mardi 23 août 2011

Le chaos Libyen (suite) – par Guy Millière

Après plus de cinq mois de bombardements, les forces américaines et quelques avions français et anglais ont intensifié très fortement leurs tirs sur les positions de l’armée du colonel Kadhafi. Du matériel militaire a été transmis aux « rebelles », et ceux-ci ont pu entrer dans Tripoli. Il semble que la chute du régime soit quasiment un fait acquis.
 
Cela ne change strictement rien au fait que c’est une intervention militaire qui a été mal préparée, mal engagée, et menée de manière inepte. Et cela, surtout, ne change rien aux doutes qu’on peut avoir sur le gouvernement hâtivement reconnu par la France, le Royaume-Uni et, depuis peu, les Etats-Unis. Un commentateur américain sur CNN a déclaré que cette reconnaissance était un geste très prématuré et qu’il fallait se garder de tout optimisme. Ce commentateur a l’art de la litote.
 
Parmi ceux qui se sont félicités de la chute du colonel Kadhafi, on trouve les Frères musulmans, le Hezbollah, le Hamas : pas vraiment des amis de l’Occident. Al Qaida est restée discrète, et pour cause : les « rebelles » libyens comprennent un nombre certain de membres d’Al Qaida et d’Al Qaida au Maghreb Islamique. Sur les murs de Benghazi, on n’a cessé de voir des caricatures de Muammar Kadhafi présenté comme un « porc Juif », ou comme un « agent sioniste ». Ce que les islamistes reprochent à Kadhafi est d’avoir coopéré avec les services de renseignement occidentaux et, en particulier, avec les Etats-Unis, à partir de 2003. 
 
Ce à quoi on peut s’attendre maintenant, et c’est non seulement mon avis, mais celui de gens dont je respecte profondément les analyses, tels Daniel Pipes ou Victor Davis Hanson, est un bain de sang à Tripoli, et dans d’autres places fortes du régime, telles Sirte, ville de la tribu de Kadhafi. D’ores et déjà, tous les gens originaires d’Afrique subsaharienne qui ont pu tomber entre les mains des « rebelles » ont subi un sort atroce. Certains de ces Africains étaient des mercenaires du régime, mais pas tous, loin de là : la Libye, qui a seulement cinq millions d’habitants, fait appel depuis des décennies à une main d’œuvre immigrée venue du Sud du Sahara. Ce n’est pas un hasard si nombre d’Africains vivant en Libye ont cherché à fuir vers la Tunisie, ou à trouver une embarcation pour l’Europe. 
 
Ce qui est à craindre est un règlement de compte entre factions « rebelles » une fois les dernières résistances du régime écrasées : ou bien les islamistes et les gens d’Al Qaida prendront le dessus, ou bien ils seront éliminés par des factions plus modérées. La guerre civile peut s’émietter et se prolonger. La Libye compte environ cent tribus, et se trouve divisée en trois grandes régions : la Cyrénaïque d’où est parti le soulèvement, et c’est une région qui a connu des soulèvements islamistes dans le passé, la Tripolitaine, et le Fezzan, constituant les régions sahariennes. Kadhafi s’appuyait sur la Tripolitaine et avait des alliances avec les gens du Fezzan. Le nouveau pouvoir vient de Cyrénaïque très majoritairement. Il comprend aussi des gens passés du camp Kadhafi dans le camp victorieux, par opportunisme. 
 
Le futur est très loin d’être joué. Le scénario pessimiste serait celui d’un glissement vers un chaos prolongé, façon Somalie, avec fragmentation du pays entre factions rivales. Le scénario optimiste serait qu’un semblant de pouvoir centralisé parvient à se remettre en place, et ce pouvoir centralisé reposera sur une prédominance islamique, anti-occidentale, anti-israélienne, influencée par les Frères musulmans et d’autres groupes islamistes. Le fait qu’il n’y ait que très peu d’Occidentaux sur le sol libyen empêche toute possibilité de stabilisation par des forces occidentales. Les Etats-Unis d’Obama sont dans une phase de retrait de troupes en Irak et en Afghanistan et d’apaisement vis-à-vis de l’islamisme et des Frères musulmans, et ils resteront dans ce mode de fonctionnement jusqu’à la fin du mandat d’Obama. Ni la France, ni la Grande-Bretagne n’enverront de troupes. On ne peut exclure l’envoi de forces des Nations Unies, et en ce cas, elles seront aussi inefficaces que partout où elles ont été déployées ces dernières années. Total et British Petroleum devraient bénéficier de contrats pétroliers avantageux si la production reprend, et il faudra des mois avant que les installations soient à nouveau un tant soit peu opérationnelles. Mais le régime susceptible d’émerger si le scénario optimiste décrit ci dessus se réalise, sera davantage tourné vers la Chine et la Russie que vers le monde occidental. 
 
Dans l’immédiat, la chute de Kadhafi sera présentée comme une victoire de la France et de la Grande Bretagne. Ce serait si, et seulement si un régime modéré, démocratique et ouvert sur l’Occident qu’on pourrait à mes yeux parler de victoire. Et pour l’heure les indices permettant de penser qu’un régime de ce type peut émerger semblent relativement absents. Peut-être se feront-ils jour, mais je ne vois vraiment pas comment.
 
Kadhafi était un dictateur, sans aucun doute, un criminel, sans aucun doute, mais le risque est d’avoir échangé le diable que nous connaissions par un diable ou un ensemble de diables que nous ne connaissons pas ou que nous ne connaissons que trop bien.
 
Ceux qui se réjouissent aujourd’hui en Europe sont ceux qui se réjouissaient voici peu devant la belle révolution égyptienne, dont on voit les conséquences délétères aujourd’hui. Ce sont aussi ceux qui se réjouissaient en 1979 de la chute du shah d’Iran. On sait ce qui s’est passé ensuite. 
 
L’intervention en Irak, bien mieux préparée, et avec des troupes au sol, a impliqué sept années de combat contre le terrorisme pour qu’un gouvernement se stabilise, et il a fallu deux années pour que Barack Obama lâche ce gouvernement aux mains de l’Iran.
 
Avec la Libye, il n’y aura pas d’attentats terroristes contre la présence occidentale : il n’y a pas d’Occidentaux, et les terroristes sont dans les troupes de « libération ». Barack Obama n’a aucun gouvernement pro-occidental à lâcher. Il n’y aura pas de gouvernement pro-occidental. 
 
Je citerai la conclusion d’une note de Daniel Pipes sur le sujet, car je pourrais la faire mienne : « Je crains qu’un despotisme sans issue soit remplacé par les agents d’un mouvement idéologique aux ramifications planétaires. Je crains que les forces occidentales aient porté les pires ennemis de la civilisation occidentale au pouvoir ».
 
Des armes issues des arsenaux de Kadhafi pillés dans la région de Benghazi par des gens d’al Qaida ont transité vers le Sinaï et Gaza. Elles ont été utilisées ces derniers jours contre Israël. Je crains que ces armes ne soient pas du tout les dernières à suivre ce type de trajectoire. 
 
Je n’ai pas parlé du coût financier des opérations en Libye pour la France (les coûts sont élevés aussi pour la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) : environ un million d’euros par jour depuis le début. Avec un tel investissement, on serait en droit de s’attendre à un retour sur investissement. Peut-être le retour sur investissement sera-t-il là pour Total. Pour la sécurité du pays ? J’en suis infiniment moins sûr. 
 
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© Guy Millière pour www.Drzz.fr

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