger F. Noriega was ambassador to the Organization of American States from 200103 and assistant secretary of state from 200305. He is a visiting fellow at the American Enterprise Institute, the managing director of Vision Americas LLC, and a contributor to interamericansecuritywatch.com.
 
Était ambassadeur de l’Organisation des Etats d’Amérique, de 2001 à 2003 et Assistant au Secrétaire d’Etat de 2003 à 2005. Il est expert invité à l’American Enterprise Institute, dirercteur et manager de Visons des Amériques LLC, et contributeur de http://interamericansecuritywatch.com/
 

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